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Parcours historique > Des grenouilles de Galvani à la pile de Volta | |||||||||
Des récits discordantsPar Christine Blondel et Bertrand Wolff La controverse entre partisans de Galvani et partisans de Volta a donné lieu à une série de récits historiques discordants. Poggendorff et les vertus du bouillon de grenouilleA l'université de Berlin, le physicien allemand Poggendorff (1796-1877) donnait un cours d'histoire de la physique. A sa mort, il laisse un manuscrit de cette histoire, de l'antiquité à 1800. Elle est publiée en 1879, puis traduite en français en 1883. Le tout dernier chapitre, consacré au galvanisme, débute par un récit... savoureux de la découverte de Galvani, récit repris depuis dans de nombreuses histoires des sciences. [Dans les citations suivantes, c'est nous qui soulignons] "Cette découverte de la plus grande importance est due au hasard, qui a toujours joué un grand rôle dans les
sciences d'observation en général, et spécialement dans l'histoire de l'électricité.
[Voir Poggendorff, Histoire de la physique, Paris, 1883, chapitre Galvanisme, p. 546-548] Quels sont donc, selon Poggendorff, les ingrédients de la découverte ? La délicate sollicitude de Galvani pour sa femme. Il est vrai que selon de nombreux témoignages, régnait entre Luigi et son épouse - la fille de son professeur vénéré - une entente profonde et beaucoup de tendresse. La maladie de poitrine de Lucia n'est pas non plus inventée : sa mort en 1790 assombrit les dernières années de la vie de Galvani. Le bouillon de cuisses de grenouilles. Ceci semble bien, en revanche, être une légende. Et nul besoin de ce détour culinaire pour comprendre la présence simultanée des grenouilles disséquées et de la machine électrique dans le cabinet de Galvani [Voir la page Galvani et l'électricité animale] Le hasard. Poggendorff souligne cet aspect en insistant sur l'absence d'intention particulière. Certes Galvani prêtait le flanc à cette interprétation dans son récit : "Lorsque l'un de mes aides, par hasard, toucha légèrement avec la pointe de son scalpel, les nerfs cruraux internes de cette grenouille..." Mais le mémoire de Galvani montre comment le phénomène inattendu fut minutieusement étudié et exploré, et ses notes manuscrites témoignent d'un long travail de préparation. Voir la confirmation d'une de ses hypothèses favorites. Selon Poggendorff, Galvani serait guidé par une idée préconçue, celle de l'électricité animale. En fait dans ses écrits, Galvani se montre longtemps méfiant à l'égard des diverses hypothèses en présence. Ses premières expériences sur l'action à distance de l'étincelle et de l'éclair l'éloignent plutôt, pour un temps, de celle de l'électricité animale. Arago : Galvani "peu au fait de l'électricité" ?
Ce phénomène, s'il se fut offert à quelque physicien habile ... [et non à Galvani, peu au fait de l'électricité] :
[Ce phénomène] eût à peine excité son attention [l'attention du physicien habile]. Mais Galvani,
lui, se crut transporté dans un autre monde :
Poggendorff, s'il insiste à nouveau sur le hasard, rapporte fidèlement les raisons qui amènent Galvani a expérimenter sur sa terrasse - étudier les effets de l'électricité atmosphérique - , et poursuit ainsi : "Pour faire ces expériences, il avait suspendu les grenouilles à la balustrade de fer du balcon de son appartement, au moyen d'un fil métallique, qui passait par la moelle épinière, et était probablement attaché à une ficelle. Un jour, il suspendit de cette façon un certain nombre de grenouilles pour étudier leurs convulsions, mais quelque longtemps qu'il attendit, il ne se produisit rien. Fatigué d'observer, il plia par mégarde (et c'est encore là un hasard dans sa grande découverte) le fil de métal qui passait dans la moelle épinière, tout contre la balustrade. Une sorte d'arc métallique faisait donc communiquer la moelle épinière des grenouilles avec leurs pattes, qui étaient en contact avec l'appui de fer du balcon, Les convulsions recommencèrent aussitôt, et il se convainquit qu'elles n'avaient aucun rapport avec l'électricité atmosphérique." Qu'en est-il des récits proposés depuis dans les manuels scolaires ? Tirée d'un manuel de 1966 (Cessac et Tréherne, 1ère C, Nathan), la citation suivante est très représentative : "Ayant mis à sécher sur un balcon de fer des cuisses de grenouille suspendues par un crochet en cuivre, Galvani remarque que leurs muscles se contractent chaque fois qu'ils touchent le fer du balcon". Ici intervient une interprétation supplémentaire : c'est pour faire "sécher" ses cuisses de grenouille que Galvani les a sorties sur son balcon. Il faut reconnaître que le mémoire de Galvani, publié en latin dans une assez obscure revue italienne, n'a été que très peu diffusé alors que la nouvelle de ses découvertes s'est propagée très rapidement. Des sources indirectes et imprécises décrivant les travaux de Galvani sont alors à l'origine de diverses réinterprétations : pourquoi les grenouilles étaient-elles suspendues ? par hasard ? pour les faire sécher ? Et comment l'arc des deux métaux s'est-il constitué ? le vent ? un fil plié par mégarde ? Pour reconstruire une histoire d'apparence logique il est tentant de combler, parfois avec un luxe de détails, les "trous" dans les sources disponibles. Récits de physiciens contre récits de médecins ?Le physicien et astronome Arago se montre sarcastique envers les physiologistes, à l'origine selon lui du "beau roman" auquel mettent fin "les sévères expériences de Volta". Quant à Poggendorff, il estime que le choix de l'hypothèse de l'électricité animale s'impose à Galvani du fait de sa position de médecin et d'anatomiste. Faut-il voir dans cette dépréciation du travail de Galvani l'empressement de physiciens à saluer le triomphe de l'un des leurs, Alessandro Volta ? Ne trouverait-on pas chez les physiologistes des récits plus favorables à Galvani ? En 1848, le grand physiologiste Dubois-Reymond écrit au sujet du mémoire de Galvani (Commentaire sur les forces électriques dans le mouvement musculaire, 1791) : "la tempête qui commence avec la publication de ce Commentaire [...] ne peut se comparer qu'avec celle qui dans la même période se levait sur l'horizon politique de l'Europe". Et il salue en Galvani le précurseur de l'électrophysiologie moderne.
Après l'exposé de la découverte, rapporté plus haut, le physicien Pouillet fait dans ses Eléments de physique (1828) un récit équilibré de la controverse. Le célèbre manuel du professeur de physique Adolphe Ganot donne lui aussi un résumé fidèle des principales étapes de la controverse et rapporte la "réhabilitation" de Galvani par le professeur de physique médicale Jules Gavarret : "C'est M. Gavarret qui [...] a rétabli la vérité des faits sur les travaux de Galvani, et a rendu à l'illustre anatomiste toute la part de gloire qui lui revient." (Ganot, ed. 1853) [Voir Adolphe Ganot, Traité élémentaire de physique expérimentale et appliquée et de météorologie, 13ème édition, 1868, "Pile voltaïque...", p. 671-687]
La pile ou "le plus merveilleux instrument que les hommes aient jamais inventé"Sur la pile elle-même, et ses effets, l'enthousiasme est général, qu'il s'agisse d'Arago... "Je n'hésite pas à le dire, cette masse en apparence inerte, cet assemblage bizarre, cette pile [...] est, quant à la singularité des effets," le plus merveilleux instrument que les hommes aient jamais inventé, sans en excepter le télescope et la machine à vapeur." ... ou de Figuier pour qui la pile présente un caractère d'universalité : " ... le plus merveilleux des appareils qu'ait enfantés la science des hommes [...] rien n'est comparable à la puissance, à la variété, à l'universalité de ses effets." Ce "caractère frappant d' universalité" est ce qui distingue la pile des "plus belles créations de la science et de l'industrie, la machine à vapeur [...], la boussole, [...] les instruments d'optique perfectionnés", toutes inventions qui "n'accomplissent en général qu'une fonction unique et spéciale. L'instrument que nous devons à Volta est, au contraire, essentiellement universel dans ses applications". Grâce à la pile on peut en effet "produire de la chaleur et de la lumière, créer des forces motrices, ramener les corps à leurs éléments primitifs [l'électrolyse], réveiller au sein des êtres organisés les mouvements particuliers à l'action vitale" [effets physiologiques]" [Voir la vidéo La pile de Volta a encore frappé ] "Cette découverte, résultat d'une suite d'erreurs de la part de Volta ..." (Figuier)Arago n'a pas passé sous silence la critique faite par les chimistes à la "théorie du contact" de Volta : "Volta voyait la cause du développement d'électricité dans le simple attouchement des deux métaux [...]. Quant au liquide interposé entre eux, il remplissait seulement l'office de conducteur. [Cette] théorie du contact fut attaquée, de bonne heure, par un des compatriotes de Volta [...]. Aujourd'hui, enfin, [la] théorie chimique de la pile règne presque sans partage parmi les physiciens." Mais en 1867 l'enthousiasme de Figuier pour la pile ne l'empêche pas d'être plus virulent qu'Arago envers Volta : "C'est par un enchaînement d'observations inexactes et de mauvaises interprétations des faits que Volta fut amené à construire
son appareil." Observations inexactes : Figuier conteste l'expérience cruciale de Volta, à savoir l'observation de la tension entre deux métaux différents à l'aide de son électroscope condensateur. Figuier ne met pas en doute la réalité des observations, mais la nature de ce qui est mis en évidence. En effet des expériences plus tardives, dit-il, ont montré l'absence d'effet si l'on opère dans le vide, avec des métaux très purs. C'est donc l'oxydation d'un des métaux qui expliquerait l'effet observé par Volta. Mauvaises interprétations : Ce que reproche ici Figuier à Volta, c'est d'avoir été aveugle aux transformations chimiques qui se produisent lors du fonctionnement de la pile : oxydation d'un des métaux, modification de la solution, toutes choses pourtant soulignées par plusieurs chimistes dès 1800. De fait Volta continuera à défendre farouchement le rôle purement passif des "substances humides" dans sa pile : "elles facilitent seulement le passage et laissent un plus libre cours au fluide électrique" mis en mouvement par la seule vertu du contact entre deux métaux, supposés rester intacts. Figuier a beau jeu de remarquer que "cela revient [...] à admettre l'existence du mouvement perpétuel". Que penser de ces critiques de Figuier ? A propos de la tension électrique entre deux métaux différents en contact, Figuier fait appel à des connaissances établies bien après la controverse entre Galvani et Volta. Cette critique ne peut donc être invoquée contre Volta. Quant au mouvement perpétuel, il avait effectivement été banni de la science par l'Académie des sciences depuis 1775. Mais le fluide électrique étant considéré comme sans masse, on pouvait penser qu'il échappait à cette condamnation. Dans sa lettre annonçant l'invention de la pile, Volta écrit d'ailleurs : "Cette circulation sans fin du fluide électrique, (ce mouvement perpétuel), peut paraître paradoxe, peut n'être pas explicable ; mais elle n'en est pas moins vraie et réelle, et on la touche, pour ainsi dire, des mains." En revanche il est vrai que de nombreux chimistes, tel Humphry Davy, ont immédiatement objecté à Volta l'importance des réactions chimiques à l'intérieur de la pile. Les difficultés de l'histoireIl n'est pas facile, pour Figuier comme pour nous-mêmes, d'oublier ses (éventuelles...) connaissances scientifiques et de se replacer dans le contexte historique et scientifique des hommes du passé. Le savoir d'aujourd'hui nous permet de mieux comprendre ce qui se passait dans ces expériences complexes. Mais la puissance d'un argument de Volta est à comparer à celle des arguments qui lui furent opposés, ou pouvaient lui être opposés, à l'époque et non à ce que nous pouvons en dire aujourd'hui. Par ailleurs les choix parmi les documents du passé accessibles, les interprétations historiques, les récits, les reconstitutions, restent marqués, comme nous l'avons vu sur le cas particulier de Galvani, par de multiples facteurs tels que la formation, l'appartenance à tel ou tel groupe professionnel, social ou national.
Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité. Mise en ligne : mars 2007
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Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS |