@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Parcours historique > Des lois pour le courant : Ampère, Ohm et quelques autres...

Ampère a-t-il inventé le galvanomètre, le télégraphe, l'électroaimant, le moteur électrique... ?

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Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

De nombreux articles de dictionnaires ou d'encyclopédies, sur papier ou en ligne, affirment qu'Ampère a inventé le galvanomètre, le premier télégraphe électrique, l'électroaimant avec Arago, voire même le moteur électrique.

Est-ce nuire à la gloire méritée d'un savant, si grand soit-il, que d'y regarder de plus près ? Pour nous, c'est l'occasion de contester une tendance très générale à confondre loi physique et invention technique, comme si l'invention était une simple "application" d'une loi physique. Il ne manque pas d'inventions, comme celle de la machine à vapeur, qui précèdent les théories scientifiques en expliquant le fonctionnement. Cependant on a souvent tendance à attribuer à un seul homme ce qui appartient à un ensemble au sein duquel d'autres savants, des constructeurs, des inventeurs et des ingénieurs ont pu jouer un rôle déterminant. Pour qu'un principe physique s'incarne non dans une curiosité de laboratoire mais dans un objet technique effectivement utilisé, toute une série de conditions interviennent positivement ou négativement : moyens techniques disponibles, demande de la société, contexte économique et social, politique de l'invention. Le télégraphe est de ce point de vue un cas d'étude exemplaire.

Ampère et l'histoire de la télégraphie

La contribution d'Ampère à l'histoire de la télégraphie électrique se résume à la phrase suivante publiée dans son mémoire de 1820 :

"on pourrait, au moyen d'autant de fils conducteurs et d'aiguilles aimantées qu'il y a de lettres, et en plaçant chaque lettre sur une aiguille différente, établir, à l'aide d'une pile placée loin de ces aiguilles, et qu'on ferait communiquer alternativement par ses deux extrémités à celles de chaque conducteur, former une sorte de télégraphe propre à écrire tous les détails qu'on voudrait transmettre à travers quelque obstacle que ce fût. En établissant sur la pile un clavier dont les touches porteraient les mêmes lettres et établiraient la communication par leur abaissement, ce moyen de correspondance pourrait avoir lieu avec assez de facilité et n'exigerait que le temps nécessaire pour toucher d'un côté et lire de l'autre chaque lettre."

Le mot télégraphe était alors bien connu. La première ligne opérationnelle du télégraphe optique des frères Chappe fut ouverte entre Paris et Lille en 1794. Ce moyen de communication, plus rapide que le courrier à cheval, permit de transmettre des dépêches de guerre en quelques heures, et par la suite en quelques minutes. Un système de sémaphores, portés par des tours espacées d'une quinzaine de kilomètres, fut installé à travers la France. De proche en proche, des employés entrainés, munis de longues-vues, réémettaient les signaux reçus (sans les comprendre), ceci du moins les jours de beau temps.

Fig. 1. Au Louvre, le cŒur du réseau du télégraphe Chappe (dessin d'après nature de Charles Norry, 1799)

Dans son mémoire, Ampère précise avoir appris d'Arago que le principe de son télégraphe "avait déjà été proposé par M. Soemmering, à cela près qu'au lieu d'observer le changement de direction des aiguilles aimantées, qui n'était point connu alors, l'auteur proposait d'observer la décomposition de l'eau dans autant de vases qu'il y a de lettres". Ce télégraphe électrochimique de Soemmering avait été décrit dans le Journal de physique en 1811. Des démonstrations en avaient été faites sur trois kilomètres, mais ce télégraphe, comme celui proposé par Ampère, ne pouvait rivaliser avec le télégraphe Chappe.

Le système télégraphique proposé par Ampère aurait même nécessité des courants encore plus intenses que celui de Soemmering. La proposition d'Ampère vient en fait dans le prolongement de son expérience montrant que la déviation d'une aiguille est la même en tout point d'un circuit, même à grande distance de la pile [Voir la vidéo L'expérience d'Oersted ] . Il s'intéresse alors à cerner les notions de courant électrique et d'intensité et pas du tout à la transmission d'information à distance, question sur laquelle il ne revient pas dans ses écrits ultérieurs.

La première liaison opérationnelle de télégraphie électrique, réalisée en 1833 par les savants allemands Gauss et Weber, modifie l'idée d'Ampère sur plusieurs points. La pile est remplacée par un générateur utilisant le phénomène d'induction découvert en 1831 par Faraday. Un enroulement de fil autour de l'aiguille augmente la force qu'elle subit [Voir plus loin : le "multiplicateur"], ce qui permet d'utiliser des courants plus faibles. En outre, un codage de chaque caractère par une succession de 5 signaux permet de n'utiliser qu'une seule ligne. Mais ce télégraphe de Gauss et Weber est resté au stade expérimental sur une courte distance.

En Angleterre, c'est le besoin de communiquer entre gares, lié au développement des chemins de fer, qui est à l'origine des premières lignes commerciales de télégraphie électrique à la fin des années 1830. Le système en a été breveté en 1837 par William Cooke et le physicien Charles Wheatstone. Leur système de codage — représenté ci-contre - nécessite cinq fils.



Fig. 2. Le télégraphe de Cooke et Wheatstone
Pour chaque lettre, des impulsions sont envoyées sur deux des cinq fils. Les deux aiguilles déviées convergent vers la lettre transmise.



Les innovations majeures sont dues ensuite à un peintre américain, intéressé par les sciences, Samuel Morse, qui s'associe avec un inventeur et mécanicien, Alfred Vail, pour mettre au point, en 1837, le "système Morse".

Une première innovation réside dans la séparation entre un circuit émetteur et un circuit récepteur, chacun alimenté par un générateur. Dans le circuit émetteur, un courant de faible intensité suffit à véhiculer l'information à très grande distance. Ce courant parcourt les enroulements d'un électroaimant, qui commande la fermeture ou l'ouverture du circuit récepteur. Ce système — un interrupteur dans un circuit commandé par un courant dans un premier circuit - constitue ce qu'on appelle aujourd'hui un relais. Le circuit récepteur est alors un circuit très court, dans lequel peuvent circuler sans inconvénient des courants plus intenses. La transmission de l'information se trouve ainsi indépendante de l'apport d'énergie nécessaire au fonctionnement du système récepteur.

Une autre innovation essentielle concerne le codage des caractères. Ce codage se fait par une combinaison d'impulsions de courant brèves (points) et longues (traits), c'est le fameux alphabet Morse. L'opérateur utilise un levier à ressort, le "manipulateur Morse", qui permet d'établir ou rompre rapidement le contact avec le générateur.


© Francis Gires ASEISTE


Fig. 3. Récepteur Morse : à droite l'électroaimant et son armature mobile (Lycée Guez de Balzac, Angoulême)


Enfin, à la réception, un second électroaimant est substitué aux aiguilles aimantées. Il permet de graver sur un ruban enregistreur les traits et points correspondant aux caractères transmis.

Il fallut convaincre les investisseurs et en 1844 la première ligne interurbaine est mise en service entre Washington et Baltimore. C'est bien la conjugaison par Morse d'un code simple et de procédés techniques ingénieux, séparant la transmission de l'information de celle de l'énergie, qui est à la base de l'essor du télégraphe électrique dans le monde entier à partir de 1845, soit 25 ans après le mémoire d'Ampère. En 1850, des dizaines de milliers de kilomètres de lignes sont en service. D'abord technique d'accompagnement des premières voies de chemin de fer, le télégraphe ne tarde pas à transformer le commerce, la bourse, la météorologie, les communications militaires, la presse. Dans les années 1850 débute l'épopée des câbles télégraphiques sous-marins...

Le galvanomètre

Nous allons voir dans le cas de l'invention du galvanomètre, appareil de mesure de l'intensité du courant, intervenir à la fois des physiciens et des constructeurs. [Voir la vidéo A la recherche de la mesure du courant ]

C'est toujours dans son Mémoire d'octobre 1820 qu'Ampère écrit :

"Il manquait un instrument qui fit connaître la présence du courant dans une pile ou un conducteur, qui en indiquât l'énergie et la direction. Cet instrument existe aujourd'hui ; [...] un appareil semblable à une boussole, et qui n'en diffère que par l'usage qu'on en fait [...]. Je pense [qu'] on doit lui donner le nom de galvanomètre."

Il s'en faut de beaucoup que le dispositif d'Ampère, baptisé galvanomètre, permette une véritable mesure de l'intensité du courant, grandeur qu'à cette date il n'a pas encore définie. Ce dispositif, une simple aiguille aimantée placée sous le fil conducteur, est d'ailleurs plus justement nommé "galvanoscope" dans le manuscrit du mémoire.

Fig. 4. Le principe du "galvanoscope".
Le fil conducteur est orienté dans la direction nord-sud. L'action directrice du magnétisme terrestre sur une aiguille aimantée placée en O est alors représentée par Ot. L'action magnétique du courant est représentée par Oc. Lorsque le courant circule, l'aiguille dévie de sa direction initiale Ot.
La direction de l'aiguille résulte de la composition des deux actions magnétiques et fait avec Ot un angle θ qui augmente avec l'intensité du courant.

Comme le montre la vidéo L'expérience d'Oersted il faut un courant de forte intensité pour faire dévier une aiguille de boussole d'un angle appréciable. Pour détecter de faibles courants électriques, le physicien allemand Schweigger imagine d'abord le multiplicateur. Comme son nom l'indique, l'objectif est de multiplier l'action du courant, en faisant faire au fil conducteur plusieurs tours autour de l'aiguille (fig. 5).





Fig. 5. Le principe du "multiplicateur" de Schweigger.
Le courant circule de A vers B, au-dessus de l'aiguille, et en en sens inverse, de C vers D, sous l'aiguille. Depuis l'expérience d'Œrsted on sait que ces deux portions de courant ajoutent leurs actions sur l'aiguille. Il en est de même pour les portions BC et DF. L'aiguille est ainsi sollicitée par quatre actions concordantes. En enroulant autour d'un cadre rectangulaire plusieurs spires convenablement isolées, Schweigger obtient un effet multiplicateur important.


Puis en 1825 le physicien italien Leopoldo Nobili fait agir le multiplicateur de Schweigger sur le système "astatique" d'Ampère — en fait quasi-astatique — formé de deux aiguilles parallèles, suspendues au même fil et orientées en sens inverse. Le magnétisme terrestre agit très faiblement sur l'ensemble car il agit seulement sur la faible différence de magnétisme entre les deux aiguilles(fig. 6).

Fig. 6. Le principe du galvanomètre de Nobili.
Les deux aiguilles, l'une intérieure au cadre, l'autre extérieure, sont fixées à une tige verticale, de façon à rester rigoureusement parallèles entre elles. L'ensemble est suspendu à un fil sans torsion. Les pôles des deux aiguilles étant opposés, l'action du circuit sur l'aiguille supérieure, due principalement au côté AB, est de même sens que sur l'aiguille inférieure. Si les aiguilles avaient exactement la même aimantation, l'équipage serait complètement soustrait à l'action terrestre et se placerait perpendiculairement au courant. En pratique l'aimantation des aiguilles diffère toujours très légèrement. L'action directrice de la terre n'est donc pas supprimée mais notablement diminuée.



Ainsi le multiplicateur augmente l'influence d'un faible courant (Oc sur la fig. 1) tandis que l'équipage quasi-astatique diminue très fortement celle de la terre (Ot sur la fig. 4), ce qui rend l'instrument très sensible.

C'est grâce à l'extrême sensibilité du galvanomètre de Nobili que Carlo Matteucci peut déceler, au début des années 1840, le courant électrique engendré par les muscles. C'est la revanche de "l'électricité animale", chère à Galvani mais temporairement éliminée du champ de la science par le triomphe de "l'électricité métallique" de Volta [Voir la page La controverse Galvani-Volta et l'invention de la pile]

Dans le galvanomètre de Nobili la déviation de l'aiguille augmente avec l'intensité du courant mais il n'y a pas de relation mathématique simple entre l'intensité et l'angle de déviation θ. Aussi, en dépit de son nom, l'instrument ne mesure pas l'intensité du courant.

En 1836, le physicien français Pouillet invente le premier galvanomètre "absolu", c'est-à-dire permettant la mesure de l'intensité d'un courant. L'aiguille aimantée est disposée au centre d'un cadre circulaire autour duquel est entouré le fil. Si le rayon du cercle est assez grand devant la dimension de l'aiguille, alors la tangente de l'angle θ (fig. 4) est proportionnelle à l'intensité du courant.



Fig. 7. Galvanomètre Nobili (Constructeur : Breton Frères, Paris, mi XIXe).
On distingue le cadre multiplicateur et les deux aiguilles de l'équipage astatique. (Musée Bernard d'Agesci, Niort)


© Francis Gires ASEISTE


Arago, Ampère et l'aimantation du fer et de l'acier par le courant

Toujours à l'automne 1820, peu de temps après avoir assisté à l'expérience d'Œrsted, Arago publie ses Expériences relatives à l'aimantation du fer et de l'acier par l'action du courant voltaïque [Lire le texte].

"La brillante découverte que M. Œrsted vient de faire consiste, comme on a vu, dans l'action que le courant voltaïque exerce sur une aiguille d'acier préalablement aimantée. En répétant les expériences du physicien danois, j'ai reconnu que ce même courant développe fortement la vertu magnétique dans des lames de fer ou d'acier qui, d'abord, en étaient totalement privées. [...] Le fil conjonctif ne communique au fer doux qu'une aimantation momentanée ; si l'on se sert de petites parcelles d'acier, on leur donne, parfois, une aimantation permanente. Je suis même parvenu à aimanter ainsi complètement une aiguille à coudre."

Arago ayant montré à Ampère cette expérience de l'aimantation d'une aiguille d'acier par un courant rectiligne, ce dernier suggère que l'aimantation sera plus intense si l'aiguille est placée à l'intérieur d'une hélice parcourue par le courant. Et en effet, poursuit Arago,

"après quelques minutes de séjour dans l'hélice, l'aiguille d'acier avait reçu une assez forte dose de magnétisme ; la position des pôles nord et sud se trouva d'ailleurs parfaitement conforme au résultat que M. Ampère avait déduit, à l'avance, de la direction des éléments de l'hélice"

L'intérêt de l'expérience, pour Ampère, est en effet de soutenir son explication de l'aimantation, en accord avec son hypothèse des courants dans les aimants [Voir la page Ampère jette les bases de l'électrodynamique] : "le courant dans chaque spire en entraîne un semblable et dirigé dans le même sens sur la surface de l'acier, et par suite dans son intérieur."

L'aimantation temporaire du fer doux, sous l'action d'un courant électrique, est la propriété physique à la base du fonctionnement de l'électroaimant. Mais elle ne présente pas d'intérêt pour Ampère et Arago. Dans leurs expériences, outre les enjeux théoriques sur la théorie de l'aimantation, c'est l'aimantation permanente de l'acier, fondamentale pour la fabrication des boussoles marines, qui importe. Au début de son mémoire, reproduit plus haut, Arago fait mention de "lames de fer". Mais les expériences qu'il décrit ne font intervenir que des lames ou aiguilles d'acier. Pour le fer il s'est contenté de constater l'aimantation temporaire de la limaille.

C'est le démonstrateur public William Sturgeon qui, en 1824, réalise le premier électroaimant. Celui-ci, en forme de fer à cheval (fig. 8), permettait de soulever une masse de 4 kg, soit 20 fois son propre poids. Mais c'est encore un objet de curiosité.

<- Fig. 8. Electroaimant en fer à cheval de Sturgeon
A gauche la tige mobile Zd permet d'interrompre à volonté le courant en sortant de la cuve à mercure.

(Transactions of the Society for the Encouragement of the Arts, 43, 1824)


Fig. 9. Electroaimant de démonstration en fer à cheval : une plaque d'acier à laquelle est suspendue une lourde galette de plomb reste attirée par les deux branches du noyau de fer doux tant que le courant circule dans les enroulements. Lorsque le courant est interrompu, la plaque et la galette tombent. (Lycée Emile-Zola, Rennes).                               ->

[Voir la vidéo L'électroaimant : un aimant à volonté ]

Davy, Faraday, Ampère, Barlow ont-ils inventé le moteur électrique ?

Si l'on pouvait réduire une invention à la découverte de son principe physique, les prétendants à l'invention du moteur électrique seraient nombreux. Mais le moteur électrique, au sens d'un dispositif produisant une énergie mécanique utilisable, à partir de l'électricité, a été mis au point dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Aucun de ceux que nous allons évoquer n'a donc pu émettre une telle revendication.

[Voir la vidéo Produire du mouvement avec un courant électrique ? ]

En novembre 1820, le physicien et chimiste anglais Humphry Davy commente la toute récente découverte d'Œrsted : 

"Un corps rendu magnétique par l'électricité [le fil parcouru par le courant] agissant sur l'aiguille, il était naturel d'en conclure qu'un aimant agirait sur un corps rendu magnétique par l'électricité." Pour Davy, comme pour Biot, si un courant agit sur une aiguille aimantée, c'est que le fil conducteur subit, lors du passage du courant, une magnétisation temporaire. "C'est ce qui a lieu. J'ai placé successivement des fils [de divers conducteurs] sur les tranchants de deux couteaux de platine, placés parallèlement et reliés aux pôles d'une forte pile, et leur ai présenté un aimant : ces fils roulaient sur les deux lames."

C'est, à très peu de choses près, l'expérience dite des "rails de Laplace", devenue au XXe siècle un grand classique dans l'enseignement. Pourquoi rails "de Laplace" ? Parce que la force agissant sur la tige qui roule sur les rails est dite, en France du moins, "force de Laplace". Cette expérience montre qu'avec un courant électrique on peut créer du mouvement ou, en termes modernes, qu'on peut convertir de l'énergie électrique en énergie mécanique. N'est-ce pas la définition du moteur électrique ? Mais Davy n'envisage aucune application pratique à son dispositif de laboratoire, dans lequel certains voient le prototype du moteur électrique linéaire utilisé sur certaines lignes ferroviaires ou du canon électromagnétique.

Fig. 10. Lorsque le courant est établi dans le circuit formé par les rails et la tige, celle-ci se met en mouvement, vers la gauche ou vers la droite, suivant le sens du courant.

En septembre 1821, Faraday annonce avoir obtenu la rotation d'un conducteur parcouru par un courant sous l'action d'un aimant, et réciproquement. Peu après, Ampère ajoute la rotation d'un circuit mobile sous l'action d'un autre circuit. [Voir la page Faraday, Ampère, et le mystère des rotations continues]. Des circuits en rotation continue sous l'action d'un champ magnétique, n'est-ce pas le principe des moteurs électriques d'aujourd'hui ? Mais lorsque la correspondance entre Ampère et Faraday bat son plein, le débat est loin de porter sur l'utilisation des force électromagnétiques pour produire du travail mécanique ! Leurs expériences de laboratoire, dont le fonctionnement était compromis par de faibles frottements et qui nécessitaient des courants intenses, étaient loin de pouvoir fournir le moindre travail utile. Et pour leurs auteurs, l'intérêt de ces expériences réside dans leurs implications théoriques.

Fig. 11. Dans cette table d'Ampère modifiée par Pierre-Augustin Bertin, une bobine conductrice entoure une cuve de cuivre. On remplit la cuve d'eau acidulée et le courant circule dans le circuit mobile en forme de portique. Lorsque la bobine est parcourue par un courant, elle crée un champ magnétique qui agit sur le circuit mobile et celui-ci se met à tourner autour de la colonne centrale. (Lycée Bertran-de-Born, Périgueux).


© Francis Gires ASEISTE

Tout au long du XIXe siècle, et au-delà, les catalogues des constructeurs d'instruments de lycées proposent de très nombreuses variantes de ces "rotations continues". Lorsqu'une nouvelle rubrique "Moteur électrique" apparaît dans ces catalogues, au début du XXe siècle, aucun lien n'est fait avec ces rotations continues, ce qui montre qu'on les considère encore comme des expériences liées à la théorie de l'électromagnétisme.

En mars 1822, Peter Barlow réalise une "expérience électromagnétique curieuse". Il situe cette expérience dans le prolongement des interrogations suscitées par la découverte des rotations continues par Faraday : "Je ne sais si [cette expérience] pourra ajouter quelques lumières aux résultats si intéressants obtenus par M. Faraday". Cette fois-ci, c'est une roue dentée métallique qui "se met immédiatement à tourner avec une vitesse telle qu'on peut à peine la suivre à l'Œil". Depuis, l'expérience de la "roue de Barlow" est devenue, elle aussi, un grand classique.

Fig. 12. La roue de Barlow, d'après le schéma original de l'auteur.
Les dents inférieures de la roue plongent dans un bain de mercure, donc conducteur. On place un fort aimant en fer à cheval de part et d'autre de la roue. Lorsque le mercure et la potence sont reliés aux bornes d'une forte pile, le courant passe entre le centre de la roue et les dents qui touchent le mercure. La roue se met à tourner sous l'effet de la force électromagnétique exercée par l'aimant sur ces courants.
(L'usage du mercure étant désormais proscrit, les constructeurs proposent aujourd'hui des modèles où il est remplacé par des tresses métalliques frottant légèrement le long de la base de la roue).

Plus que les dispositifs d'Ampère ou Faraday, la roue de Barlow est souvent présentée dans les manuels ou les sites pédagogiques comme "le premier moteur électrique", parfois même désignée sous le nom de "moteur de Barlow". Mais comme Faraday ou Ampère, Barlow avait pour objectif d'illustrer les propriétés de la force électromagnétique et non de proposer une application technique. Les premiers moteurs électriques, alimentés par des piles, utilisaient d'ailleurs l'attraction entre un aimant (ou un électroaimant) et une bobine, et non les rotations continues d'Ampère et Faraday ou la force électromagnétique exhibée dans la roue de Barlow. En outre ces premiers moteurs, construits pendant la période 1840-1870, n'ont pas eu d'avenir. Alimentés par des piles, leur coût de fonctionnement restait beaucoup trop élevé par rapport au coût d'une machine à vapeur ou d'un moteur à gaz [Voir la page Des usages variés mais limités de l'électricité, avant la dynamo et les usines électriques].

Il est cependant intéressant de constater que, dans les années 1960, a été mis au point un moteur destiné à quelques usages particuliers  —  le moteur à courant continu à "rotor disque"  —  qui reprend le principe de la roue de Barlow. Une roue, plongée dans un champ magnétique créé par des aimants permanents, est en contact sur toute sa périphérie avec des balais qui lui transmettent le courant. La totalité de la roue subit donc l'action motrice alors que, dans la roue de Barlow, la force électromagnétique s'applique seulement à une zone très limitée.

De l'expérience de physique à l'objet technique

Les exemples sommairement évoqués ici de l'électroaimant, du galvanomètre ou du moteur électrique suggèrent, comme le cas du télégraphe, que les objets techniques sont le plus souvent le fruit d'une constellation d'idées, d'expériences et d'essais variés mis en Œuvre par des personnes de profils différents. De plus le processus s'étend sur une période plus ou moins longue. Il est impossible d'attribuer à ces inventions un seul nom, une seule date et un seul lieu !


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité.



Mise en ligne : septembre 2009 (dernière révision : février 2011)

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