vous tirez cette étincelle, vous acquérez du fluide électrique qui tend à se décharger de
toutes parts, & qui se déchargerait effectivement au plancher à travers vos souliers, si dans le
même instant le cul de la bouteille ne l'attirait : or comme dans le même temps que d'une main
vous tirez l'étincelle du conducteur, la bouteille tire ou pompe l'électricité de l'autre main
qui la touche, comme nous l'avons dit, vous devez en conséquence sentir instantanément deux
secousses dans les parties du corps opposées, c'est-à-dire dans le poignet, &c. de la main qui
tient la bouteille, & dans celui de celle qui tire l'étincelle. En effet, dans le bras qui tire
l'étincelle, vous devez sentir une secousse produite par le fluide électrique qui y entre ; & dans
celui qui tient la bouteille, une autre secousse produite au contraire par le fluide qui en sort : &
c'est aussi ce que l'on ressent, non seulement dans les poignets, mais encore dans les coudes, &c.
comme nous l'avons dit au commencement de cet article. Cette double sensation distingue d'une
manière bien précise l'effet de cette expérience, de celui d'une simple étincelle que l'on tire
du conducteur. Dans ce dernier cas on ne ressent qu'une seule secousse, & cela dans la partie qui
tire l'étincelle. Il est vrai que lorsque l'électricité est très forte, on en ressent une aussi
quelquefois en même temps dans la cheville du pied ; ce qui a fait dire à quelques physiciens, que
le choc de l'expérience de Leyde ne différait de celui que produit une simple étincelle, que par
la force ; mais ils ne faisaient pas attention à cette double sensation simultanée que l'on
éprouve toujours dans cette expérience, quelque faible même que soit l'électricité, & qui par
là en fait, pour ainsi dire, le caractère.
L'expérience suivante forme une nouvelle preuve en faveur de l'explication que nous venons de
donner des causes du coup foudroyant.
Que, tout restant de même, on suppose la bouteille placée sur un guéridon de bois, & deux
personnes ayant chacune une main posée dessus, toujours dans la partie qui répond à celle où
l'eau se trouve intérieurement ; si l'une d'elles tire une étincelle du conducteur, elles seront
frappées toutes les deux en même temps ; mais l'une, celle qui tout à la fois touche la bouteille
& tire l'étincelle, recevra le coup foudroyant ; & l'autre, dont la main repose dessus, ne sera
frappée, quoiqu'assez vivement, que dans le bras & le poignet de la main qui touche à la
bouteille. La raison en est sensible. Lorsqu'une des personnes tire l'étincelle du conducteur, le
verre de la bouteille pompe le fluide électrique de tous les corps qui touchent les points de sa
surface extérieure, répondant à ceux que touche l'eau intérieurement : il doit donc non
seulement en pomper de la personne qui tire l'étincelle, & par là lui faire recevoir le coup
foudroyant, mais encore de celle qui ne fait que reposer sa main dessus, quoique cette personne ne
participe aucunement au reste de l'expérience.
Avant d'aller plus loin, il est à propos de répondre à une difficulté que l'on pourrait nous
faire. Selon vous, nous dira-t-on, les secousses que l'on ressent dans le coup foudroyant, sont
produites par l'entrée du fluide électrique d'un côté, & par sa sortie de l'autre. Or ce fluide
entrant par la main qui tire l'étincelle, & sortant par celle qui tient la bouteille, il semblerait
que ces secousses devraient se faire sentir aux deux mains, & cependant vous dites que c'est aux
poignets, aux coudes, &c. Comment cela se fait-il ? Le voici. Ce n'est pas tant l'entrée ni la
sortie du fluide électrique dans un corps, qui produit un effet ou une sensation, que la manière
dont ce fluide entre ou sort. La raison en est que la transmission de l'électricité d'un corps à
un autre qui le touche immédiatement se fait sans choc, sans étincelle, enfin sans aucun effet
apparent ; au lieu que si elle se fait d'un corps à un autre qui ne le touche pas, il y a toujours
étincelle & choc. Ainsi, que l'on électrise une chaîne de fer non tendue, & dont les chaînons
soient à quelque distance les uns des autres, le passage de l'électricité de l'un à l'autre
deviendra sensible par une étincelle qui partira successivement de chacun d'eux ; mais si la
chaîne est bien tendue, en sorte que tous les chaînons se touchent bien intimement, la
transmission se fera d'un bout à l'autre dans un instant, & sans que l'on s'en aperçoive.
