@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Parcours historique > Des lois pour l'électricité : Coulomb et quelques autres...

Coulomb et les lois du frottement

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

Lorsqu'en 1779 l'Académie relance son prix portant sur "le frottement et sur la roideur des cordes", Coulomb sait qu'elle ne se contentera pas d'essais "faits en petit dans un cabinet de physique." L'Académie "exige que les lois du frottement et l'examen des effets résultant de la roideur des cordages soient déterminés d'après des expériences réelles et faites en grandeur. Elle exige de plus que les expériences soient applicables aux machines usitées dans la marine, telles que la poulie, le cabestan et le plan incliné".

De quoi s'agit-il ? Les frottements posent de nombreux problèmes dans la vie pratique des ingénieurs. Ainsi lors de la mise à l'eau d'un navire sortant du chantier naval, il n'est pas rare que le lancement se passe mal, ruinant des mois de travail. Parfois le frottement des flancs du bateau en bois contre ses supports, également en bois, crée un tel échauffement qu'un incendie se déclare. D'autres fois le frottement est si important que le galion s'arrête à mi-course.

Comment, par ailleurs, se comportent les cordes de navire sur les poulies ?

Coulomb est bien placé pour mener ce type de recherches. En tant que lieutenant du corps du Génie, il vient d'être affecté à Rochefort où l'on dirige le chantier du fort de l'île d'Aix. Or à Rochefort se trouve une importante Corderie royale où sont fabriquées les cordes pour la marine et le commandant du port met des installations et des ouvriers à la disposition de Coulomb.

Cela va lui permettre de mener "des expériences réelles et faites en (vraie) grandeur". Pendant des mois, il étudie le comportement des cordes dans les poulies, les grues et les cabestans ; il compare cordes neuves et usagées, sèches ou imbibées d'eau salée ; enfin il fait frotter des plateaux de bois sec ou huilé, de métal et autres substances les uns contre les autres.

Sa Théorie des machines simples qui regroupe tous ses résultats expérimentaux lui permet de remporter le prix de l'Académie en 1781.


Théorie des machines simples..., Recueil des savants étr. de l'Ac. roy. des sc. (1781), 1785

Les expériences sur le frottement

Quels sont les facteurs qui déterminent le frottement entre deux surfaces planes ? Coulomb prend en compte la nature des matériaux en contact, la charge appliquée, la rugosité et l'étendue des zones de contact, la vitesse de glissement, la durée du contact préalable à l'essai, et encore l'utilisation éventuelle de lubrifiants.


Pour exécuter ses expériences sur le frottement, Coulomb fait construire un dispositif qui peut supporter des charges de plus d'une tonne. Sur le plateau de chêne horizontal aba'b' terminé par deux butées (fig. 1) peut glisser un traineau tiré par une corde et qu'on peut charger (fig. 2 et 3).
Lorsque la tension de la corde l'emporte sur la force de frottement, le traîneau commence à glisser. La tension de cette corde peut être réglée à l'aide du poids P mobile (fig. 3, sur la gauche).
Pour diminuer, à poids égal, les surfaces de contact, on peut fixer sous le traîneau "des règles de différentes largeurs". Enfin des règles de diverses matières (chêne, sapin, orme, acier, cuivre, etc.) permettent d'étudier tous les types de frottement : chêne contre chêne, sapin contre métal, acier contre cuivre, etc. (fig. 6 et 7)

Les lois de Amontons-Coulomb sur le frottement entre deux solides

Coulomb décrit plus d'une trentaine d'expériences pour lesquelles il donne à chaque fois une série de mesures. Tant que le plateau reste immobile, la tension de la corde reste équilibrée par la résistance due au frottement. La valeur de la tension de la corde à partir de laquelle le plateau commence à glisser donne donc la valeur maximale de cette force de frottement, notée par la suite f.

Parmi les conclusions de Coulomb, nous retiendrons les plus remarquables, transcrites en langage moderne : 
(1) : La force de frottement f est proportionnelle au poids P du solide posé sur le plateau horizontal.
(2) : Pour un poids P donné, cette force ne dépend pas de l'étendue des surfaces de contact, mais seulement de la nature de ces surfaces (bois poli ou rugueux, bois ou métal, etc.).

Les lois (1) et (2) peuvent être exprimées par la formule : 
f/P = une constante dépendant de la nature des deux matériaux en contact et de leur état de surface.

Cette constante sera appelée plus tard "coefficient de frottement". Sa valeur est de l'ordre de 0,5 pour du bois sur du bois, de 1 pour une semelle de chausson d'escalade en caoutchouc sur un rocher.

Ces deux lois, souligne Coulomb en préambule de son mémoire, avaient déjà été exprimées par Guillaume Amontons dans son mémoire De la résistance causée dans les machines en 1699. Mais ces lois d'Amontons avaient été contestées par la suite. Coulomb fait plus que les confirmer. Il en étend le domaine de validité, en particulier pour de très fortes charges. La diversité des paramètres dont il étudie l'influence, et la traduction de ces influences dans des formules mathématiques, sont sans précédent.



Si l'on doit pousser sur un sol horizontal deux caisses identiques, vaut-il mieux les placer l'une derrière l'autre ou les poser l'une sur l'autre ?
La réponse est que la résistance à vaincre est la même. C'est ce qu'exprime la loi (2), puisque le poids total est le même.

En outre Coulomb innove en étudiant le frottement de deux surfaces en mouvement l'une par rapport à l'autre. Que devient en effet la résistance de frottement une fois que le traîneau s'est mis à glisser sur le plateau ?

