@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

[Accueil] [Plan du site]

Une nouvelle plateforme est en cours de construction, avec de nouveaux documents et de nouvelles fonctionnalités, et dans laquelle les dysfonctionnements de la plateforme actuelle seront corrigés.

@.ampère

Parcours historique > Des grenouilles de Galvani à la pile de Volta

Quelques réflexions à propos de la controverse Galvani-Volta

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

Nous tenterons ici d'attirer l'attention sur des éléments déjà mis en évidence, mais de façon dispersée, dans les pages Galvani et l'électricité animale, La controverse Galvani-Volta et l'invention de la pile, et Des récits discordants. Certains de ces éléments sont spécifiques à la controverse Galvani-Volta, d'autres ont une portée plus générale et permettent de prolonger la réflexion jusqu'à la science contemporaine et son enseignement.

Un enracinement professionnel, culturel et politique

Le déroulement de la controverse entre partisans de Galvani et partisans de Volta, ainsi que les récits qu'on en a donné jusqu'à nos jours, sont fortement influencés par le contexte culturel, social et politique dans lequel cette controverse s'est déroulée.

L'appartenance à une discipline particulière

Galvani est médecin et anatomiste, Volta physicien. Pour un même objet d'étude, leur approche est différente. Les médecins tendent à défendre la spécificité du vivant et à soutenir que le fonctionnement des êtres vivants ne peut pas se réduire à des phénomènes physiques ou chimiques, ce que cherchent précisément à faire certains physiciens. Cette divergence se traduit aussi bien dans les schémas interprétatifs que dans les techniques expérimentales. Même si Galvani sait utiliser un électromètre et si Volta s'essaie à manier le scalpel, chacun cherche à amener la controverse sur son propre domaine d'expertise professionnelle.

La rivalité entre disciplines reste sans doute une des sources de la dépréciation, fréquente jusqu'à nos jours chez les physiciens, du rôle historique de Galvani. Inversement, ce sont le plus souvent des physiologistes qui saluent en lui un fondateur de l'électrophysiologie. Il existe toutefois de notables exceptions à cette logique de camps professionnels.

Réseaux et stratégies de communication

Volta voyage régulièrement à travers l'Europe, rencontre les savants anglais et français, et entretient une abondante correspondance. Il a collaboré avec Lavoisier et Laplace sur des expériences d'électricité. Ses publications, en français, en anglais ou en allemand, ont une audience internationale. Galvani ne sort guère de Bologne, publie peu. Les mémoires qu'il donne à l'Académie de Bologne, tel son ouvrage majeur (Commentaire sur les forces électriques dans le mouvement musculaire, 1791) publié en latin, ont une diffusion étroite.

Cela n'empêche pas les "galvanistes" de s'organiser, tout comme les voltaïstes, à l'échelle internationale. Toutefois les conflits politiques et militaires qui déchirent l'Europe n'interrompent pas les échanges entre savants. La "guerre scientifique" n'épouse que très secondairement les contours territoriaux des conflits politiques.

L'intervention du pouvoir politique

Cependant les guerres napoléoniennes marquent la controverse. Galvani perd son poste universitaire en 1798 après son refus de prêter serment d'allégeance à Bonaparte, alors que Volta, dont le laboratoire fut protégé pendant la campagne d'Italie, est couvert d'honneurs par Bonaparte qui voit dans la pile une concrétisation de "l'alliance entre la Science et la République".

Dans l'Italie du XXe siècle, c'est encore Volta que le pouvoir politique choisit de célébrer comme une gloire nationale en édifiant en 1927, au bord du lac de Côme, un temple en son honneur.

Que peut-on apprendre de l'histoire de cette controverse ?

La fécondité des recherches menées à la frontière de plusieurs disciplines.

Dans le cas présent interviennent, en concurrence ou successivement, les concepts et les outils de la physique, de la médecine, de la physiologie et de la chimie. Mais plusieurs acteurs sortent du cadre étroit de leur discipline. Ainsi le médecin Galvani recourt aux principes et instruments de la science électrique tandis que le physicien Volta pratique la dissection. Chacun apporte le regard et les méthodes de son domaine sur l'objet commun d'étude.

De fait l'électricité constitue elle-même au XVIIIe siècle une discipline frontière. C'est dans l'électricité qu'on cherche des explications pour des phénomènes célestes comme la foudre, pour des phénomènes terrestres comme les tremblements de terre ou organiques comme l'influx nerveux. L'ensemble de "l'économie de la nature" semble régi par l'électricité.

Le pouvoir des analogies

A l'origine des premières expériences sur "l'électricité animale" se trouve l'analogie entre le fluide électrique et le fluide nerveux, piste qu'explorent parallèlement physiciens et physiologistes.

Cette analogie prend une forme plus précise lorsque Galvani compare le muscle à une bouteille de Leyde, le nerf étant assimilé à la tige métallique interne de la bouteille de Leyde tandis que la surface externe du muscle est assimilée à l'armature externe de la bouteille. Certes cette analogie entraine Galvani sur une fausse piste. Mais elle constitue bien un moteur de sa recherche, en particulier dans l'idée de l'expérience "sans métal", où la contraction est obtenue par simple application du nerf sur la surface externe du muscle.

Quant à Volta, l'analogie entre son empilement de disques métalliques et l'organe électrique de la torpille présente un caractère fondateur puisque sa pile cherche à reproduire les effets de cet organe. Enfin pour expliquer le fonctionnement de la pile, Volta la compare à une bouteille de Leyde, qui représente décidément l'objet phare de l'électricité du XVIIIe siècle !


La bouteille de Leyde a pu servir de modèle explicatif aussi bien pour le fonctionnement d'un muscle que pour celui de la pile de Volta.

L'efficacité de certaines théories fausses

L'hypothèse de l'électricité d'origine animale - erronée dans la plupart des expériences considérées - guide à un moment ou un autre chacun des protagonistes.

D'un autre côté Volta reste attaché jusqu'à la fin de sa vie, malgré les objections de chimistes comme Davy, à sa théorie du contact selon laquelle le seul contact de deux métaux différents constitue le moteur de l'électricité, théorie renversée au profit de la théorie chimique de la pile une trentaine d'années plus tard.

Une hypothèse forgée par un scientifique pour conduire une expérimentation systématique peut se révéler ultérieurement fausse, sans que cela remette en cause certaines des conclusions qui en ont été tirées.

La complexité des relations entre théorie et expérience

L'importance de l'instrumentation, ici par exemple l'électromètre de Volta, est parfois sous-estimée en histoire des sciences. Il est d'ailleurs souvent difficile d'évaluer précisément la réalité des performances expérimentales décrites par les savants. Mais, pour autant, les interprétations théoriques ne jaillissent pas miraculeusement d'expériences que ne guideraient aucune idée préconçue.

Quand on y regarde de près, la pratique réelle des savants se révèle beaucoup plus tortueuse que la fameuse "méthode hypothético-déductive". Selon cette méthode idéale, la science se construit en élaborant des hypothèses à partir de l'observation des phénomènes, puis en vérifiant ou en invalidant les conséquences de ces hypothèses par l'expérimentation. La controverse Galvani-Volta montre que les interactions successives entre les acteurs bouleversent ce schéma trop simpliste.

De la difficulté de prévoir les applications d'une découverte de laboratoire

En 1800, quel avenir Volta prévoit-il pour sa pile ?

"Tous les faits que j'ai rapportés [...] vont ouvrir un champ assez vaste [...] intéressant particulièrement la médecine. Il y en aura pour occuper l'anatomiste, le physiologiste et le praticien ".

Certes l'électricité mise en mouvement par la pile fut utilisée, comme celle des machines électriques à frottement, pour tenter de soigner diverses maladies. Mais les résultats n'en sont guère restés dans l'histoire...

En revanche le passage du courant électrique va permettre la décomposition de l'eau, de solutions diverses ou de corps fondus, et entrainer ainsi la découverte de plusieurs éléments chimiques nouveaux comme le sodium ou le potassium [Voir la vidéo La pile de Volta a encore frappé ]. En 1820, c'est l'action du courant électrique sur un aimant qui ouvre le nouveau domaine de l'électromagnétisme dont est issu toute l'électrification de la société.

Volta manquait-il particulièrement d'imagination ? De fait la prévision des applications futures d'une découverte de laboratoire, et du délai de leur mise en oeuvre, restent toujours difficiles. Ceci peut faire réfléchir sur l'orientation étroitement finalisée de la recherche...

L'intérêt pédagogique d'une controverse scientifique

Une controverse pousse les protagonistes dans leurs retranchements, les contraint à expliciter et à affiner leurs arguments théoriques et expérimentaux, à favoriser les éléments qui leur sont favorables et au contraire à négliger, voire cacher ceux qui leur sont opposés.

Par ailleurs, les interprétations concurrentes présentent chacune leur cohérence et peuvent prendre alternativement le dessus. Les choses restent ouvertes, du moins un certain temps. La production des savoirs scientifiques n'est pas un long fleuve tranquille...

Les conclusions scientifiques que présente un enseignant, validées dans l'état actuel de la discipline, lui semblent découler sans conteste des expériences et des arguments théoriques. Mais cette évidence du savoir scientifique n'est pas nécessairement partagée par l'élève. Une controverse historique met l'élève ou l'étudiant devant une science en train de se faire plutôt que devant un édifice achevé et peut servir d'initiation à un débat scientifique en classe. Dans un tel débat, les élèves sont invités à formuler des hypothèses et à développer, pour les soutenir, des arguments théoriques ou expérimentaux.

On peut aussi penser à un autre type de débat, sur les relations entre la science et la société, ici avec le thème de l'expérimentation sur le vivant. La plupart des savants du XIXe siècle n'hésitent pas à expérimenter sur des animaux vivants, voire sur eux-mêmes. Galvani applique ses plaques métalliques sur la cuisse d'un mouton vivant, Volta affirme mener des essais sur "presque tous les animaux", quant à Alexander von Humboldt il scarifie sa propre épaule avant d'y appliquer les métaux. Ces pratiques justifiées par Claude Bernard dans son Introduction à la médecine expérimentale (1865) par la nécessité de la recherche médicale, peuvent aujourd'hui choquer. De fait les règlementations légales régissant l'expérimentation animale et prenant en compte un changement de statut juridique de l'animal, ne datent que de la fin du XXe siècle.

Il y a donc de multiples intérêts pédagogiques à faire revivre une controverse historique.



Mise en ligne : mai 2007

Retour

© 2005 CRHST/CNRS, conditions d'utilisation. Directeur de publication : Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS