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Des lycéens s'attaquent au mémoire du jeune Ampère sur la longueur d'un arc de cercle

Gilbert Cros, Anne-Marie Astier
Professeurs de mathématiques
Lycée Ampère-Saxe, Lyon

A Lyon, des élèves de seconde étudient le premier mémoire d'Ampère

Le mémoire d'Ampère à 13 ans

Le 8 juillet 1788 André-Marie Ampère, âgé de treize ans, soumet à l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon un mémoire de mathématiques (1). Il affirme pouvoir déterminer par une construction géométrique la longueur d'un arc de cercle donné. Ce mémoire "Sur la rectification d'un arc de cercle quelconque plus petit qu'une demi circonférence" tient sur une seule page. Certes le jeune garçon ne résout pas ce problème par une construction à la règle et au compas, une telle construction géométrique est d'ailleurs impossible. Mais la propriété qu'il énonce est cependant tout- à fait correcte au niveau théorique (2).

Quelle formation a-t-il reçue ? N'étant jamais allé à l'école, André-Marie a dévoré les livres de la bibliothèque de son père, en particulier l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert où il découvre les mathématiques. Son père a mis à sa disposition quelques livres de mathématiques, comme les traités de Rivard, de Mazéas ou de l'abbé de La Chapelle (voir ci-dessous un extrait de l'autobiographie d'Ampère). Enfin un professeur de Lyon, l'abbé Daburon, lui a donné une vingtaine de leçons sur le calcul différentiel entre janvier et avril 1788.


Extrait de l'autobiographie d'Ampère (Archives de l'Académie des sciences, chemise 326)

Le projet pédagogique

Professeurs de mathématiques au lycée Ampère-Saxe de Lyon, la ville natale d'Ampère, nous avons travaillé sur ce document avec des élèves de Seconde lors d'un Projet d'Action Culturelle en 2005. Le mémoire d'Ampère est en effet accessible à des élèves de lycée pour peu qu'ils soient guidés. Ce travail a été enrichissant à plus d'un titre. Tout d'abord il s'est créé, par delà deux siècles, un lien entre adolescents d'âges équivalents par le biais d'un manuscrit pieusement conservé dans les Archives de l'Académie de Lyon. A treize ans Ampère n'est pas encore un mathématicien éminent, mais un garçon qui se pose des questions à partir des quelques leçons de mathématiques qu'il a récemment reçues. Des lycéens d'aujourd'hui peuvent se sentir en phase avec cet adolescent du XVIIIe siècle et l'important, pour nous, c'est que le courant soit passé...

Le problème que se pose André-Marie - rectifier un arc de cercle, c'est à-dire construire un segment de droite de même longueur - a d'abord suscité l'étonnement des élèves. Ils ont appris à l'école primaire que le périmètre d'un cercle de rayon R est 2πR. Mais cette propriété, en principe bien connue, est rarement démontrée ultérieurement. Quant à la longueur d'un arc de cercle, cela paraît encore plus compliqué... Aujourd'hui, même si on peut le regretter, les exercices de construction à la règle et au compas sont passés de mode. Les élèves sont plutôt encouragés à utiliser des logiciels de dessin qui ne permettent pas de distinguer les constructions géométriques sous-jacentes, même si ces logiciels reposent sur ces constructions.

Ce fut donc, en premier lieu, pour le groupe, un sujet d'étonnement. Quelle idée de se préoccuper de la mesure d'un arc de cercle en cherchant à construire un segment de droite de même longueur ? Cela demande déjà une réflexion poussée, en particulier sur la notion de mesure d'un angle, ce qui est loin d'être évident même à un niveau supérieur.

En outre, la lecture du document demande un effort de traduction du langage du XVIIIe siècle en français contemporain et des notations mathématiques en langage mathématique moderne. Cet effort, partagé par les élèves et les professeurs, a permis une réflexion sur l'évolution du langage mathématique. Les symboles auxquels nous sommes habitués ne sont pas tombés du ciel mais ont été construits laborieusement par des générations de mathématiciens. Cela permet ainsi de mieux apprécier l'esthétique, la simplicité et l'efficacité du symbolisme mathématique utilisé aujourd'hui. En se penchant sur des ouvrages de mathématiques étudiés par Ampère, les élèves ont été surpris de voir qu'à l'époque une démonstration mathématique pouvait être exposée d'une manière peu rigoureuse selon nos critères actuels. André-Marie, à treize ans, procède comme ses livres de référence. Par exemple un traité de l'abbé de La Chapelle, étudié par Ampère, résout par une solution géométrique "très simple et fort approchée" le problème de la division de l'aire d'un cercle :


Abbé de la Chapelle, Traité des sections coniques, 1750, p. 165.

Bilan et perspectives

Les deux démonstrations proposées par Ampère dans son mémoire ont été commentées, travaillées et remises en forme dans un langage accessible au niveau de la Seconde.

Une étude purement géométrique du problème a ensuite été réalisée à l'aide du logiciel de construction mathématique Geoplan.

Enfin une généralisation analytique rigoureuse a été établie par les professeurs et mise au niveau des élèves par voie géométrique. Suite à cette généralisation nous proposons d'appeler "transformée d'Ampère" la courbe utilisée par Ampère pour sa démonstration.

Cette étude peut présenter un intérêt pédagogique à divers niveaux :

  • en Seconde :
    • Les notions classiques du programme sont mises en oeuvre : théorème de Pythagore, triangles semblables, calcul algébrique,...
    • A l'aide du logiciel Géoplan, on peut tracer, point par point, la "transformée d'Ampère" d'un arc de cercle ou d'un arc d'une courbe quelconque.
  • en Première et Terminale S :
    • Les élèves peuvent s'approprier, de manière certes superficielle, les notions de limite, de taux de variation, de tangente à une courbe et cela en accord avec la démarche historique.
    • l'usage conjoint de la géométrie, de l'algèbre et de l'analyse est particulièrement intéressant.
  • dans l'enseignement supérieur :
    • Les notions de géométrie différentielle, d'abscisse curviligne, de trièdre de Serret-Frenet, de limites généralisées, d'équivalence arc - corde pour une courbe "convenable" peuvent être introduites de façon artisanale mais accessible pour peu que l'on prenne le temps de le faire sur des exemples.
    • L'étude des développées et développantes qui constituait une bonne partie des leçons de l'abbé Daburon peut s'introduire à ce niveau.


Etude mathématique du mémoire d'Ampère


1. Sur l'histoire de ce manuscrit voir l'édition qui en a été faite par Louis de Launay dans la Correspondance du Grand Ampère, t.3 , Paris, 1943, p. 827-831. En ligne

2. On sait depuis 1882, grâce à Ferdinand von Lindemann qui a montré que π est un nombre transcendant, qu'une telle construction est impossible.