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Parcours historique > Mythes et légendes de l'électricité et du magnétisme

LE MESMÉRISME OU "MAGNÉTISME ANIMAL" : 
UN PUISSANT MOUVEMENT CULTUREL A LA FIN DU 18e SIÈCLE

par Dolores Martín

A la fin du 18e siècle les phénomènes électriques et magnétiques émerveillent le public aussi bien que les savants européens et américains et ils constituent un domaine central de la science expérimentale. Bien que l'électricité et le magnétisme aient été occasionnellement utilisés dans un but thérapeutique à des époques antérieures, c'est à cette période que se multiplient les explications du fonctionnement des êtres vivants à partir de ces deux propriétés de la nature. Parmi les différentes doctrines qui prônent l'unification des forces de la Nature, un courant mérite une attention spéciale par l'importance de son influence culturelle sur la société française prérévolutionnaire : le mesmérisme ou "magnétisme animal". Le mesmérisme, qui affirmait la possibilité de soigner les malades par l'action d'un magnétiseur ou de substituts magnétiques, rencontra en effet un très grand succès. Mais il finit par être perçu par le pouvoir scientifique et politique comme un danger social, remettant en cause l'autorité de la science et de la médecine. Le magnétisme animal représentait-il une nouvelle thérapeutique s'appuyant sur la science ou bien n'était-ce qu'un mythe forgé par un charlatan autrichien ayant enflammé l'imagination de la société française ?

Un médecin qui attire et intrigue

Lors de sa formation au séminaire jésuite de Dillingen dans l'Empire austro-hongrois, Franz Anton Mesmer (1734-1815) étudie les œuvres du savant jésuite Athanasius Kircher (1602-1680) qui décrit de nombreuses curiosités scientifiques dont les applications thérapeutiques de l'aimant. En 1759 Mesmer est reçu docteur en philosophie et va suivre à l'université de Vienne des cours de droit puis de médecine. Cette université avait une tradition dans l'étude des applications thérapeutiques de l'électricité et du magnétisme, associés à l'alchimie, à la théosophie et aux savoirs occultes1.


Franz Anton Mesmer

C'est dans cet environnement culturel que Mesmer présente en 1766 une thèse de médecine, intitulée De l'influence des planètes sur le corps humain, qui se propose de comprendre le comportement du corps humain à l'aide d'une analogie avec les mouvements des planètes, eux-mêmes expliqués par une force magnétique due à un fluide invisible et cause de tout mouvement dans l'univers. Il reprenait une thèse controversée, avancée par d'autres avant lui comme le médecin anglais Richard Mead qui affirmait l'influence des astres sur le corps humain : 
"Il y aura des gens qui fronceront les sourcils et dont j'encourrai les reproches, écrit Mesmer, quand ils liront le titre de cette petite thèse et verront comment un homme comme moi, bien que sans importance, entreprend, après tant d'efforts du célèbre Mead, d'insister sur l'influence des astres".
La thèse de Mesmer s'appuyait sur diverses traditions : les idées paracelsiennes, l'astrologie et certaines présentations de la philosophie newtonienne, afin de démontrer l'existence d'un fluide magnétique jouant un rôle central dans le comportement des êtres vivants et différent du fluide magnétique responsable du magnétisme du fer et de l'acier.
Dès 1773 Mesmer fait connaître sa procédure thérapeutique avec le traitement d'une jeune femme, Mme Oesterlin, qui présentait des convulsions accompagnées de paralysies, de délires mélancoliques et de fièvres. Il établit un rapport entre la périodicité des symptômes manifestés par la jeune femme et celle des marées, et cherche à faire éprouver à son corps des flux et reflux du fluide magnétique à l'aide de tiges de fer aimantées. En peu de temps les symptômes de la maladie disparaissent et Mesmer devient une des personnalités les plus célèbres de la cour de Vienne, qui attribue les résultats positifs de ses pratiques à la fois à l'influence de l'aimant sur le corps humain et au charisme de sa personnalité.
Mais sa popularité à Vienne fut de courte durée. Mesmer avait également prodigué ses soins à la célèbre pianiste aveugle Maria-Theresa von Paradis, fille du secrétaire de la cour impériale2. La vision de la jeune fille s'améliore, mais Mesmer est accusé de l'avoir séduite et il lui est officiellement interdit de continuer à pratiquer la médecine à la Cour. Finalement, l'affaire suscite un scandale et il doit quitter Vienne. Il installe son cabinet à Paris, place Vendôme.


"L'opérateur met en crise sa patiente"
The Bakken A Library and Museum of Electricity in Life

C'est à Paris que le mesmérisme devient un courant social, culturel et politique des plus importants dans l'Europe de la fin des Lumières. Le mesmérisme s'est diffusé auprès du public français à travers la clinique de Mesmer, son centre parisien de soin et d'enseignement, mais aussi par des loges maçonniques mesméristes qui se sont multipliées dans les principales villes de France. Ainsi à Lyon le mesmérisme touche de nombreux médecins dont Louis Bredin, directeur de l'école vétérinaire et père de l'ami intime d'Ampère, Claude-Julien Bredin. Ampère lui-même s'est également intéressé au magnétisme animal, en particulier lors de la maladie de sa première femme.

La fièvre mesmériste dans la France prérévolutionnaire

Comme l´a montré l'historien Robert Darnton, Paris est considéré à la veille de la Révolution comme la capitale européenne du merveilleux. L'effervescence dans le domaine politique y est associée à un enthousiasme prodigieux pour le progrès de la science incarné à travers des inventions telles que la montgolfière3.

Dans cet univers culturel, Mesmer n'est pas seul à soutenir l'existence d'un fluide mystérieux aux propriétés merveilleuses. Diverses théories scientifiques de l'époque recourent à des fluides pour expliquer aussi bien la reproduction des êtres vivants que les phénomènes du magnétisme ou de l'électricité, mais c'est la doctrine de l'Autrichien qui provoque les plus vives discussions non seulement à la Cour de Louis XVI mais aussi dans les cafés de Paris où les radicaux préparent la Révolution.

En 1779 Mesmer publie en français son œuvre majeure, le Mémoire sur la découverte du magnétisme animal4, qui exprime sa pensée en vingt-sept thèses s'appuyant sur l'existence d'un fluide très subtil, invisible à nos sens, qui pénètre l'univers tout entier et serait la cause réelle des différents phénomènes physiques. Ainsi, d'après sa thèse numéro deux, "un fluide universellement répandu et continu d'une manière à ne souffrir aucun vide, dont la subtilité ne permet aucune comparaison et qui, de sa nature est susceptible de recevoir, propager et communiquer toutes les impressions du mouvement, est le moyen de cette influence".

Pour Mesmer ce fluide est de nature magnétique mais il explique d'autres propriétés de la nature : "Ce système fournira de nouveaux éclaircissements sur la nature du feu et de la lumière, ainsi que dans la théorie de l'attraction, du flux et reflux de l'aimant et de l'électricité".
Ainsi le fluide de Mesmer se manifesterait à travers les différentes forces de la Nature comme la chaleur, l'électricité et le magnétisme et il serait la cause de l'attraction des planètes dans l'espace comme des mouvements de la vie. Ce fluide magnétique présent dans tous les animaux, "s'insinuant dans la substance des nerfs", se manifesterait en particulier dans le corps humain en montrant "des propriétés analogues à celles de l'aimant". Mesmer insiste sur le fait qu' "on y distingue des pôles également divers et opposés, qui peuvent être communiqués, changés, détruits et renforcés ;  le phénomène même de l'inclinaison y est observé"5.

La capacité du magnétiseur à manipuler le fluide magnétique contenu dans le corps du malade serait à la base des guérisons. La maladie est conçue comme un obstacle à la libre circulation du fluide magnétique à travers les différentes parties du corps et le traitement consiste à renforcer cette circulation du fluide magnétique dans le corps, en particulier par des massages. Mesmer s'appuyait également sur d'autres agents thérapeutiques comme le regard, la semi-obscurité de la salle des séances, une musique "céleste", et certains artefacts comme son célèbre baquet. Ce baquet autour duquel les patients étaient reliés par des tiges de fer, lui permettait de traiter plusieurs patients simultanément et de répondre ainsi à l'affluence suscitée par son succès.
Fréquemment le rétablissement du patient, ou plus souvent de la patiente, était accompagné du déclenchement d'une crise accompagnée de convulsions qui accéléraient le franchissement des obstacles à la circulation du fluide magnétique à l'intérieur du corps.


Séance de magnétisme animal à l'hôtel de la place Vendôme
(Gravure de Vintraut d'après Louis Dunki. Paris en images).

Parfois, ces crises amenaient le patient dans un état semi-inconscient qui pouvait provoquer des rêves visionnaires. Le Marquis de Puységur (1751-1825), un disciple de Mesmer, cherche à induire ces états semi-inconscients qu'il baptise "somnambulisme artificiel" par la seule volonté du magnétiseur. Le somnambulisme devient une nouvelle branche du mesmérisme qui se concentre sur les troubles nerveux comme l'épilepsie, la catalepsie, etc.

Mais en magnétisant publiquement des femmes souffrant de palpitations et de convulsions, en prônant le contact physique entre le magnétiseur et sa patiente, Mesmer finit par susciter des critiques. Ses détracteurs le présentent comme un charlatan qui contribue à la frivolité des salons. En outre le pouvoir qu´acquièrent Mesmer et ses disciples commence à inquiéter certaines autorités scientifiques et politiques qui jugent que le "délire magnétique" est allé trop loin.

La condamnation du mesmérisme par les savants

En 1784 une première commission de médecins de la Société royale de médecine souhaite examiner la pratique du magnétisme animal, mais Mesmer refuse d'effectuer ses traitements en leur présence. Une nouvelle commission, créée par l'Académie des sciences, eut un très grand retentissement. Cette commission où figuraient Lavoisier, Benjamin Franklin, Jussieu, le physicien Jean-Baptiste Le Roy et l'astronome Jean-Sylvestre Bailly, se propose d'établir un verdict définitif. Ses membres observent plusieurs séances effectuées par Mesmer dans son hôtel parisien puis se rendent à Passy où demeure Franklin qui, souffrant, est prêt à se soumettre à une cure mesmériste. Mais c'est sans succès. Après avoir consacré plusieurs journées à tenter de déterminer la nature du fluide magnétique et ses propriétés thérapeutiques, les académiciens concluent leur examen par un verdict négatif. N'ayant pas trouvé de preuve physique de l'existence de fluide magnétique, la commission attribue les effets du mesmérisme à "l'imagination" des patients et dénonce les effets nocifs du mesmérisme sur la population.

La condamnation du mesmérisme se fondait sur des raisons scientifiques, essentiellement l'absence de preuve physique de l'existence du fluide magnétique mais aussi, selon la note secrète rédigée par les commissaires pour le ministre, sur le danger que constituait le mesmérisme pour les mœurs et au-delà, pour la stabilité de la société. De fait le mesmérisme avait enflammé l'imagination de certains radicaux, devenant un des symboles de la Révolution à travers des personnalités comme Marat et Lafayette, fervents soutiens de Mesmer. La force magnétique, à la source de "l'Harmonie universelle" prônée par Mesmer, s'incarnait dans le mouvement politique pour la liberté, l'égalité et la fraternité. La Commission de l'Académie des Sciences a condamné Mesmer comme un charlatan qui s'appuyait sur une fausse science pour profiter financièrement de la confiance de ses patients et qui mettait les mœurs en danger. Mais en même temps le verdict des savants devait reconnaître "l'influence de l'imagination" sur le corps comme fondement du mesmérisme et du somnambulisme. De fait le mesmérisme aura une influence capitale dans l'histoire de la psychiatrie et de la psychologie et, plus largement, sur le contexte culturel de l'Europe du 19e siècle.




1 BENZ, Ernst. The Theology of Electricity. On the Encounter and Explanation of Theology and Science in the 17th and 18th Centuries , Allison Park, Pickwick Publications, 1989, p. 82.
2 ULRICH, Hermann. "Maria Theresia von Paradis and Mozart", Music & Letters, Vol. 27, No. 4, 1946, p. 224-233 ; un roman retrace la relation de Mesmer avec Maria-Theresa von Paradis : O'DORHERTY, Brian. L'étrange cas de Mademoiselle P, Paris, Rivages, 1996.
3 DARNTON, Robert. La fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution. Paris, Editions Odile Jacob, 1995.
4 MESMER, Franz Anton. Mémoire sur la découverte du magnétisme animal. Paris, L'Harmatan, 2005.
5 Op. cit. MESMER. "Thèses VIII et IX", p.76.



Mise en ligne : juin 2009

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