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Cuivrer ? Dorer ? Quelques expériences pour clarifier la discussion autour de la "pile de Bagdad"Par Christine Blondel et Bertrand Wolff Nous relatons ici quelques expériences exploratoires, réalisables avec un matériel de collège ou de lycée et qui pourraient être approfondies. Dans le débat suscité autour de la pile de Bagdad et de ses utilisations supposées, elles peuvent fournir des éléments critiques, que nous avons regroupés dans les "discussions". [Retour à La "pile de Bagdad": une pile électrique, il y a deux mille ans ?] I. La solution la plus simple pour cuivrer : avec une solution d'un sel de cuivre, l'électrolyse "à anode soluble"
L'expérience : Au bout de peu de temps on observe un dépôt de cuivre sur la cathode. Interprétation électrochimique :
A l'anode, le cuivre est oxydé selon la réaction : Cu → Cu2+ + 2 e-
A la cathode, les ions cuivre sont réduits : Cu2+ + 2 e- → Cu La méthode est appelée "à anode soluble", car l'anode perd une partie de son cuivre métallique tandis qu'une quantité équivalente de cuivre recouvre la cathode. La composition de la solution reste inchangée. Quelques considérations quantitatives peuvent être utiles à la discussion : 1. Pour une tension de 1,5 volts aux bornes de la cuve, l'intensité du courant obtenue avec ce type de matériel est d'environ 30 à 100 mA, selon que les électrodes sont plus ou moins rapprochées, et selon l'importance de leurs surfaces en regard. L'intensité dépend également de la concentration de la solution. Au bout d'une heure, avec une intensité maintenue à 100 mA, la masse de cuivre déposée sur la cathode est voisine de 120 mg (exercice classique en classe de terminale scientifique). 2. En TP de 1èreS, les élèves relèvent les "caractéristiques intensité → tension" de divers électrolyseurs, c'est-à-dire les courbes représentatives de U = f (I) aux bornes de l'électrolyseur. Dans le cas de l'électrolyse "à anode soluble", cette courbe est une droite passant par l'origine, d'équation U = R I. L'électrolyseur se comporte donc comme une résistance pure, sans fcem. En effet le bilan des transformations se résume à un transport horizontal de cuivre de l'anode à la cathode. Il n'y a pas conversion d'énergie électrique en énergie chimique ou mécanique, mais seulement en énergie thermique, du fait de la résistance de la solution. Dans ces conditions expérimentales, la résistance de la solution est de l'ordre de quelques dizaines d'ohms. Discussion : Des civilisations antiques (Parthes, Egyptiens...) ont-elles pu pratiquer le cuivrage par électrolyse, comme le suggèrent certains archéologues ? La méthode décrite plus haut suppose l'utilisation de sulfate de cuivre, ou de tout autre "sel" de cuivre en solution. Savait-on les obtenir il y a 2000 ans ? Il faudrait de plus avoir eu l'idée de constituer une "cuve à électrolyse" avec une tige de cuivre (anode) reliée au pôle + de la "pile" et l'objet à cuivrer (cathode) plongeant dans la solution de ce sel. Cet objet à cuivrer aurait dû être constitué d'un matériau conducteur : on a suggéré du bois ayant subi une dorure (à la feuille d'or) préalable.
La cathode peut également être un objet en fer. Dans ce cas, il n'y a même pas besoin de pile, du moins dans un premier temps : du cuivre
se dépose spontanément sur le fer. L'expérience consistant à tremper une lame de fer dans une solution de sulfate ou chlorure de cuivre
est classique. La lame se recouvre de façon quasi instantanée de cuivre. Le fer étant plus réducteur ("oxydable") que le cuivre, il
se produit la réaction : Mais la présence d'une mince couche de cuivre à la surface du fer interrompt le contact du fer avec la solution et la réaction s'arrête. C'est là que devrait intervenir l'électrolyse, pour faire "grossir" ce premier dépôt. Si l'on admet - c'est déjà beaucoup - l'utilisation dans l'antiquité de sels de cuivre et de ce que nous appellons aujourd'hui une cuve à électrolyse, reste le problème principal : celui du générateur. C'est là qu'entre en scène la "pile de Bagdad". Du fait de l'absence de "fcem" de la cuve à électrolyse, on n'aurait pas besoin d'associer plusieurs piles en série. En revanche, du fait de la faible "fem" de cette pile (0,4 à 0,5 volts) et de sa forte résistance interne, l'intensité du courant délivré est très faible, et en une journée on n'obtiendrait qu'un dépôt de quelques grammes de cuivre. Enfin, toujours dans l'hypothèse où l'on dispose de sels de cuivre solubles, on peut imaginer une technique de cuivrage plus simple : c'est le dispositif décrit dans la figure 2 de La "pile de Bagdad"... où il suffit de remplacer la solution d'un sel d'or par la solution d'un sel de cuivre. Si les "cuivreurs" et "doreurs" antiques ne disposaient pas de zinc, on peut également remplacer, dans cette figure, le zinc par du fer. L'efficacité s'en trouverait seulement amoindrie, la "fem" étant alors plus faible. Ce dispositif n'est autre qu'une pile court-circuitée, et la réaction chimique de dépôt du cuivre s'y produit à l'intérieur de la pile. II. Une autre possibilité pour cuivrer, si l'on ne dispose pas d'une solution d'un sel de cuivre.Si l'on ne dispose pas de solution de sel de cuivre, ce qui était très probablement le cas dans l'Antiquité, peut-on envisager un autre procédé pour faire passer le cuivre de l'anode à la cathode ? L'expérience : Essayons, en remplaçant la solution de sel de cuivre par un électrolyte courant dans l'Antiquité, le vinaigre. Dans la cuve à électrolyse déjà utilisée pour la première expérience (anode de cuivre et cathode de graphite), versons donc du vinaigre, c'est-à-dire une solution d'acide acétique. Appliquons une tension d'environ 4 volts pendant 1 heure. L'intensité reste comprise entre 10 et 15 mA. La distance entre les électrodes étant assez importante, la résistance de la cuve est élevée. On peut diminuer cette distance si l'on souhaite obtenir une plus grande intensité. On observe un dégagement gazeux sur l'électrode de graphite. Puis un dépôt de cuivre apparaît progressivement sur cette électrode, où des bulles restent visibles. En outre la solution bleuit. Interprétation électrochimique : Les phénomènes en jeu sont complexes.
- Au début il n'y a pas d'ions cuivre en solution. La seule réaction possible à la cathode est la réduction de l'eau, ou, ce qui revient au
même, des ions H+ de l'acide. D'où dégagement gazeux d'hydrogène. - Les ions Cu 2+ ainsi produits migrent lentement vers la cathode, où peut alors se produire la réaction : Cu2+ + 2 e- → Cu. On est alors ramené à la situation de l'électrolyse à anode soluble. On peut se demander si les bulles d'hydrogène que l'on continue d'observer sont des bulles restées adsorbées sur le graphite ou si, du fait de la tension relativement forte appliquée à cette cuve, la réduction des H+ se poursuit en concurrence avec celle, a priori plus facile, des Cu2+ Discussion :
Il n'est donc pas nécessaire a priori de disposer d'une solution d'un sel de cuivre pour cuivrer la cathode. En revanche, la réaction qui se
produit à la cathode au début de l'expérience implique une fcem non nulle, dont on peut penser qu'elle est supérieure à 0,5 V. III. Dorer par électrolyse sans disposer d'une solution de sel d'or, est-ce possible ?Si l'on a pu faire passer du cuivre d'une anode de cuivre à une cathode que l'on souhaite cuivrer, c'est que l'oxydation du cuivre était possible par électrolyse à l'anode. Avec l'or, le moins oxydable de tous les métaux, un procédé analogue peut-il réussir ? L'expérience : Prenons comme anode un anneau d'or, en conservant une cathode de graphite, tous deux plongeant dans du vinaigre. Le résultat de l'expérience montre à ceux qui hésiteraient à la reproduire que leurs bijoux ne seront guère altérés. Le haut de l'anneau émerge de la solution, afin que le fil de connexion, d'un métal forcément plus oxydable que l'or, ne trempe pas dans la solution. La distance entre l'anneau et la cathode est de quelques millimètres. Nous avons appliqué une tension d'environ 5 volts pendant 13 heures, l'intensité est restée de l'ordre de 10 à 15 mA. Le dégagement gazeux sur le graphite semble s'être prolongé pendant toute l'expérience et s'interprète comme précédemment par la réduction de l'eau. Un autre dégagement gazeux, moins visible, apparaît sur l'anneau. Si l'on retire le graphite, quelques traces rougeâtres sont visibles à sa surface. Légère dorure ? La couleur rougeâtre plutôt que jaune s'expliquerait-elle par l'extrême finesse de la couche déposée sur le graphite noir ? Interprétation : A la différence du cuivre - peu oxydable, mais cependant plus que l'eau - l'or est si difficile à oxyder que l'eau s'oxyde plus aisément que lui par voie électrochimique. D'où le dégagement gazeux observé à l'anode, qui est de l'oxygène : 2 H2O → O2 + 4 H+ + 4e- Oxygène à l'anode, hydrogène à la cathode : c'est la décomposition électrolytique de l'eau. A l'anode, la réaction Au → Au 3+ + 3 e- ne peut pas avoir lieu car l'or a un potentiel redox (+ 1,68 volt) supérieur à celui de l'eau (+ 1,23 volt). L'or ne peut servir d'anode soluble en milieu aqueux et c'est donc bien l'électrolyse de l'eau qui se produit. La légère couleur rouge de la cathode provient en fait d'un cuivrage. D'où vient le cuivre ? L'anneau "d'or" est, comme de nombreux bijoux, en or 18 carats et non en or pur 24 carats. Cela signifie que l'or ne constitue que 75% de la masse de cet anneau, le reste étant du cuivre. L'infime dépôt rougeâtre observé sur la cathode est un dépôt du cuivre présent dans l'alliage. Discussion : La dorure par voie électrochimique est donc irréalisable si l'on ne dispose pas d'une solution de sels d'or. Les premiers procédés de dorure par galvanoplastie qui firent l'objet de brevets, en 1840, reposent sur l'utilisation de solutions de cyanure de potassium où l'or se trouve à l'état de sel complexe :
Comme le complexe de Au(0) s'oxyde à l'air, et que celui de Au(I) se dismute, il reste finalement en solution le complexe de Au(III) pur.
C'est la réduction cathodique de la forme oxydée Au(III) qui est à l'origine d'un dépôt adhérent d'or sur le métal relié au pôle négatif de la source de courant. Un autre procédé pour "dissoudre" l'or avait été mis au point par les alchimistes du Moyen-Age. Ce procédé, décrit par Jabir ibn Hayyan, plus connu sous le nom latin de Geber, consiste à plonger l'or dans un mélange d'acide chlorhydrique et d'acide nitrique très concentrés. Ce mélange fut baptisé "eau régale" précisément parce qu'il "dissolvait" le roi des métaux (régale : royale en ancien français).
Dans ce cas ce sont les ions chlorures qui complexent le métal, et c'est l'acide nitrique qui oxyde le complexe.
Bien qu'expérimentée au XIXe siècle, l'utilisation de la solution résultant de l'action de l'eau régale sur l'or pour réaliser la dorure par électrolyse n'a pas eu d'applications pratiques. L'or ne peut former une couche adhérente car l'acide de la solution attaque le métal de la cathode que l'on souhaite dorer. L'action des cyanures sur l'or a été découverte au XVIIIe siècle. L'Antiquité ne les connaissait donc pas et elle ne connaissait pas davantage l'acide nitrique. En conséquence, on voit mal comment les Parthes auraient pu réaliser des dorures par électrolyse.
Remerciements à Jean-Yves Thépot, ingénieur CNRS (Rennes) et Didier Floner, maître de conférences (Université Rennes I), pour leur relecture et
leurs commentaires, en particulier sur les procédés de complexation de l'or.
Mise en ligne : novembre 2007
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Directeur de publication :
Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS |