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Parcours historique > Mythes et légendes de l'électricité et du magnétisme

UN MYTHE MODERNE SUR L'ÉLECTRICITÉ : FRANKENSTEIN

par Dolores Martín

Un des mythes modernes le plus significatifs de notre culture est celui de Frankenstein : le monstre créé par un savant fou à partir de l'électricité. L'histoire de Frankenstein ou le Prométhée Moderne a eu un succès immédiat dès que Mary Shelley l'a publiée en 1818, mais c'est avec les adaptations cinématographiques de James Whale en 1931, puis de Terence Fisher (1957) ou Kenneth Brannagh (1994) qu´il a fini par s´installer comme un symbole dans notre imaginaire collectif. On ne peut éviter de se rappeler l'image du monstre associée à la merveilleuse interprétation de l'acteur Boris Karloff. En effet, c'est avec l´entrée du monstre dans le cinéma, que celui-ci, qui n'avait pas de nom dans le roman, prend le nom de son créateur, Frankenstein.

Boris Karloff dans Frankenstein de James Whale
(1931, Universal Pictures)

Frankenstein n'est pas seulement un conte fantastique, il représente aussi la naissance de la science-fiction. On y trouve, pour la première fois, un mythe qui se fonde sur des spéculations scientifiques et pas uniquement sur des éléments surnaturels. Contrairement aux autres monstres, comme les vampires ou le loup garou, Frankenstein est né dans un laboratoire grâce au souffle vital que lui transmet Victor. Cette étincelle de vie, qui reste un élément métaphorique dans le roman de Mary Shelley, est réinterprétée au cinéma avec de surprenants effets spéciaux à travers des orages électriques dans des tours abandonnées, des générateurs supersoniques ou des anguilles électriques immergées dans un liquide amniotique.

En parlant de l'étincelle de vie, Mary Shelley se référait à l'électricité comprise comme "fluide galvanique" ainsi désigné depuis l´interprétation électrique des phénomènes physiologiques, qu´avait donnée le médecin italien Luigi Galvani à la fin du 18e siècle. Galvani et sa femme Lucia avaient étudié pendant des années, les contractions musculaires de divers animaux sous l´effet de l'électricité. Ils ont ainsi observé que la cuisse d'une grenouille se contracte, quand son nerf est en contact avec un scalpel métallique alors que, simultanément, éclate une étincelle provenant d'une machine électrostatique. Ils ont ensuite provoqué des contractions de la cuisse simplement en reliant le muscle et le nerf de la cuisse par un arc métallique.

Après une série d'expériences, ils ont conclu que l'électricité provoquant ces contractions était produite par l'animal lui-même. La grenouille était morte, mais elle gardait encore des vestiges de sa vie passée; de l'électricité restait dans son corps comme une sorte de résidu. Les partisans de l'électricité animale pensaient que les mouvements musculaires, y compris celui du cœur qui maintient la vie, doivent être interprétés par la production dans le cerveau de fluide électrique qui se transmet ensuite à travers les nerfs au reste du corps, en chargeant les muscles.

L'adepte le plus célèbre de la théorie de l'électricité animal fut le neveu de Galvani, Giovanni Aldini (1762-1834), qui a popularisé les travaux de son oncle, en voyageant dans différents pays européens, en particulier en France et en Angleterre. Il réalisait des expériences publiques pour montrer d'une façon quelque peu macabre l'électrification de corps d´animaux et d´humains morts pour leur rendre la vie pendant quelques instants.

Expériences de Giovanni Aldini
Essai théorique et expérimental sur le Galvanisme avec une série d'expériences faites en présence
des commissaires de l'Institut National de France, et en divers théâtres anatomiques de Londres
(1804)

La jeune Mary Shelley connaissait non seulement ces démonstrations d'Aldini rapportées dans la presse, mais aussi les courants scientifiques de l'époque. C'était une fille très cultivée qui fut élevée dans une ambiance profondément intellectuelle. Son père William Godwin était un révolutionnaire, intéressé par la philosophie politique et morale, et sa mère May Wollstonescraft est considérée comme une des premières féministes de l'histoire. Malheureusement, elle meurt après la naissance de Mary qui fut élevée par son père. Depuis son plus jeune âge, l'enfant est habituée à écouter les discours des amis de son père. Parmi ceux-ci se trouvaient des personnalités comme le chimiste Humphry Davy (1778-1829), l'historien de l'électricité Joseph Priestley (1733-1804), l´anatomiste Erasmus Darwin (1731-1802), le grand-père de Charles Darwin, et des poètes comme Samuel Taylor Coleridge (1772-1834), qui avaient une connaissance encyclopédique des différentes branches de la philosophie naturelle et se réunissaient chez elle pour discuter les nouvelles idées sur la littérature, les arts et les sciences.

Mary reconnaît dans sa Préface à Frankenstein, l'importance des influences théoriques de ces savants dans la création de son roman. De plus, elle a eu l'opportunité de se familiariser avec les recherches sur l'électricité de Benjamin Franklin (1706-1790) et avec les expériences de Galvani lors de son voyage à travers l'Europe, à l'été 1820. Elle a aussi trouvé aussi quelques informations sur un docteur dénommé George Frank ou von Frakenau qui soutenait certaines thèses sur la régénération spontanée de la matière inerte. Ce personnage a pu inspirer la jeune femme dans son récit.

L'été 1820, elle se trouve à côte de Genève avec son mari Pierce Shelley dans une villa louée pour quelques mois par Lord Byron. Les nuits d'orage, enfermés à lire des contes de terreur et à discuter les idées impliquées par la théorie galvanique, l'ennui les a poussés à commencer un jeu : écrire chacun une histoire de fantômes. Mary imagine déjà le cauchemar terrible du monstre créé par un savant genevois, appelé Victor Frankenstein. Son histoire sera l'unique récit achevé pendant ce séjour au bord du Lac Léman.

Frankenstein or the Modern Prometheus
Frontispice de l'édition de 1831

Dans le roman de Mary Shelley, Victor Frankenstein est un jeune homme passionné par la philosophie naturelle depuis son plus jeune âge. Par hasard, il trouve un livre de Cornelius Agrippa (1486-1535) lors d´une excursion à Thonon. Agrippa était une des plus remarquables personnalités de la Renaissance, proche des idées hermétiques et magiques, qui enthousiasme Victor. En lisant les travaux de ce mage, il retrouve les noms de Paracelse, et d'Albert le Grand, qui furent les pères des idées alchimistes en Occident. A côte d'eux, pour Victor, les savants modernes se consacrent à des recherches banales en comparaison de la vision de la science des pères de la Magie.

Victor prend connaissance des lois de l'électricité pendant un séjour avec son père près de Belrive. Lors d'un violent orage, il s'aperçoit qu'un arbre prend feu à côté de la maison et peu de temps après, il vérifie que l'arbre a fini par disparaître carbonisé. Un ami de son père lui explique la nature du fluide galvanique et les lois de son comportement.

Quelque temps après, il part à l'Université d'Ingolstadt pour étudier l'anatomie. Ingolstadt était alors un des centres les plus prestigieux de toute l'Europe, avec un théâtre anatomique où se pratiquaient des expériences galvaniques. À Ingoldstadt, Victor devient un des meilleurs étudiants en anatomie et en physiologie mais il n'oublie pas son rêve de jeunesse, décoder les secrets de la vie. Inlassablement animé par cette idée, il commence ses recherches expérimentales pour prouver la thèse fondamentale du galvanisme animal, c´est-à-dire que la vie est liée à l'électricité.

