@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Correspondance d'Ampère, Lettre L1028

Présentation de la Correspondance

Beudant, François      à      Ampère, André-Marie


Marseille, le 9 7bre 1812

Monsieur,

J'ai bien regretté que votre inspection cette année ne se soit pas étendue jusqu'au lycée de Marseille ; d'abord parce que j'ai été privé de l'avantage de vous voir, et ensuite parce que j'avais grand besoin de vos conseils ; j'ajouterais même parce que dans un lycée désorganisé, il était bien nécessaire d'avoir quelqu'un habitué à bien juger, et qui s'occupât fortement des sciences. Je vous avoue que s'il se fait une nouvelle inspection de cette espèce, il pourra arriver que les élèves se moquent de leur examinateur, et déjà on a beaucoup murmuré. M. Félix adjoint à M. [Roman] a fait en mathématiques des examens pitoyables, il donna constamment aux élèves la preuve qu'il en savait moins qu'eux. Une chose surtout fit un très grand effet ; il demanda dans quel rapport se trouvaient les surfaces, sans autres explications. Plusieurs élèves, parmi ceux qui raisonnent bien, répondirent qu'ils ne le savaient pas, un autre répondit qu'elles étaient dans le rapport des carrés des lignes homologues, ce dont M. l'examinateur fut très content et sur quoi il fit beaucoup de compliments à l'élève ; cependant les élèves même de la classe firent la réflexion que cela ne se rapportait à la demande qu'autant qu'on aurait ajouté de nouvelles conditions ; ceci fit la risée des élèves pendant plusieurs jours.
J'ai appris il y a quelques jours le changement de M. [Merbert], ce dont je suis fort content, non pas pour la personne car je n'ai nullement à m'en plaindre, c'est un brave et digne homme, mais il ne convenait pas à la place qui lui était confiée.
Il est un autre changement non moins important à faire, mais je ne veux en parler qu'à vous, c'est celui du recteur, qui n'entend rien à son affaire, qui n'a que le mérite d'être tout Joubert, tout [Roman] (j'avoue que ce ne sont pas là mes modèles), qui ne sait prendre aucun parti, et semble chercher continuellement à abaisser le corps dont il est cependant ici le chef.
Puisque je suis en train, je vous raconterai quelques particularités. D'abord M. le recteur a chargé la commission administrative de veiller sur les études, de visiter les classes, d'interroger les élèves ; vous concevrez que cela nous a un peu indisposés, mais toutes les représentations n'ont rien fait. Ces M.M. nommèrent donc des examinateurs et embauchè[rent] M. Séjourné. Celui-ci demanda dans les classes de mathématiques comment on s'y prenait pour diviser l'ellipse en degrés, tout le monde se mit à rire, voyez le bel effet, il eut l'air de demander si les livres étaient par demandes et par réponses, &c. Ces M.M. cependant n'osèrent point venir dans mes classes, parce que j'ai la réputation d'être très sec et très sévère.
M. le recteur a fait aujourd'hui une nouvelle équipée, ne voulant pas venir présider à la distribution des prix, il voulut charger le bureau d'administration d'y présider à sa place. Nous fîmes des réclamations, et au lieu d'y répondre M. le recteur écrivit au bureau qu'il méritait une place infiniment plus élevée. Cependant il vint à Marseille, et il fut décidé que le bureau se trouverait avec nous et aurait la prééminence. Nous ne pûmes nous empêcher de dire que nous n'assisterions à la cérémonie, et M. Coëtlogon qui n'était pas encore sorti de la [Davideide ?] proposa de nous y forcer. Tout en resta là, mais il en résultait que les autorités se trouvaient dominées par le bureau ; le préfet qui sut aussi notre histoire fut choqué et vint y interposer son autorité, pria le bureau d'aller se mettre au parterre, nous pria de nous mettre à la droite du recteur et s'empara de la gauche avec les autorités ; M. Séjourné voulant se justifier, finit par dire des sottises au préfet, comme par exemple qu'il n'avait pas le costume universitaire, le préfet répondit que le sien était assez connu.
Jugez comment nous sommes gouvernés, et ce n'est là qu'une portion de ce que je pourrais vous raconter.
Nous avons été assez mécontents de M. [Roman], il m'a dit une chose assez remarquable. Nous causions des sciences, et il voulut me prouver qu'elles étaient inutiles ; ce fut en vain car je le poussai fort loin ; lorsqu'il fut au bout, il finit par me dire que son sentiment était que les sciences n'existassent pas dans les lycées. Je répondis que c'était contre le vœu de l'Empereur et contre ses décrets, et je m'en fus quelques moments après.
M. Mouran me rencontrant un autre jour, me parla encore de sciences ; mais il n'avait pas le même ton : il me communiqua l'idée qu'il avait de rendre les cours de sciences physiques publics. Je lui ai remis une note à cet égard, je ne sais l'usage qu'il en fera. Il m'a dit qu'il voulait établir la faculté des sciences à Marseille. Si cela arrivait je me recommanderais à vous, car je souffrirais d'y voir un autre que moi, à moins qu'il ne l'eût emporté au concours.
J'attends avec impatience l'année prochaine, tant parce que j'espère vous voir pendant l'inspection, que parce que j'ai l'espoir de vous voir à Paris.
Cette chaire de sciences physiques exige beaucoup de travail : un seul professeur chargé de cinq cours différents. J'ai fait cette année physique et chimie, l'année prochaine sera employée aux trois parties d'histoire naturelle. J'aurais eu tant bien besoin de vos conseils.
Je suis avec un profond respect, Monsieur et cher ami, votre très humble et très obéissant serviteur.

Beudant.



  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXI, chemise 311bis.


Voir le fac-similé :
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr1028.html

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