Beudant, François à Ampère, André-Marie
Marseille,
le 9 7bre 1812 Monsieur, J'ai bien regretté que votre inspection cette année ne
se soit pas étendue jusqu'au lycée de Marseille ; d'abord parce que j'ai
été privé de l'avantage de vous voir, et ensuite parce que j'avais grand
besoin de vos conseils ; j'ajouterais même parce que dans un lycée
désorganisé, il était bien nécessaire d'avoir quelqu'un
habitué à bien juger, et qui s'occupât fortement des sciences. Je vous
avoue que s'il se fait une nouvelle inspection de cette espèce, il pourra arriver que
les élèves se moquent de leur examinateur, et déjà on a beaucoup
murmuré. M. Félix adjoint à M. [Roman] a fait en mathématiques des
examens pitoyables, il donna constamment aux élèves la preuve qu'il en savait
moins qu'eux. Une chose surtout fit un très grand effet ; il demanda dans quel rapport
se trouvaient les surfaces, sans autres explications. Plusieurs élèves, parmi
ceux qui raisonnent bien, répondirent qu'ils ne le savaient pas, un autre
répondit qu'elles étaient dans le rapport des carrés des lignes
homologues, ce dont M. l'examinateur fut très content et sur quoi il fit beaucoup de
compliments à l'élève ; cependant les élèves même de
la classe firent la réflexion que cela ne se rapportait à la demande qu'autant
qu'on aurait ajouté de nouvelles conditions ; ceci fit la risée des
élèves pendant plusieurs jours. J'ai appris il y a quelques jours le
changement de M. [Merbert], ce dont je suis fort content, non pas pour la personne car je n'ai
nullement à m'en plaindre, c'est un brave et digne homme, mais il ne convenait pas
à la place qui lui était confiée. Il est un autre changement non
moins important à faire, mais je ne veux en parler qu'à vous, c'est celui du
recteur, qui n'entend rien à son affaire, qui n'a que le mérite d'être tout
Joubert, tout [Roman] (j'avoue que ce ne sont pas là mes modèles), qui ne sait
prendre aucun parti, et semble chercher continuellement à abaisser le corps dont il est
cependant ici le chef. Puisque je suis en train, je vous raconterai quelques
particularités. D'abord M. le recteur a chargé la commission administrative de
veiller sur les études, de visiter les classes, d'interroger les élèves ;
vous concevrez que cela nous a un peu indisposés, mais toutes les représentations
n'ont rien fait. Ces M.M. nommèrent donc des examinateurs et embauchè[rent] M.
Séjourné. Celui-ci demanda dans les classes de mathématiques comment on
s'y prenait pour diviser l'ellipse en degrés, tout le monde se mit à rire, voyez
le bel effet, il eut l'air de demander si les livres étaient par demandes et par
réponses, &c. Ces M.M. cependant n'osèrent point venir dans mes classes,
parce que j'ai la réputation d'être très sec et très
sévère. M. le recteur a fait aujourd'hui une nouvelle
équipée, ne voulant pas venir présider à la distribution des prix,
il voulut charger le bureau d'administration d'y présider à sa place. Nous
fîmes des réclamations, et au lieu d'y répondre M. le recteur
écrivit au bureau qu'il méritait une place infiniment plus élevée.
Cependant il vint à Marseille, et il fut décidé que le bureau se
trouverait avec nous et aurait la prééminence. Nous ne pûmes nous
empêcher de dire que nous n'assisterions à la cérémonie, et M.
Coëtlogon qui n'était pas encore sorti de la [Davideide ?] proposa de nous y
forcer. Tout en resta là, mais il en résultait que les autorités se
trouvaient dominées par le bureau ; le préfet qui sut aussi notre histoire fut
choqué et vint y interposer son autorité, pria le bureau d'aller se mettre au
parterre, nous pria de nous mettre à la droite du recteur et s'empara de la gauche avec
les autorités ; M. Séjourné voulant se justifier, finit par dire des
sottises au préfet, comme par exemple qu'il n'avait pas le costume universitaire, le
préfet répondit que le sien était assez connu. Jugez comment nous
sommes gouvernés, et ce n'est là qu'une portion de ce que je pourrais vous
raconter. Nous avons été assez mécontents de M. [Roman], il m'a dit
une chose assez remarquable. Nous causions des sciences, et il voulut me prouver qu'elles
étaient inutiles ; ce fut en vain car je le poussai fort loin ; lorsqu'il fut au bout,
il finit par me dire que son sentiment était que les sciences n'existassent pas dans les
lycées. Je répondis que c'était contre le vœu de l'Empereur et
contre ses décrets, et je m'en fus quelques moments après. M. Mouran me
rencontrant un autre jour, me parla encore de sciences ; mais il n'avait pas le même ton
: il me communiqua l'idée qu'il avait de rendre les cours de sciences physiques publics.
Je lui ai remis une note à cet égard, je ne sais l'usage qu'il en fera. Il m'a
dit qu'il voulait établir la faculté des sciences à Marseille. Si cela
arrivait je me recommanderais à vous, car je souffrirais d'y voir un autre que moi,
à moins qu'il ne l'eût emporté au concours. J'attends avec impatience
l'année prochaine, tant parce que j'espère vous voir pendant l'inspection, que
parce que j'ai l'espoir de vous voir à Paris. Cette chaire de sciences physiques
exige beaucoup de travail : un seul professeur chargé de cinq cours différents.
J'ai fait cette année physique et chimie, l'année prochaine sera employée
aux trois parties d'histoire naturelle. J'aurais eu tant bien besoin de vos conseils. Je
suis avec un profond respect, Monsieur et cher ami, votre très humble et très
obéissant serviteur. Beudant.
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Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXI, chemise 311bis.
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr1028.html
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