Un lugubre soir de novembre, peu après minuit, Victor épuisé et anxieux arrive à la fin de ses expériences et communique le souffle vital à la chose morte qui restait à ses pieds constituée de morceaux de cadavres. Quelques secondes après, il voit la créature informe ouvrir ses yeux jaunes. Son apparence grotesque terrorise Victor qui l´abandonne, espérant pouvoir oublier ce qu´il avait fait. A la suite du mépris constant des autres qui le rejettent, malgré ses tentatives pour nouer des relations avec les humains, le monstre finit par décider de semer la mort autour de Victor, menaçant de ne cesser qu'au moment où il aurait une compagne pour partager sa solitude. La monstruosité morale de la créature de Frankenstein n'est pas due à des sentiments corrompus dès l'origine, c'est une conséquence de son apparence informe.

La fiancée de Frankenstein de James Whale
(Universal Pictures, 1934)

C'est ainsi que commence la poursuite du monstre par Victor, jusque dans les terres glacées du Pôle Arctique où les marins le retrouvent délirant dans une luge menée par des chiens. Il meurt peu de jours après avoir raconté son histoire au Capitaine Walton.

Dans le mythe la victime et le bourreau finissent par se confondre. C'est pour cela qu'on n'éprouve pas seulement des sentiments de terreur envers le monstre, mais aussi une certaine sympathie pour la créature qui depuis sa naissance, a subi un rejet radical du fait de son apparence. À la fin, Victor se reconnaît également coupable de la tragédie, comme un savant fou qui, s'étant pris pour un dieu, a défié les lois de la nature. La signification du monstrueux s'établit par la relation entre le créateur et sa créature, chacun devenant bourreau et victime. En effet, créateur et créature établissent la signification du monstrueux dans le mythe à partir de leur relation, qui rompt avec toutes les limites humaines.

À la fin du récit, quand Frankenstein disparaît dans l'obscurité, on peut croire qu'il va accomplir la promesse qu'il avait faite de se supprimer par le feu, mais Mary Shelley n'a pas raconté ce passage. Elle voulait laisser planer le doute, comme une menace au-dessus de nous. C'est ainsi, que Frankenstein se transforme en une des représentations symboliques modernes des plus enracinées dans notre imaginaire collectif et en ce sens, on peut dire qu'il est encore vivant.

BIBLIOGRAPHIE

BALDICK, Charles. In Frankenstein's Shadow: Myth, Monstrosity, and Nineteenth-Century Writing: Myth, Monstrosity and Nineteenth-century Writing. Oxford, Clarendon Press, 1987.
MEENA, Alexander. Women in Romanticism: Mary Wollstonecraft, Dorothy Wordsworth, Mary Shelley, Basingstocke. Macmillan Education Women Writers, 1989.
MELLOR, Anne K. Mary Shelley, her life, her fiction, her monsters, New York, Routledge, 1988.
PERA, Marcello. The Ambiguous Frog: The Galvani-Volta Controversy on Animal Electricity, Princenton University Press, 1992.
SHELLEY, Mary. Frankenstein or the Modern Prometheus, London, Penguin Popular Classics, 1994.
COLLECTIF. Actes du colloque Frankenstein, Les Cahiers de paralittératures, Paris, CEFAL, 1997.

FILMOGRAPHIE

CONDON, Bill. Gods and Monsters, USA, Universal Studios, 1998. 106 min.
BRANNAG, Kenneth. Mary Shelley's Frankenstein, USA, TriStar Pictures, 1994.119 min.
FISHER, Terence. The Curse of Frankenstein, Reino Unido, Hammer Film Productions, 1957. 83 min.
FISHER, Terence. The Revenge of Frankenstein, Reino Unido, Hammer Film Productions, 1958. 86 min.
LEE, Rowland V. Son of Frankenstein, USA, Universal Pictures, 1939.122 min.
SUAREZ, Gonzalo. Remando al Viento, España, Ditirambo Films, Iberoamericana de Televisión S.A. y Viking Films, 1988. 96 min.
WHALE, James. The Bride of Frankenstein. USA, Universal Pictures, 1934.72 min.
WHALE, James. Frankenstein, USA, Universal Pictures, 1931. 71 min.



Mise en ligne : mars 2009

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