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Documents et études > CARRON, Lettres d’Elise, .
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Élise Carron à sa soeur Julie (1) (a)
[Dimanche 11 décembre 1796] 

Enfin il est venu hier, bien tremblant de froid, et encore plus de la crainte que maman ne trouvât 
fort mauvais qu'il eût été te voir, ou plutôt prendre les lettres pour nous. Mais voici comment 
la chose se passa, car je vois bien que tu veux des détails. Tu sauras que maman se met à présent 
à ta place, parce qu'elle a condamné la porte qui glaçait la salle et que, par conséquent, on 
n'y voit guère plus qu'il ne faut, surtout lorsqu'on vient de fixer la neige. Bref, il entre et ne 
voit point la petite Pélagot qui était derrière le cornet du poêle. Aussitôt que Claudine fût 
sortie, il dit : « Madame, j'ai vu Mademoiselle votre fille ». Je l'arrêtai tout court, en 
faisant des signes redoublés. Lui, croyant mettre l'emplâtre, reprit : « Mais Claudine est 
sortie, on ne peut nous entendre, je vais parler plus bas. » La petite ouvrait les yeux de tout son 
pouvoir. Quand je vis que les signes n'y faisaient rien, je parlai à la fillette de son travail, de 
son bas qu'elle n'avançait point. Il fut tout pétrifié, voulut raccommoder encore ; mais la 
pièce n'allait pas au trou. Enfin, la Pélagot sortit ; il dit alors qu'il était bien en peine de 
la crainte de t'avoir blessée, que tu avais prononcé ces mots : « Je suis étonnée, Monsieur, de 
vous voir ici, et maman ne vous cachera sûrement pas ce qu'elle en pense. » « Ainsi, Madame, si 
j'ai mal fait, je n'en sais rien. On m'assure qu'il faut voir le monde ; moi, en arrivant à Lyon, 
je vais chez Monsieur votre fils ; j'y trouve Mme Carron et sa mère, Mme de Campredon ; on me dit 
que Mademoiselle votre fille est arrivée et que je n'ai qu'à repasser le lendemain pour prendre 
des lettres. J'y vais, et j'en suis bien fâché à présent, car certainement j'ai contrarié Mlle 
Julie... » Maman le vit si malheureux qu'elle ajouta de suite : « Mais, Monsieur, vous ne pouviez 
pas prévoir que ma fille était à Lyon. » Il l'interrompit en disant : « Hélas, Madame, je le 
savais de la veille ; je vous ai bien dit que je le savais. Malgré cela, je fus prendre les lettres 
que Madame votre belle-fille m'avait promises et qu'on ne m'a point données. » Je lui dis en riant 
: « Ma soeur pensait probablement que votre séjour à Lyon serait plus long, et c'était plutôt 
un avertissement qu'une réprimande, craignant que vos visites ne se renouvelassent et ne fissent 
jaser. Mais il faut prendre son parti et ne pas tant se fatiguer d'une chose faite. » Note qu'il 
avait les yeux brillants et que le menton lui tremblait comme à quelqu'un qui est prêt à 
pleurer... « Vous croyez donc, Mademoiselle, qu'on ne m'en voudra pas trop ? Oh, que vous me faites 
plaisir ! Et vous, Madame, vous n'êtes pas si fâchée contre moi que je l'avais craint... » 

(1) D'après Mme Cheuvreux, p. 56. La date du 8 janvier qu'elle donne est fantaisiste. La date 
réelle ressort du journal. 

(a) Correspondance du Grand Ampère, t. I, p. 028-029
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