@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Parcours historique > De Faraday à l'Exposition de 1900

Créer de l'électricité avec le magnétisme ? La découverte de l'induction

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

"Convert magnetism into electricity"

"Convertir le magnétisme en électricité". Dans le carnet "Notes de chimie, idées, suggestions, et sujets de recherche" ouvert par Faraday en 1822, cette injonction vient en tête d'une liste consacrée à l'électricité.

Dans les années 1820 le sujet est "dans l'air". L'expérience d'Oersted a montré qu'un courant électrique dans un conducteur agit sur un aimant, autrement dit que l'électricité en mouvement a des effets magnétiques. Faraday n'est pas seul à envisager qu'à l'inverse le magnétisme pourrait créer "par influence" - ou "induire" - un courant dans un conducteur. Pour cela on imagina d'utiliser soit le magnétisme d'un aimant soit celui d'un courant.

Deux tentatives pour créer un courant avec un aimant : Fresnel (1820) et Colladon (1825)

Dès novembre 1820, Augustin Fresnel écrit :

"Lorsqu'on voit un courant électrique aimanter un cylindre d'acier en parcourant une hélice métallique qui l'enveloppe, il est naturel d'essayer si un barreau aimanté ne peut pas reproduire un courant voltaïque dans l'hélice enveloppante".

Il s'agit d'inverser l'expérience par laquelle Arago et Ampère ont aimanté un barreau d'acier [Voir la page Ampère a-t-il inventé...]. Fresnel place un barreau aimanté dans une hélice de cuivre et, pour déceler un éventuel courant induit dans l'hélice, il plonge ses extrémités dans une solution aqueuse. Si un courant est induit dans l'hélice, il se produira une décomposition de l'eau. Fresnel observe d'abord de faibles réactions chimiques sur les extrémités du fil. Mais reprenant ses essais, il conclut que ces observations résultaient plus probablement d'effets parasites.

Fresnel propose une justification de ce résultat négatif : "Si l'état d'aimantation de l'acier n'était, par exemple, qu'un nouvel arrangement de ses molécules, [...] on conçoit que ce nouvel état pourrait bien ne pas reproduire le mouvement qui l'a établi."

En 1825 Jean-Daniel Colladon qui appartient, avec les de La Rive père et fils, au cercle de savants qui font de Genève un grand centre scientifique, tente une expérience qui s'apparente à celle de Fresnel (fig.1). Il présente le pôle d'un fort aimant à l'extrémité d'une hélice comportant un grand nombre de spires isolées par de la soie. Pour détecter un éventuel courant induit, il utilise non pas l'électrolyse de l'eau mais un galvanomètre très sensible, appareil qui n'existait pas en 1820.

Fig. 1. Le principe de l'expérience de Colladon (1825).

Encore une fois, c'est un échec. Colladon n'en comprendra la cause qu'après la découverte de l'induction par Faraday en 1831 :

"Pour éviter toute influence possible de [l']aimant sur le galvanomètre très sensible dont je me servais, j'avais porté ce galvanomètre dans une chambre éloignée de celle où j'opérais [...], après quoi je revins vers la spire [l'hélice] et je rapprochai un des pôles du gros aimant de l'hélice, puis, sans me presser, je retournai vers le galvanomètre et je constatai que son index était exactement au même point qu'auparavant. [...] ne soupçonnant pas que l'induction pût être un effet seulement instantané, dû au rapprochement ou à l'éloignement réciproque de l'hélice et de l'aimant, je ne pouvais mieux opérer. Ce fut seulement six ans après, que, les expériences de l'illustre Faraday étant connues, j'eus le regret d'apprendre que j'avais été bien près de découvrir, en 1825, un des faits les plus importants de la physique moderne."

La tentative d'Ampère pour créer un courant avec un courant (1822)

Ampère ne se place pas dans la même perspective que Fresnel, Colladon, ou plus tard Faraday lui-même. Il a fait l'hypothèse fondamentale - et sans support expérimental - que le magnétisme d'un aimant est dû à des courants électriques circulant à l'intérieur de l'aimant [Voir la page Ampère jette les bases de l'électrodynamique]. Se pose alors la question de savoir si ces courants sont des courants créés à l'intérieur de l'aimant au moment de l'aimantation ou s'il y a dans l'acier des courants moléculaires, préexistants à l'aimantation qui seraient seulement orientés sous l'influence du courant extérieur. Pour répondre à cette question, Ampère imagine une expérience destinée à "savoir si l'on peut produire un courant électrique par l'influence d'un autre courant".

Une bobine circulaire fixe, reliée à une pile, entoure un léger anneau de cuivre suspendu à un fil très fin et situé à l'intérieur de la bobine (fig. 2.a). Un courant est-il induit dans l'anneau lorsque le courant est établi dans la bobine ? S'il en est ainsi, Ampère s'attend à ce que l'anneau mobile soit mis en mouvement si on en approche un aimant.



Fig. 2. a. L'appareil d'Ampère pour détecter un courant "par influence" (1822).
Un courant dans la bobine fixe (en rouge) induit-il un courant dans l'anneau de cuivre (couleur orangée) ?


2. b. La première réponse en 1821 : "point de courans par influence".

Ses premières expériences avec un aimant droit n'indiquent aucun mouvement mais il faudrait, écrit-il dans le manuscrit ci-dessus, des "expériences précises à ce sujet" (fig. 2.b). Il reprend l'expérience à Genève, avec Auguste de La Rive qui possède un aimant en fer à cheval très puissant. Ampère et de La Rive observent alors un mouvement de l'anneau [Voir une reconstitution de cette expérience : Ampère a-t-il "manqué" la découverte de l'induction en 1822 ?]. Cependant ni Ampère ni de La Rive ne précisent les caractéristiques de ce mouvement, et l'expérience est abandonnée. Si Ampère laisse de côté cette expérience pourtant importante - la création de courants par influence - , on peut penser que c'est parce que son résultat positif l'embarrasse plus qu'il ne le satisfait.

Il est en effet de plus en plus convaincu que l'hypothèse des courants moléculaires, préexistant à l'aimantation, est la bonne. L'échec de sa première tentative de production de courant par influence s'accordait parfaitement avec cette préférence théorique. Le résultat de 1822, qui ne peut plus servir à étayer cette hypothèse, ne suffit cependant pas à modifier le choix d'Ampère. En 1833 il explicite, dans une lettre à Faraday, les raisons pour lesquelles, en 1822, il n'a donné "plus autant d'importance à ces expériences" :

"Lorsque, dans mes premières expériences de juillet 1821, je n'obtins point de courants de cette manière, j'en conclus (...) que, puisqu'un courant ne pouvait en produire un autre par influence, il fallait bien que l'aimantation eût lieu parce que le courant ou le barreau qui aimantait ne faisait que diriger des courants préexistants à l'aimantation dans le fer et l'acier. Mais, lorsque l'expérience que je fis à Genève en 1822 avec M. Auguste de La Rive m'eût obligé à me rétracter et à admettre la production des courants par influence, je pensai que la grande question de la préexistence ou de la non préexistence des courants moléculaires des métaux susceptibles d'aimantation, ne pouvait plus être déterminée de cette manière, qu'elle devait rester indécise jusqu'à ce qu'elle pût être résolue par d'autres moyens, et je ne mis plus autant d'importance à ces expériences que j'eus le tort de ne pas étudier plus à fond."

Ampère et de La Rive ont donc "vu" des courants induits mais s'en sont désintéressés. Cependant plusieurs descriptions de l'expérience de Genève, faisant parfois abusivement une relation entre le sens du courant induit et celui du courant inducteur, circulent dans diverses publications. Ainsi, peut-on lire en janvier 1827 dans une importante revue scientifique anglaise : "Par une très curieuse expérience Ampère a prouvé qu'un fort courant électrique tend à exciter des courants similaires dans des corps voisins, non sujets en général au magnétisme."

Une énigme : un aimant entraîné par un disque de cuivre en rotation (1824)

L'induction de courants électriques, recherchée explicitement par Fresnel, Colladon et Ampère, s'est par ailleurs manifestée sans être reconnue comme telle dans une expérience de François Arago.

Arago avait eu l'occasion d'observer un phénomène surprenant : les oscillations de l'aiguille d'une boussole s'amortissent beaucoup plus vite si la boussole est placée sur une plaque de cuivre, ce qui montrait une interaction entre l'aiguille aimantée en mouvement et la plaque. En 1824, s'interrogeant sur cet effet, il suspend un barreau aimanté au-dessus d'un disque de cuivre en rotation et constate que le barreau est entraîné dans la rotation [Voir la vidéo De la boussole d'Arago au freinage du TGV   ] . L'expérience, qui fait sensation, est reproduite avec diverses variantes, notamment par Charles Babbage et John Herschel à Londres. Si on fait tourner le barreau aimanté, c'est alors le disque qui se met à tourner. Un aimant fixe freine la rotation du disque tout comme le disque de cuivre fixe freine la rotation de l'aimant. Tous ces effets sont reproduits avec des disques d'autres métaux non magnétiques. Enfin Ampère, pour qui un aimant est assimilable à un assemblage de courants, montre que l'aimant peut être remplacé par un solénoïde parcouru par un courant.



Fig. 3. L'appareil d'Arago pour montrer le "magnétisme de rotation" (Lycée Guez de Balzac, Angoulême).

Ce phénomène, rapidement dénommé "magnétisme de rotation", intrigue. Arago se garde d'avancer une interprétation. Babbage et Herschel suggèrent qu'en certains endroits du disque de cuivre apparaissent des pôles magnétiques qui interagissent avec les pôles de l'aimant. Mais on ne comprend pas pourquoi ce magnétisme apparaît seulement si le disque et l'aimant sont en mouvement relatif. La désignation "magnétisme de rotation" ne fait que mettre un nom sur une énigme.

Quelques sept années plus tard, Faraday reprend l'étude du magnétisme de rotation, mais cette fois dans le cadre de ses recherches sur l'induction électromagnétique.

Premières recherches de Faraday : "no effect"

Après sa découverte des rotations continues en 1821 [Voir la page Faraday, Ampère, et le mystère des rotations continues], Faraday est très occupé par de multiples travaux, principalement en chimie. Cependant sa correspondance et son journal de laboratoire (Diary) témoignent de sa préoccupation toujours présente de "convertir le magnétisme en électricité". On peut retracer ses tentatives à partir de quelques notes laconiques de ce Diary.

A la différence de Fresnel et Colladon qui recherchaient la création d'un courant induit dans un circuit sans pile, Faraday recherche tout d'abord la modification de l'intensité d'un courant existant. Ainsi, en 1824, il approche un très fort aimant de diverses portions d'un circuit parcouru par un courant. Mais la déviation de son galvanomètre, constitué d'une aiguille aimantée simplement entourée de quelques spires, ne varie pas.

En 1825, nouvelle tentative d'induire un courant non plus avec un aimant, comme Fresnel et Colladon, mais avec un courant, comme Ampère. Une forte pile alimente un premier circuit comportant un fil conducteur de plus d'un mètre de longueur. Un deuxième fil, relié à un galvanomètre, est placé le long du premier fil. Mais il n'apparaît pas de courant induit, même si le circuit "inducteur" est enroulé en hélice autour du deuxième fil, ou si le deuxième fil est enroulé en hélice autour du premier.

En 1828, Faraday revient à la recherche d'induction par un aimant. Il suspend un anneau métallique à une balance de torsion et place dans l'axe de cet anneau l'extrémité d'un fort barreau aimanté, "supposant qu'il puisse exercer une influence sur [l'anneau]"(fig. 4). Mais en approchant un deuxième aimant de l'anneau, il n'observe aucun mouvement de l'anneau, quelle que soit la position de ce deuxième aimant.


Fig. 4. Faraday place un fort aimant dans l'axe d'un anneau métallique suspendu à une balance de torsion (en noir)
[Dessin d'après l'original de Faraday]

Les électroaimants de Joseph Henry

En 1831, le physicien hollandais Gerrit Moll attire l'attention de Faraday sur la puissance étonnante des électroaimants que vient de construire le physicien américain Joseph Henry. Même alimentés par une pile très modeste, ces électroaimants peuvent porter des charges de plusieurs centaines de kilogrammes. Alors que l'enroulement de l'électroaimant de Sturgeon, en 1824, ne comptait que quelques spires, ceux de Henry en comportent plusieurs centaines(fig. 5), Cela impliquait un travail délicat et extrêmement long pour interposer à la main entre les spires contiguës des matériaux isolants.

Fig. 5. A gauche : un électroaimant de Henry (1831).

A droite : l'électroaimant de Sturgeon (1824)

Août 1831 : La découverte

Les expériences de Henry et Gerritt Moll suggèrent-elles à Faraday d'exploiter l'effet multiplicateur des bobines et l'effet concentrateur du noyau de fer ? Cela pourrait expliquer qu'il passe, semble-t-il sans étape intermédiaire, de ses précédentes tentatives d'induction à l'essai réussi en 1831. Le 29 août 1831 il réalise en effet l'expérience célèbre qui lui permet d'obtenir enfin de façon indubitable la création d'un courant induit sous l'action d'un autre courant.

Autour d'un anneau de fer sont enroulées deux bobines, comportant chacune plusieurs centaines de spires, qu'il a fallu isoler soigneusement les unes des autres par de la ficelle et des bandes de tissu. La première bobine est reliée à une pile d'une dizaine d'éléments, la seconde à un galvanomètre rudimentaire, constitué d'une spirale attirant ou repoussant l'un des pôles d'une aiguille aimantée (fig. 6).

Fig. 6. A gauche : l'anneau (Faraday, Experimental Researches...)

A droite : les deux circuits inducteur et induit (d'après le Diary).

Lorsque Faraday établit le courant dans la première bobine, l'aiguille dévie fortement. Mais elle revient au zéro après quelques oscillations. Lorsque le courant est coupé dans la première bobine, le galvanomètre dévie à nouveau. Mais en sens inverse. A nouveau l'aiguille revient au zéro. "Donc un effet évident mais transitoire", note-t-il, "dû à une vague d'électricité causée lors de la rupture ou de l'établissement des contacts [avec la pile]". Ce caractère transitoire du phénomène, totalement imprévu, fait comprendre les échecs antérieurs.

Le galvanomètre artisanal de Faraday est beaucoup moins sensible que certains galvanomètres existant à cette époque, comme le galvanomètre de Nobili. Mais Faraday éprouve une réticence à l'égard des appareils vendus par les constructeurs. Dans cette expérience, il a la chance que l'effet soit suffisamment important.

Toujours en 1831, Joseph Henry découvre le même phénomène de l'induction à l'aide d'un dispositif similaire utilisant l'un de ses électroaimants (fig.7), mais il publie sa découverte après Faraday. En outre, pour ce dernier la découverte d'août 1831 est le point de départ d'une série d'expériences destinées à étudier le phénomène dans toute sa généralité.

Fig. 7. Une bobine B, enroulée autour de l'armature de l'électroaimant, est reliée à un galvanomètre. Lorsque Henry établit ou coupe le courant dans l'électroaimant, un courant est induit dans B et fait dévier l'aiguille du galvanomètre.


Les différentes manières de produire des courants induits (août à décembre 1831)

[Voir la vidéo Créer de l'électricité à partir du magnétisme ? ]

S'il existe une "méthode Faraday", elle consiste à mener, à partir de ce qui peut sembler au départ une observation isolée et dont les conditions ne sont que grossièrement déterminées, une investigation systématique qui permette de constituer un phénomène nouveau et bien caractérisé. On en trouve un exemple remarquable en suivant dans le Diary l'exploration, à partir d'août 1831, de toutes les façons possibles de produire des courants induits. Des dizaines d'expériences réalisées en quelques semaines, nous ne retiendrons que les principales, ayant mené à des résultats significatifs pour Faraday.




Le lendemain de l'expérience de l'anneau, Faraday obtient à nouveau des courants induits en enroulant cette fois les deux bobines autour d'un noyau de fer droit et conclut : " Il n'y a donc pas besoin d'un aimant en anneau". Puis, avec une pile plus puissante et un galvanomètre plus sensible, il parvient à déceler la production d'un faible courant induit avec deux bobines enroulées l'une au-dessus de l'autre sur un cylindre de bois (1er octobre) (fig. 8).

Entre temps, le 24 septembre, Faraday a réussi a observer pour la première fois l'induction d'un courant non plus par un courant mais par des aimants. Un bref courant est en effet induit chaque fois qu'est rompu ou rétabli un "circuit magnétique" constitué de deux aimants droits et d'un cylindre de fer doux autour duquel est enroulée la bobine induite (fig. 9). Fermer le circuit magnétique revient à créer de façon quasi instantanée un aimant à l'intérieur de la bobine par l'aimantation du fer doux. Faraday note alors : "ici, indéniable conversion du magnétisme en électricité". Sans doute considère-t-il cette expérience comme plus "pure" que celle de l'anneau, où un courant était à l'origine de l'induction. En effet, pour lui, la question de l'identité entre les actions magnétiques des courants et celles des aimants reste ouverte.

Fig. 9. Création d'un courant induit par la fermeture ou l'ouverture d'un "circuit magnétique". Les extrémités inférieures Sud et Nord des deux aimants droits sont en contact. Le noyau de fer doux de la bobine est placé entre les pôles supérieurs. Le contact entre le noyau et les pôles est rompu, puis rétabli. (Diary, © Royal Institution et HR Direct)

Fig. 8. Création d'un courant induit avec deux bobines, de plus de 70 mètres de fil, enroulées sur un cylindre de bois.