A l'issue d'un grand nombre d'expériences menées avec le même dispositif, Coulomb conclut que, pendant le mouvement, les lois (1) et (2) restent vérifiées. Mais pour la plupart des corps, la force de frottement est plus faible qu'au repos. Coulomb énonce enfin une troisième loi, propre au frottement des corps en mouvement : 

(3) : Pour la plupart des matériaux, le coefficient de frottement est indépendant de la vitesse de glissement.

Une force de frottement indépendante de la vitesse de glissement caractérise aujourd'hui ce qu'on appelle le frottement solide "idéal".

Il en va différemment pour le frottement fluide, c'est-à-dire lorsque le frottement contre le corps en mouvement est exercé par un liquide ou par un gaz. Ainsi la résistance de l'air opposée aux projectiles et la résistance de l'eau opposée aux navires augmentent avec la vitesse du corps en mouvement. Plus tard Coulomb s'attaquera à l'étude de ce frottement fluide.

Une loi qui semble paradoxale : de Coulomb à l'interprétation moderne

Il peut sembler surprenant que la force de frottement soit indépendante de la surface de contact entre un solide et son support, comme l'exprime la loi (2). On pourrait s'attendre à ce que le frottement entre une brique et son support soit plus important lorsqu'elle est posée sur sa plus grande face plutôt que sur un petit côté. Intuitivement, il semble en effet que plus la surface est grande, plus "ça frotte".

Coulomb propose-t-il une interprétation ?

Pour lui, le frottement "ne peut venir que de l'engrenage des aspérités des surfaces".

Ces aspérités, par exemple les fibres de deux pièces de bois posées l'une sur l'autre, "entrent librement les unes dans les autres" (fig. 8). Lorsqu'on cherche à provoquer le glissement des deux surfaces l'une contre l'autre, les fibres plient, puis se "désengrènent" (fig. 9 et 10).


Aspérités des surfaces en contact dans le frottement solide (Théorie des machines simples..., Recueil des savants étr. de l'Ac. roy. des sc. (1781), 1785)

Selon Coulomb, la proportionnalité du frottement au poids (loi 1) découle, pour le glissement bois sur bois, de ce que l'angle d'inclinaison des aspérités dépend seulement de la grosseur des fibres et non de la pression. Quant à la loi (2), on en cherche vainement une interprétation physique. En tout état de cause, il termine prudemment : 

"Je ne m'étendrai pas davantage sur cette théorie ; elle paraît expliquer avec facilité tous les phénomènes du frottement ; mais l'Académie ne demande aujourd'hui que des recherches qui puissent être utiles : ainsi il serait trop dangereux de se livrer à un système..."

Qu'apportent les travaux de tribologie (science du frottement) menés au vingtième siècle ?

Avec les nouveaux instruments d'observation et de mesures microscopiques apparus dans les années 1980 on constate que la surface de tout solide, même la mieux polie, présente des aspérités dont la taille est de l'ordre du dix millième de millimètre. Mais ces micro-aspérités ne "s'engrènent" pas comme le pensait Coulomb. Le contact s'effectue seulement par l'intermédiaire des aspérités les plus hautes. La surface de contact "réelle" est alors, en général, des dizaines de milliers de fois inférieure à la surface de contact apparente. Autrement dit une brique polie posée sur un support bien lisse ressemble, à l'échelle microscopique, à une brosse posée sur ses poils, pas tous de longueur égale ! Que la brique soit posée sur sa plus petite ou sa plus grande face, la surface de "poils" écrasés, et donc la surface de contact réelle, reste la même. L'intuition d'une force de frottement proportionnelle à la surface de contact était bonne, à condition de considérer la surface "réelle" de contact.

De l'interprétation microscopique des lois du frottement à la solution de quelques énigmes de l'électrostatique ?

Pourquoi l'action de frotter, battre ou presser une résine ou un bâton de verre provoque-t-elle une électrisation ?

La physique moderne explique qu'un transfert d'électrons peut se produire entre deux solides par leur simple mise en contact. Mais la charge transmise par ce simple contact reste en général très faible : on a vu que du fait des micro-aspérités, la surface réelle de contact est extrêmement réduite.

C'est d'ailleurs cette quasi absence de transfert de charge qui explique le caractère "perpétuel" de l'électrophore de Volta, constitué d'un disque de métal que l'on pose sur un disque de résine électrisée. [Voir la page De "l'électrophore perpétuel" de Volta à la machine de Wimshurst et la vidéo L'électrophore "perpétuel" ]

Les techniques empiriques d'électrisation - presser, battre, frotter l'une des surfaces sur l'autre - reviennent toutes à multiplier ou renouveler les zones de contact où s'opère le transfert. [Voir la page L'électricité de pression de Haüy et l'électricité de frottement font cause commune].

Les travaux de Coulomb sur le frottement précèdent ses célèbres études sur l'électricité. Ces considérations nous conduisent aujourd'hui à les rapprocher : l'interprétation des lois du frottement éclaire certains mécanismes de l'électrisation.

Pour en savoir plus

COULOMB, Charles Augustin. Théorie des machines simples, 1821.[Lire sur Gallica]


Les deux derniers paragraphes de cette page sont inspirés de deux chapitres (p. 70-73 et p. 98-101) de : COURTY, Jean-Michel ; KIERLIK, Edouard. Le monde a ses raisons : la physique au cœur du quotidien, Paris : Belin, 2006.

RICHETTI, Philippe ; DRUMMOND, Carlos. Nanotribologie : les processus élémentaires de la friction. Images de la physique 2005. CNRS, 2005, p. 233 - 238. [Voir le PDF]


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité.



Mise en ligne : novembre 2007 (dernière révision : septembre 2013)

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