Appliquons ceci à ce qui se passe dans un homme qui fait l'expérience du coup foudroyant. Dans cet
homme se trouvent des articulations aux poignets, aux coudes, aux épaules, &c. Dans ces parties la
continuité n'est pas bien entière ; elles ressemblent donc en quelque façon aux chaînons qui ne
se touchent pas immédiatement : il s'ensuit donc qu'il doit y avoir une espèce de choc, lorsque
l'électricité passe de l'une à l'autre, comme nous avons dit qu'on l'observe. Cependant le doigt
ne laisse pas de ressentir une douleur, mais plutôt d'une forte piqûre brûlante ; & si la main
qui touche la bouteille ne ressent rien ordinairement, c'est que le fluide électrique se
déchargeant par tous ses pores, l'impression qu'elle fait est trop faible pour être aperçue. Vous
vous assurerez que c'en est là l'unique cause, si au lieu d'appuyer la main toute entière sur une
bouteille bien électrisée, vous ne la touchez que du bout des doigts ; car vous y ressentirez une
douleur très vive en faisant l'expérience, le fluide électrique faisant alors une impression fort
sensible, parce qu'il ne sort que par le petit nombre de pores qui sont au bout des doigts.
Non seulement l'expérience que nous avons rapportée plus haut, paraît confirmer notre
explication des effets de la bouteille de Leyde, mais encore la plupart de celles que l'on
peut faire avec cette bouteille ; ainsi lorsqu'elle fait partie d'un système de corps électrisés,
quoique d'abord l'électricité paraisse plus faible que lorsqu'il n'y en a pas, cependant elle
augmente successivement jusqu'à devenir très forte : ce qui arrive lorsque cette bouteille a
acquis la plus grande vertu possible, relativement à l'intensité de la force électrique qui vient
du globe. On dit alors qu'elle est chargée, & l'électricité devient en quelque façon constante,
& n'augmente ni ne diminue point à chaque instant, comme cela arrive lorsque cette bouteille ne
fait point partie du système des corps électrisés ; en sorte qu'elle forme comme une espèce de
réservoir à l'électricité : or cet effet est une suite naturelle de ce que nous avons dit plus
haut de la propriété qu'a le verre de fournir du fluide électrique par la surface qui en a reçu,
& d'en pomper par celle qui en a donné : car par cette propriété on voit que lorsque le verre de
la bouteille de Leyde a été fortement électrisé, si le globe vient à fournir moins
d'électricité, ce verre en redonne à l'eau, &c. en en pompant de la personne ou du support
non-électrique sur lequel il est appuyé : la force qu'ont le globe & la bouteille pour fournir
chacun de l'électricité, étant, comme nous l'avons dit plus haut, pour ainsi dire en équilibre
lorsque celle-ci est bien chargée. On voit encore, par la même raison, que la vertu qu'a cette
bouteille de conserver longtemps son électricité est une suite de la même propriété. En effet,
tant qu'elle conserve la faculté de pomper du fluide électrique des corps qui la touchent, elle
conserve celle d'en fournir, & par conséquent de paraître électrique. Le temps que cette
bouteille conserve son électricité va quelquefois jusqu'à trente-six, quarante heures, & plus.
Dans la description que nous avons donnée du procédé que l'on observe dans cette expérience,
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