Pictet, Marc-Auguste à Ampère, André-Marie
Genève,
21 octobre 1814 Nous eûmes hier mon très cher ami et excellent collègue
l'assemblée de notre Société de physique et d'hist. nat. que je vous avais
annoncée, et dans laquelle j'offris de votre part l'écrit que vous lui aviez
destiné, qui fut accueilli avec reconnaissance et remerciements que je suis
chargé de vous transmettre. On accueillit aussi unanimement la proposition que je fis,
de vous attacher à nous en qualité d'associé honoraire ; et quoique nos
formes exigent toujours le délai d'un mois entre la présentation et l'admission
définitive, vous pouvez dès ce moment vous considérer comme l'un de nos
membres, et je saisirai la première occasion de vous envoyer le Diplôme dès
qu'il sera expédié. Nous nous félicitâmes à bon droit de
cette acquisition ; et pour ma part, un lien de plus avec vous, mon excellent ami, est une
addition très notable à mes moyens de bonheur dans ce monde ; ce lien me devient
plus précieux à mesure que nous sommes menacés de voir se relâcher
ou se rompre celui qui nous rattache l'un et l'autre à l'université, et
établit entre nous une communauté d'intérêts et de travaux qui m'est
bien précieuse. Cependant le décret récent sur la séparation
de nos écoles Écclésiastiques qu'on ôte à notre domaine
ordinaire, me semble plutôt consolider l'Université que lui nuire. J'y vois le
résultat d'une espèce d'accommodement ou de concordat, succédant à
une guerre sourde, à laquelle nous étions menacés de succomber à la
fin. J'ai toujours été frappé dans l'exercice de mes fonctions, des effets
de cette lutte qui existait entre l'esprit et les formes des institutions
Ecclésiastiques proprement dites, et l'esprit et les formes des études classiques
qu'on voulait mener de front et soumettre à une inspection commune et souvent
laïque. Cela se peut, et est bon peut-être dans un système d'instruction
où (comme chez nous) les études religieuses font partie intégrante et
essentielle des études classiques dès les premiers degrés de celles-ci ;
mais il n'en était point ainsi dans l'université ; rien de plus
hétérogènes, que des principes, des moeurs, des habitudes qu'on voulait
confondre et une machine aussi mal constituée devait crier en travaillant, et s'user par
les frottements. Je conviens qu'il résultera de sa séparation une très
grande diminution dans les revenus de l'université, diminution dont les
conséquences nous menacent ; mais tant d'autres maux nous menacent et ne nous atteignent
pas, qu'un de plus ou de moins dans toutes ces grandes chances n'est pas un objet dont on doive
s'inquiéter outre mesure, à ce qu'il me semble. J'attends toujours de notre
chef un signe quelconque pour partir. En attendant, j'ai demandé, ou plutôt
donné, ma démission du Corps représentatif de notre République,
auquel j'avais été porté par les suffrages des Électeurs, quoique
je ne fusse pas inscrit au nombre des candidats : ainsi je demeure libre de tout lien et
prêt à me rendre à mon poste dès que j'y serai appelé ; je
persiste à croire que j'aurais tort de prétendre prévenir à cet
égard les intentions du G. M [Grand Maître]. Je lui ai écrit encore
à l'occasion de la démission dont je viens de parler. Il ne m'a pas
répondu, parce qu'il ne répond guère, mais comme il sait mon voeu, et je
crois pouvoir compter sur la continuation de sa bienveillance. Nos amis Davy sont partis
depuis trois semaines au moins. Je n'en ai pas encore de nouvelles. Davy n'a point
employé ici son temps comme il aurait dû le faire pour le bien de la science. La
chasse et la pêche et la Société ont beaucoup nui aux travaux chimiques. Sa
femme a gagné tous les coeurs. Adieu mon très cher et excellent
Collègue. Veuillez me rappeler dans l'occasion aux bons amis qui sont aussi les
vôtres, ente autres à notre cher et féal Degerando. J'espère qu'il
est un peu plus rendu à la Société qu'il ne l'était jadis. Adieu
encore, je vous embrasse et suis tout à vous. Pictet
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Lettre publiée dans PICTET, Marc-Auguste. Correspondance. Sciences et techniques, t. II Les correspondants français. éd. René Sigrist, Genève : Slatkine, 1998, p.39-40
Source de l'édition électronique de la lettre : PICTET, Marc-Auguste. Correspondance. Sciences et techniques, t. II Les correspondants français. éd. SIGRIST, René. Genève : Slatkine, 1998, p.39-40
Autre source de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, dossier M.-A. Pictet [note de René SIGRIST]
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr893.html
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