@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

[Accueil] [Plan du site]

Une nouvelle plateforme est en cours de construction, avec de nouveaux documents et de nouvelles fonctionnalités, et dans laquelle les dysfonctionnements de la plateforme actuelle seront corrigés.

@.ampère

Parcours historique > L'expérience de Hans-Christian Œrsted (1820)

Une expérience qui dérange… et passionne

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

Dans le monde savant de l'époque - et tout particulièrement en France - l'étrangeté de la découverte, comme les opinions anciennes de son auteur, prêtent au plus grand scepticisme. "Rêverie allemande" ? Pourtant dès la fin de l'été l'expérience aura été répétée à travers toute l'Europe, en particulier à Genève en présence du jeune Arago. L'évidence et l'intérêt du phénomène sont tels qu'Arago en parle dès le 4 septembre à l'Académie des sciences, puis face au scepticisme rencontré, répète l'expérience le 11.

Parmi les auditeurs d'Arago, Ampère. C'est le point de départ de quelques semaines de recherches frénétiques pendant lesquelles il va jeter les bases de l'électrodynamique.

Le bonhomme d'Ampère par Ampère.

C'est dans la riche communication qu'il présente dès le 18 à l'Académie qu'apparaît son fameux "bonhomme", permettant de prédire le sens de la déviation de l'aiguille sans recourir, comme dans le mémoire d'Oersted, à une longue énumération des cas de figures possibles. Mais surtout, le bonhomme matérialise une nouvelle grandeur physique : le courant électrique. Ampère est le premier à affirmer que "quelque chose" circule de façon continue, y compris à travers la pile, lorsque les deux pôles de cette dernière sont reliés par un conducteur.

Le "bonhomme": dessin d'Ampère (Archives de l'Académie des Sciences).

Comme l'écrit le physicien français Pouillet, "M. Ampère ne se contente pas de donner une direction au courant, il lui donne encore une tête, des pieds, une droite et une gauche ; il en fait un homme... image facile qui supplée à une foule de paroles" (Claude-Servais Pouillet, Elémens de physique expérimentale et de météorologie, t1, 1828, p. 680 )

...Un scandale pour la raison ?

En France, au début du XIXe siècle, la physique est "newtonienne" au sens où elle se fixe pour programme de réduire tous les phénomènes physiques à des interactions instantanées et à distance entre corpuscules ou entre fluides impondérables.

Ces actions sont caractérisées par des forces :

• portées par la droite qui joint les éléments matériels

• d'intensité inversement proportionnelles au carré de leur distance.

En termes modernes, la valeur commune des forces F et F', pour la loi de Newton de la gravitation et pour les lois de Coulomb de l'électricité et du magnétisme, est :

F = k m.m'/d2

où d est la distance entre les entités qui interagissent, m et m' désignant, selon le cas, leurs masses ou bien les valeurs absolues de leurs "charges électriques" ou de leurs "masses magnétiques".

Si les charges électriques ou les masses magnétiques sont de même signe, les forces sont, contrairement au cas de figure ci-dessus, répulsives. k est une constante qui dépend de la nature de l'interaction et du système d'unité.

Mais si les lois d'interaction entre masses, entre charges électriques et entre pôles d'aimants, sont d'une remarquable similitude, les phénomènes, eux, sont radicalement distincts. Il n'y a d'interaction qu'entre entités de même nature. L'idée d'une interaction entre électricité et magnétisme paraît alors aussi absurde que d'attribuer la gravitation à des forces magnétiques !

La découverte d'Oersted est donc doublement dérangeante : d'une part elle met à mal la frontière entre électricité et magnétisme, d'autre part l'action subie par l'aiguille aimantée n'est pas réductible à des forces attractives ou répulsives entre le fil et l'un ou l'autre pôle de cette aiguille. Le "vrai caractère de la force électromagnétique", dira plus tard Pouillet, est celui d'une "force directrice qui tourne toujours l'aiguille [de sorte qu'elle se mette] en croix avec le courant". L'explication par les "tourbillons" d'Oersted évoque ceux par lesquels Descartes "expliquait" les mouvements célestes et apparaît donc comme un retour en arrière vers une physique purement spéculative.

Enfin, la défiance est grande envers les convictions philosophiques qu'affiche Oersted, et qui l'ont guidé dans ses recherches. Comme un certain nombre de philosophes et savants de culture germanique au début du XIXe siècle, il adhère aux vues de la Naturphilosophie, vision romantique de la nature qui affirme l'unité profonde des phénomènes. Dans cette vision, affinité chimique, lumière, chaleur, électricité et magnétisme sont des manifestations d'un principe unique qui réside pour Oersted  dans l'électricité.

"Ayant depuis longtemps considéré les forces qui se manifestent dans l'électricité, comme les forces générales de la nature, il fallait bien que j'en fisse dériver aussi les forces magnétiques" Oersted, 1821.

Cette recherche d'une essence commune relève, pour les physiciens mathématiciens français, de spéculations non fondées. A l'inverse, pour les savants "romantiques", la nature ne peut être réduite à un système d'explications mécanistes, et les mathématiques ne peuvent rendre compte de sa complexité. Le poète Schiller écrit, au sujet de Humboldt qui tente de diffuser en Allemagne la conception "française" des sciences : "Je déteste sa prétention de soumettre au compas l'insondable et mystérieuse nature, et de l'emprisonner ainsi dans des formules qui ne sont souvent que des mots". De fait, Oersted ne s'intéresse pas à la recherche d'une loi mathématique de l'action subie par l'aiguille aimantée.

Nouvelles théories explicatives :

Rares sont les physiciens qui reprennent l'explication donnée par Oersted lui-même.
Une voie de recherche, qui sauverait le principe de l'interaction entre entités de même nature, est ouverte par Biot. Il propose de réduire le phénomène découvert par Oersted au seul magnétisme, en imaginant une aimantation temporaire du fil conducteur. Aimantation difficile à se représenter : chaque tranche de conducteur se comporterait comme si des aiguilles aimantées tapissaient en quelque sorte son contour. Avec Savart, Biot effectue des mesures très délicates pour déterminer la loi mathématique de l'action d'une telle tranche de conducteur sur une "molécule de magnétisme" ("masse magnétique" élémentaire Nord ou Sud). Laplace participe à la réflexion sur les résultats obtenus, dont Biot et Savart donnent un premier exposé dès octobre 1820.

La loi élémentaire obtenue, dite de Biot-Savart-Laplace, sauve partiellement le modèle newtonien et coulombien : la force entre un élément de conducteur et un pôle d'aimant est en raison inverse du carré de leur distance [Voir la page A la recherche d'une loi newtonienne pour l'électrodynamique]. Mais loin d'être dirigée selon la droite menée du fil au pôle d'aimant, elle lui est orthogonale ! Si la loi obtenue est mathématiquement exacte, la nature de l'explication fera obstacle à la compréhension de phénomènes nouveaux : les interactions entre courants. Dans le programme que poursuit Biot, l'état de mouvement des corps ne doit pas intervenir dans l'expression des forces.

C'est à Ampère qu'il revient d'ouvrir une voie entièrement nouvelle, celle de l'interaction entre courants, fondant ainsi une branche nouvelle de l'électricité : l'électrodynamique. L'hypothèse qu'il émet dès sa communication du 18 septembre est celle de l'existence de courants dans les aimants [Voir la page Ampère jette les bases de l'électrodynamique]. La loi mathématique qu'il recherche ensuite est, à la différence de Biot, celle de l'action mutuelle de deux éléments de courant, dont il donne une ébauche dès octobre 1820 : la force satisfait là aussi au principe newtonien de l'inverse carré de la distance, et Ampère la suppose en outre dirigée suivant la ligne qui joint ces derniers. Mais son intensité dépend de façon complexe de leur orientation relative : il s'attachera, les mois suivants, à en préciser l'expression mathématique. [Voir la page A la recherche d'une loi newtonienne pour l'électrodynamique]


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité.



Mise en ligne : mars 2006

Retour

© 2005 CRHST/CNRS, conditions d'utilisation. Directeur de publication : Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS