@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Parcours historique > Des lois pour le courant : Ampère, Ohm et quelques autres...

Faraday, Ampère, et le mystère des rotations continues

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Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

L'étonnement d'Ampère devant une découverte de Faraday

En septembre 1821, Faraday annonce dans la revue de la Royal Institution qu'il a obtenu la rotation continue d'un aimant sous l'action d'un conducteur, et réciproquement, la rotation d'un conducteur sous l'action d'un aimant.

Appareil avec lequel Faraday a fait la démonstration des mouvements de rotation continue.
Les deux cuves (en coupe) sont remplies de mercure.
A gauche, un aimant cylindrique est attaché au fond du récipient par un fil fixé à l'un de ses pôles. Le fer étant moins dense que le mercure, l'autre pôle de l'aimant émerge au-dessus de la surface. Un conducteur de cuivre, relié à une pile, pénètre dans le mercure par le fond de la cuve. Un second conducteur, fixe et vertical, plonge dans le mercure au centre de la cuve.

"Lorsque les pôles d'un appareil voltaïque sont connectés [à ces deux conducteurs], écrit Faraday, le pôle supérieur de l'aimant se met immédiatement à tourner autour du conducteur qui plonge dans le mercure ; et cette rotation se produit dans un sens ou dans l'autre, selon le sens de la connexion."

A droite, l'aimant est fixé verticalement au centre de la cuve. Une tige conductrice mobile, dont l'extrémité inférieure trempe dans le mercure, est suspendue à la potence et peut se mouvoir librement autour du point de suspension, tout en conservant le contact électrique.

"Quand les connexions sont faites [...] de telle sorte que le courant passe dans cette tige mobile, elle tourne autour du pôle de l'aimant, dans un sens qui dépend du pôle [nord ou sud] utilisé, et du sens des connexions."

Faraday, Experimental Researches in Electricity, Vol. II, pl. IV

Au retour de sa tournée d'inspection de l'été 1821, Ampère a quelque peu oublié l'électromagnétisme. Le mémoire de Faraday relance ses recherches. "Ce mémoire contient des faits électromagnétiques très singuliers, qui confirment parfaitement ma théorie, quoique l'auteur cherche à la combattre pour lui en substituer une de son invention". De plus Ampère croit voir dans ces rotations continues, à son grand étonnement, la production permanente d'une "force vive" [en termes modernes, d'énergie cinétique] capable de vaincre les frottements, et cela sans dépense de travail.

Comment expliquer une telle production apparemment "gratuite" de mouvement ? Et en quoi consiste l'opposition théorique des deux physiciens ?

Ampère laisse provisoirement de côté la première question, mais reprend aussitôt les expériences de Faraday, en cherchant à les intégrer à sa théorie.

Les rotations continues d'Ampère et le débat avec Faraday

Ampère apporte aux expériences de Faraday de nombreuses modifications. Il remplace la tige verticale de Faraday par un circuit en fer à cheval, et le mercure par de l'eau acidulée afin de diminuer les frottements.

Il réussit à faire tourner le conducteur sans aimant, sous la seule action du magnétisme terrestre, comme il l'écrit à Faraday le 23 janvier 1822. [Voir la lettre]

Un échange amical, et très enrichissant au plan expérimental, s'établit entre les deux savants : lettres, échanges de leurs mémoires. Mais leurs interprétations divergent radicalement. La divergence fondamentale porte sur la nature du "fait primitif" dans les interactions entre un aimant et un courant. Pour Faraday le fait primitif est la rotation du pôle d'aimant autour du courant, et réciproquement. C'est ainsi qu'il explique l'expérience d'Œrsted : le pôle Nord de la boussole tourne autour du fil. Pour Ampère le fait primitif doit être recherché "dans l'action de deux choses de même nature comme les deux conducteurs et non dans celle de deux choses hétérogènes comme un conducteur et un aimant". Son but ultime est en effet de réduire les phénomènes électromagnétiques à des forces d'attraction ou de répulsion entre éléments de courants [Voir la page Ampère jette les bases de l'électrodynamique].


Un appareil d'Ampère parmi bien d'autres.
Rotation d'un circuit mobile OLM en fer à cheval, sous l'action d'un aimant.
AB, AB' et AB" représentent différentes positions de l'aimant.

Parmi tous les dispositifs complexes qu'Ampère fait successivement construire, celui qu'il imagine en décembre 1821 concerne tout particulièrement ce débat. Si le fait fondamental est l'action mutuelle entre deux courants, on doit pouvoir obtenir une rotation continue sans aimant, par l'action d'un circuit sur un autre circuit. Dans la 2ème expérience de Faraday, Ampère remplace l'aimant vertical fixe par un circuit circulaire placé autour de sa cuve. Lorsque ce circuit est parcouru par un courant assez intense, le circuit en fer à cheval se met en rotation, comme avec l'aimant.


Rotation continue d'un courant sous l'action d'un courant.
Dans cette expérience, il n'y a plus d'aimant. Le circuit mobile, en équilibre sur la coupelle S, est constitué du conducteur AEFG soudé à un cercle de cuivre horizontal. Le cercle plonge dans une cuvette remplie d'eau acidulée. Lorsqu'un circuit circulaire est placé autour de la cuve et parcouru par un courant assez intense, l'équipage mobile tourne aussi longtemps que le courant circule.

Faraday : "J'attends de nouvelles preuves"

Pour expliquer les rotations continues mettant en jeu un aimant, Ampère s'appuie sur son hypothèse de l'existence de courants électriques à l'intérieur des aimants. A partir de sa formule, donnant la force s'exerçant entre deux éléments de courants, il est en effet possible, du moins théoriquement, de "soumettre les phénomènes au calcul" [Voir la page A la recherche d'une loi newtonienne pour l'électrodynamique]. La rotation d'un conducteur autour d'un pôle d'aimant, ou réciproquement, apparaît ainsi chez Ampère comme un fait composé, résultant d'une multitude d'actions élémentaires. Pour Faraday au contraire, c'est la rotation elle-même qui constitue le fait primitif, tandis que l'hypothèse de courants dans les aimants lui paraît superflue et hasardeuse.

"Je suis naturellement sceptique en matière de théorie et par conséquent vous ne devez pas m'en vouloir de ne pas admettre immédiatement ce que vous avez avancé. L'ingéniosité et les applications sont surprenantes et exactes, mais je ne puis comprendre comment les courants sont produits et particulièrement s'ils sont supposés existant autour de chaque atome ou particule et j'attends de nouvelles preuves de leur existence avant de les admettre." [2 février 1822, Voir la lettre]

La rotation d'un courant sous l'action d'un courant, obtenue par Ampère ne suffit pas à modifier l'opinion de Faraday. Pour ce dernier ce sont les attractions et répulsions entre courants qui doivent être considérées comme des faits composés, résultant d'une combinaison d'actions révolutives. Mais il ne poursuit pas le débat, atténuant son désaccord par l'évocation de son "insuffisance dans les connaissances mathématiques" et de ses faiblesses dans le domaine théorique.

"En lisant vos publications et vos lettres, je n'ai pas de difficulté à suivre vos raisonnements ; mais, à la fin, il me semble que j'attends quelque chose de plus pour conclure. J'imagine que l'habitude que j'ai prise de compter trop strictement sur l'expérimentation a un peu émoussé ma faculté de raisonnement et m'enchaîne à terre [...].En ce qui regarde l'électro-magnétisme, me sentant incapable de raisonner comme vous le faites, je suis effrayé de recevoir tout à coup les conclusions auxquelles vous arrivez (quoique, pour leur simplicité et leur beauté, je sois bien tenté de les adopter) [...] Je diffère non parce que je les trouve précipitées ou erronées, mais parce que j'attends quelques faits pour me venir en aide. [3 septembre 1822, Voir la lettre]

Le mouvement perpétuel grâce à l'électricité ?

Les expériences candidates au titre d'ancêtre du moteur électrique ne manquent pas [Voir la page Ampère a-t-il inventé le galvanomètre,..., le moteur électrique ?]. Les expériences de rotations continues de Faraday ne montrent-elles pas la possibilité d'utiliser la force électromagnétique pour produire un mouvement rotatif continu ? Pourtant ce sont les implications théoriques, et non l'éventuelle utilisation motrice, qui suscitent l'intérêt d'Ampère et de ses contemporains.

Tout d'abord les rotations continues fournissent à Ampère un argument qui lui semble décisif face aux théories électromagnétiques reposant, comme celle de Biot, sur une magnétisation des conducteurs. En effet il est impossible d'obtenir ces rotations continues seulement avec des aimants.

Par ailleurs, un aspect des expériences d'Ampère et Faraday suscite un grand étonnement chez les théoriciens. Comme on l'a vu, Ampère croit y voir une production gratuite de "force vive". C'est ce qu'il exprime dans l'Exposé qu'il lit en séance publique à l'Académie des Sciences, en avril 1822 : 

"Un mouvement qui se continue toujours dans le même sens, malgré les frottements, malgré la résistance des milieux, et [...] produit par l'action mutuelle de deux corps qui demeurent constamment dans le même état, est un fait sans exemple dans tout ce que nous savions des propriétés que peut offrir la matière inorganique".

Un mouvement produit par l'action mutuelle de deux corps demeurant dans le même état, n'est-ce pas la définition du mouvement perpétuel, même si l'on n'ose en prononcer le nom ? Un tel mouvement, obtenu sans dépense de travail, est bien un "fait sans exemple", que l'Académie des sciences refuse de prendre en considération depuis 1775 !

Le phénomène ne nous étonne plus comme il étonnait Ampère et ses contemporains car nous prenons en compte le principe de la conservation de l'énergie, formulé au milieu du XIXe siècle. Des transformations chimiques se produisent à l'intérieur de la pile et il s'y produit une conversion d'énergie chimique en énergie électrique. Avec la rotation du circuit mobile, cette énergie électrique est convertie en énergie mécanique. De son côté, prenant en compte le fait que l'électricité au repos n'avait jamais provoqué ce type de phénomènes, Ampère avance l'hypothèse selon laquelle "on ne peut attribuer cette action [responsable de la rotation continue] qu'à des fluides en mouvement".

Pour en savoir plus : Ampère est-il l'auteur du "théorème d'Ampère" ?

Lors de la rotation continue d'un pôle d'aimant autour d'un fil, la vitesse de ce pôle croît jusqu'à une valeur limitée par les frottements. C'est Maxwell qui donne en 1856 l'expression du travail de la force électromagnétique agissant sur le pôle en rotation : pour un pôle unité, ce travail est égal, à un coefficient numérique près, à l'intensité du courant dans le fil. Maxwell ajoute : "on peut donc faire [de ce travail] une mesure de la grandeur du courant."

Il donne par la suite une forme abstraite et plus générale à ce théorème, forme sous laquelle on le trouve, sous le nom de "théorème d'Ampère", dans les traités modernes d'électricité (La circulation du champ magnétique le long d'une courbe fermée est égale au courant I qui traverse une surface limitée par cette courbe).

Dans son cours au Collège de France en 1826, pris en notes par le jeune mathématicien Liouville, Ampère a mené un calcul dans lequel nous reconnaissons le travail de la force (donnée par la loi de Biot et Savart) subie par le pôle magnétique en rotation. Contrairement aux forces newtoniennes, pour lesquelles ce travail est nul le long d'une courbe fermée, il obtient une expression qui croît en progression arithmétique à chaque tour, mais il ne s'attache pas à préciser la valeur correspondant à un seul tour et n'exploite pas ce résultat. Il faut toutefois souligner que la notion de travail mécanique n'est explicitée qu'en 1829 par Coriolis. D'autre part Ampère ne voit dans son calcul qu'une remarque "de pure curiosité... parce qu'on ne peut isoler les pôles d'un aimant".

Ampère n'a donc pas formulé mathématiquement le théorème qui porte son nom, mais il en a donné les éléments physiques essentiels.

Pour en savoir plus

FARADAY, Michael ; FISHER, Howard J. (ed.). Faraday's experimental researches in electricity: Guide to a first reading, Santa Fe, New Mexico : Green Lion Press, 2001.


LOCQUENEUX, Robert. Ampère, encyclopédiste et métaphysicien. Les Ulis : EDP sciences, 2008.

HOFMANN, James R.. André-Marie Ampère. Cambridge : Cambridge University Press, 1996.

BLONDEL, Christine. Ampère et la création de l'électrodynamique, 1820-1827. Paris : Bibliothèque nationale, 1982.


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité.



Mise en ligne : juin 2009 (dernière révision : septembre 2011)

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