Le 17 octobre, un effet d'induction est à nouveau produit à l'aide d'un aimant, cette fois-ci en l'enfonçant très rapidement dans la bobine ou en le retirant (fig. 10). "Une vague d'électricité est donc produite par la simple approche d'un aimant et non par sa formation in situ".

Fig. 10. Introduction d'un aimant à l'intérieur d'une bobine [d'après Experimental researches...]

Le 28 octobre, Faraday peut expérimenter avec le très gros aimant en U de la Royal Society. Lorsqu'il reproduit avec cet aimant l'expérience du "circuit magnétique" (fig. 9), l'aiguille du galvanomètre fait plusieurs tours ! Un courant induit est décelé même si la bobine est réduite à une seule spire.

Faraday constate alors que le simple fait d'approcher ou d'éloigner de l'entrefer de cet aimant une bobine sans noyau de fer suffit à faire apparaître, pendant la durée du déplacement, un courant induit (fig. 11). Comme dans l'expérience où l'aimant est introduit dans la bobine (fig. 10), il y a déplacement relatif entre le circuit induit et l'aimant. Faraday écrit "ceci est directement en rapport avec l'expérience d'Arago", c'est-à-dire avec le magnétisme de rotation.

Fig. 11. La bobine est brusquement introduite dans l'entrefer de l'aimant, puis retirée [d'après le dessin de Faraday, Diary]

En effet, dans l'expérience d'Arago un conducteur - le disque métallique - est également en mouvement au voisinage d'un aimant. Aussi Faraday remplace-t-il la bobine par un disque de cuivre qu'il fait tourner entre les pôles de l'aimant (fig. 12a). Un courant est alors induit en permanence dans ce disque, que Faraday observe en dérivant une partie de ce courant à travers un galvanomètre, relié au centre et à la périphérie du disque (fig. 12b).

Fig. 12. a. Le disque de Faraday.      b. Lors de la rotation du disque un courant est décelé par le galvanomètre [d'après deux dessins de Faraday, Diary]

[Pour une reproduction de l'expérience de Faraday, voir la vidéo De la boussole d'Arago au freinage du TGV ]

En quoi l'existence de courants induits dans le disque en rotation explique-t-elle l'entraînement de l'aimant dans l'expérience d'Arago ? On sait depuis les expériences de 1821 d'Ampère et Faraday qu'il existe des forces entre un courant et un pôle d'aimant, et Faraday attribue l'entraînement du barreau d'Arago aux forces exercées sur les pôles de l'aimant par le courant induit.

L'effet inducteur du déplacement relatif d'un circuit par rapport à un aimant ayant été exploré dans diverses variantes, Faraday s'attaque au déplacement relatif de deux circuits. En décembre 1831, il applique en zigzag un fil de cuivre de plus d'un mètre sur une planche, puis à l'identique sur une deuxième planche (fig. 13). L'un des "W" est connecté à une forte pile, l'autre à un galvanomètre. L'aiguille du galvanomètre dévie lorsque les W sont approchés ou éloignés.

Fig. 13. Deux circuits identiques en W, disposés sur deux planchettes, peuvent être rapprochés jusqu'à n'être plus séparés que par une mince feuille isolante (représentée en b. par les hachures). Les extrémités A et B sont reliées à un galvanomètre, celles de l'autre W aux bornes C (cuivre) et Z (zinc) de la pile. (D'après le Diary)

Identité entre électricité induite, électricité "voltaïque" et électricité de frottement ?

Faraday s'interroge ensuite sur la nature des courants d'induction. Lorsque ce courant est aussi bref qu'une décharge électrostatique, s'apparente-t-il à une telle décharge ? Lorsqu'il est d'une certaine durée, s'apparente-t-il au courant produit par une pile ? Bien que Faraday soit d'emblée persuadé de l'identité des électricités de diverses sources - électricité "ordinaire" des machines à frottement, électricité "voltaïque" des piles, électricité d'induction - il considère que cette identité n'est pas évidente et doit être prouvée. Il tente donc de reproduire avec les courants induits tous les effets connus de l'électricité : étincelles, décompositions chimiques, effets magnétiques et calorifiques. Ses premiers essais échouent du fait de la brièveté et de la faiblesse des courants induits. Mais il parvient à aimanter des aiguilles d'acier placées dans une hélice parcourue par un courant induit, puis à obtenir des étincelles, et enfin les convulsions d'une grenouille et une sensation sur sa propre langue. La démonstration n'est pourtant pas achevée à ses yeux car certains effets ne sont produits que par une seule source d'électricité. Cette démonstration fera l'objet en 1833 de la 3ème Série des Experimental Researches et amènera Faraday à s'intéresser à l'électrolyse [Voir la page  La relation entre "atomes de matière" et électricité : l'électrolyse]

Une première systématisation : les Experimental Researches in Electricity

Dans son ouvrage majeur, les Experimental Researches in Electricity, Faraday reprend les résultats des expériences consignées chronologiquement dans son journal, non "tels qu'ils ont été obtenus mais de manière à en donner la vue d'ensemble la plus concise". Il regroupe d'abord les expériences d'induction par des courants, en l'absence de noyau de fer, et "propose de nommer l'action du courant de la pile voltaïque induction volta-électrique."

Dans une deuxième partie, il décrit les expériences avec l'anneau, puis les expériences d'induction par les aimants, et "propose d'appeler l'effet ainsi exercé par les aimants ordinaires induction magnéto-électrique."

Fig. 14. La traduction française des Experimental Researches (Annales de Chimie et de Physique, t. 50, 1832).





Les expériences comme celle de l'anneau, où le courant inducteur transforme le noyau de fer en aimant temporaire, relient entre elles ces deux sortes d'induction, et Faraday y voit un argument en faveur de la "belle théorie d'Ampère" sur l'équivalence entre aimants et courants circulaires. Aussi écrit-il, "même à ce premier stade d'investigation", il y a de bonnes raisons de penser qu'on verra disparaître la distinction entre inductions volta- et magnéto-électriques. Mais Faraday n'abandonnera cette distinction qu'après avoir montré l'identité des effets produits par les courants induits dans l'un et l'autre cas.

L'induction est un phénomène paradoxal : un courant inducteur qui diminue pour s'annuler crée un courant induit alors qu'un courant constant n'en produit pas. Dans ses efforts pour comprendre physiquement ce paradoxe, Faraday suppose que la matière de la deuxième bobine est mise dans un état particulier - "l'état électrotonique" - lorsque cette matière est parcourue par la première "vague" du courant induit. Cet état se maintiendrait tant que le courant inducteur est constant. Lorsque le courant inducteur s'annule, l'état électrotonique "se relâcherait", provoquant un courant induit opposé au courant inducteur. Mais la nature de cet état électrotonique reste peu claire, et Faraday abandonne rapidement ce principe explicatif. Il y revient cependant quelques années plus tard, dans ses tentatives d'interpréter l'ensemble des phénomènes électriques et magnétiques en termes de "lignes de forces" remplissant l'espace.

Dans une dernière partie, Faraday revient en détail sur l'expérience du disque tournant entre deux pôles d'aimant ("disque de Faraday", fig. 12). Il varie les positions des connexions au galvanomètre et la position de l'aimant par rapport au disque (fig. 15). De ses observations, il déduit que les courants dans le disque sont induits principalement selon le rayon passant entre les pôles de l'aimant, et se referment de part et d'autre de ce rayon (fig. 16). Comme on l'a vu plus haut, cette étude lui permet de donner "une explication complète du phénomène magnétique d'Arago". De plus le disque de Faraday "démontre la production d'un courant permanent par des aimants ordinaires", puisque le courant persiste aussi longtemps que le disque est en rotation, à la différence des courants temporaires obtenus dans ses autres expériences. On peut donc "faire de l'expérience d'Arago une nouvelle source d'électricité".

<- Fig. 15. La détection des courants induits dans le disque. Faraday varie la position des contacts (en noir) vers le galvanomètre (schématisé "fig. 8") et la position des pôles d'aimant (en rouge).

Fig. 16. La circulation des courants (en rouge), induits par la rotation du disque.      ->

Quel est le sens du courant induit ?

Pendant plusieurs mois, Faraday se trompe sur le sens des courants induits : "il y a dans mes notes précédentes beaucoup de confusion", reconnait-il dans son journal le 8 décembre 1831, avant de publier ses résultats définitifs. Son erreur découle des difficultés expérimentales mais elle traduit également l'emprise d'une idée préconçue. Il s'attendait à un effet analogue à l'aimantation d'un barreau de fer sous l'influence d'un courant : une hélice, parcourue par un courant, "induit" dans un noyau de fer des courants ampériens de même sens. De plus Faraday était influencé par une description erronée de l'expérience d'induction d'Ampère [Voir plus haut La tentative d'Ampère....]. Il prête à Ampère l'énoncé, qu'il croît confirmer lui-même dans un premier temps, selon lequel "un courant tend à mettre l'électricité dans les conducteurs voisins en mouvement dans la même direction".

Lorsque Faraday reprend ses expériences pour préciser le sens du courant induit, les résultats apparaissent inattendus et complexes :

Fig. 13 : Dans l'expérience des circuits en W, lorsque les fils s'approchent, le courant induit est dans une direction opposée au courant inducteur. Lorsque les fils s'éloignent, le courant induit est dans la même direction que le courant inducteur. Ces courants induits ne durent qu'autant que dure le déplacement.

Fig. 8 : Dans l'expérience des deux bobines, lorsqu'on établit le contact avec la pile, le bref courant induit est en sens inverse du courant inducteur et, lorsque le contact est rompu, de même sens que le courant inducteur.

Fig. 9 : Lorsque le noyau de fer doux se transforme en aimant sous l'action des deux aimants droits, le courant induit dans la bobine a un sens tel que s'il agissait seul, il aimanterait le noyau en sens inverse.

Faraday ne réunit pas ces constatations dans un énoncé général. La règle qu'il propose pour déterminer dans toutes les circonstances le sens du courant induit repose sur une nouvelle notion, celle des courbes magnétiques.

L'introduction des "courbes magnétiques"

Dans sa discussion de l'expérience du disque tournant entre deux pôles d'aimant, Faraday introduit en effet cette notion de courbes (ou lignes de forces) magnétiques. Il s'agit des courbes que matérialise la limaille de fer autour d'un aimant. En recourant au magnétisme terrestre comme inducteur, Faraday constate qu'une variation du magnétisme dans le temps ou dans l'espace n'est pas nécessaire. Pour qu'il y ait induction, il suffit que dans son mouvement, le disque "coupe des courbes magnétiques". Grâce au puissant électroaimant de la Royal Society, Faraday met en évidence la production de courants induits par le mouvement rapide d'un simple fil de cuivre dans l'entrefer de cet aimant, orthogonalement aux courbes magnétiques.

Il énonce alors la loi "qui gouverne la production d'électricité par l'induction magnéto-électrique, [loi] très simple, quoiqu'assez difficile à exprimer". Le courant induit dépend uniquement de la façon dont le conducteur coupe les courbes magnétiques : le courant est induit suivant une direction perpendiculaire à la fois à la direction du mouvement du conducteur et aux courbes magnétiques(fig. 17). La règle "assez difficile à exprimer" qui précise le sens, le long de cette direction, est analogue à la règle "des trois doigts" utilisée aujourd'hui par les étudiants.

<- Fig. 17 a. Les directions relatives du magnétisme, de la vitesse du conducteur, et du courant induit "peuvent être représentées par trois lignes à angle droit" (d'après Faraday, Diary, mars 1832).

17 b. Un exemple d'application de la règle de Faraday donnant le sens du courant induit.       ->

La règle donnée par Faraday équivaut, pour ce qui est des directions et sens, à la loi actuelle donnant le champ électromoteur Em dans un conducteur qui coupe les lignes d'un champ magnétique B à la vitesse v ( les caractères gras représentent des grandeurs vectorielles) :

Em = v B

Les courbes magnétiques, ou "lignes de force", qui permettent de déterminer la direction du courant induit (fig. 17) sont désormais placées au cœur de la théorie de l'induction de Faraday (2ème série des Experimental Researches).

Ainsi l'induction "volta-électrique", qui ne fait pas intervenir d'aimant, peut également être interprétée en termes de lignes de force coupées. Un courant inducteur crée autour de lui des lignes de force magnétiques. Dans le cas d'un circuit induit en mouvement dans l'espace entourant le circuit inducteur, le circuit induit coupe les lignes de force du circuit inducteur. Dans le cas de l'établissement ou de la rupture d'un courant dans le circuit inducteur, "les lignes magnétiques elles-mêmes doivent être considérées comme en mouvement", se propageant dans l'espace autour du circuit inducteur et coupant le circuit induit.

Pour Faraday, cette interprétation acquiert un caractère suffisamment général pour "ôter toute raison de supposer cette condition particulière que je hasardai d'appeler l'état électrotonique".

Enfin il montre expérimentalement que le phénomène d'induction, déterminé par la vitesse à laquelle sont coupées les lignes de force, est caractérisé non par l'intensité du courant induit, mais par la "puissance qui tend à faire traverser le fil par un courant électrique", ce qu'en termes modernes on appelle la "force électromotrice d'induction".

Des lois qualitatives de Faraday aux formulations mathématiques

En 1834, Lenz énonce la règle qualitative devenue célèbre : le sens du courant induit est tel qu'il s'oppose par ses effets au "changement qui lui donne naissance". Cette règle rend parfaitement compte des expériences de Faraday (Quel est le sens du courant induit ? ), dont il n'avait pas tiré de loi générale. Lorsque le "changement qui donne naissance" au phénomène d'induction est une variation du magnétisme (fig. 8 et 9), le magnétisme dû au courant induit tend à s'opposer à cette variation. Lorsque le changement est lié à un déplacement, les forces électromagnétiques engendrées par le courant induit s'opposent à ce déplacement : ainsi dans l'expérience des circuits en W (fig. 13), lorsque les fils s'approchent, la force qui s'exerce entre l es circuits inducteur et induit est répulsive.

C'est en se fondant à la fois sur les travaux de Faraday et sur cette règle qualitative que Franz Neumann établit en 1845 la loi mathématique de l'induction. Partant de l'idée, suggérée par la règle de Lenz, que les courants induits sont créés, dans le cas du mouvement, par un travail contre des forces électromagnétiques, il arrive à la loi écrite aujourd'hui sous la forme e = - dφ/dt, souvent nommée "loi de Faraday", bien que dans toute l'œuvre de Faraday ne figure aucune formule mathématique. Cette loi signifie que la force électromotrice induite est proportionnelle au "flux magnétique" φ coupé par unité de temps, ou à la variation par unité de temps du flux magnétique φ embrassé par le circuit induit. La notion de flux magnétique traduit mathématiquement l'idée qualitative de Faraday d'un nombre plus ou moins grand de lignes de force traversant une surface donnée. En fait, Neumann n'utilise pas cette notion de flux magnétique, et sa loi mathématique s'énonce très différemment de la forme devenue classique, tout en lui étant équivalente.

"Faire de l'expérience d'Arago une nouvelle source d'électricité" ?

Avec son expérience du disque tournant, Faraday a pu expliquer le mystère du "magnétisme de rotation" d'Arago et fonder son interprétation du phénomène d'induction en termes de courbes magnétiques coupées, mais il écrit aussi : "il est extraordinaire d'observer le plateau tournant transformé en machine électrique". Ce disque fournit en effet un nouveau type de machine électrique, capable de créer des courants électriques permanents. Faraday ajoute toutefois : 

"j'ai été plus désireux de découvrir de nouveaux faits et relations liés à l'induction magnéto-électrique, que de renforcer l'action de ceux déjà obtenus, persuadés qu'il trouveront bientôt leur plein développement."

Faraday laisse donc à d'autres les applications possibles de ses expériences, recherchant pour sa part le mécanisme intime des phénomènes. Mais s'il n'est pas l'inventeur de la dynamo, de l'alternateur ou du transformateur, ceux-ci lui doivent pourtant beaucoup. [Voir la vidéo Créer de l'électricité à partir du magnétisme ? ]

Pour en savoir plus

FARADAY, Michael. Recherches expérimentales sur l'électricité, Annales de chimie et de physique, t. 50, 1832, p. 5-68, 113-162. [Voir le PDF]
FARADAY, Michael ; FISHER, Howard J. (ed.). Faraday's Experimental Researches in Electricity: Guide to a first reading, Santa Fe, New Mexico : Green Lion Press, 2001. (Cette édition commentée d'une large sélection des Experimental Researches in Electricity est un précieux guide de lecture)
FARADAY, Michael. Experimental Researches in Electricity, London, vol. 1, 1839, series 1 & 2 [Lire sur Gallica].
FARADAY, Michael. Faraday's Diary, Royal Institution of Great Brtitain, (1936) 2008, http://www.faradaysdiary.com/. (Ce site propose un accès partiel au fac-similé du Faraday's Diary, dont le 1er volume comprend les expériences de 1831).

ROSS, Sydney. The Search for Electromagnetic Induction, Notes and Records of the Royal Society of London, 1965, 20, p. 184-219.
HIRTZ, Germaine ; (FARADAY). Extraits des Recherches expérimentales en électricité, présentés par Germaine Hirtz, Paris : Gauthier-Villars, 1968 (Extraits de textes de Faraday traduits en français).


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité.



Mise en ligne : août 2010 (dernière révision : septembre 2011)

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