@. Ampère et l'histoire de l'électricité |
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Parcours historique > Des lois pour le courant : Ampère, Ohm et quelques autres... | ||||||||||||||||||||||||||||||
A la recherche d'une loi newtonienne pour l'électrodynamique (1820-1826)Par Christine Blondel et Bertrand Wolff L'expérience d'Œrsted, un "révélateur" des différences de méthodesLa découverte par Œrsted des effets magnétiques du courant électrique [Voir la page L'expérience de H.-C. Oersted] suscite dans toute l'Europe un foisonnement de recherches expérimentales et de nouvelles découvertes. Face à la complexité des nouveaux phénomènes, la plupart des physiciens et des chimistes multiplient les observations purement qualitatives. Seuls Ampère et Biot s'attachent d'emblée, et en concurrence, à la recherche d'une loi mathématique exprimant l'action magnétique du courant et susceptible de prévoir de nouveaux résultats expérimentaux. Jean-Baptiste Biot, auteur d'un Traité de physique expérimentale et mathématique reconnu et ayant personnellement expérimenté avec Coulomb, est un ardent newtonien. Renonçant à la richesse du contenu expérimental, Biot s'attache à la recherche d'une seule loi, celle donnant la force magnétique exercée par un fil infini sur un pôle magnétique en fonction de sa distance au fil. Pour le mathématicien Ampère, la recherche de la "formule électrodynamique", dans laquelle il se lance moins d'un mois après la communication de la découverte d'Œrsted, rentre dans le cadre plus vaste de sa "grande théorie". Aussi ses premières lectures à l'Académie des Sciences font-elles une large place aux hypothèses et aux vérifications expérimentales de cette théorie selon laquelle tous les phénomènes magnétiques se réduisent à des interactions entre courants [Voir la page Ampère jette les bases de l'électrodynamique...] La loi de Biot et Savart
Pour étudier expérimentalement l'action d'un très long fil conducteur vertical sur un pôle d'aimant, Biot place une aiguille aimantée horizontale à diverses distances du fil. L'influence du magnétisme terrestre sur l'aiguille est neutralisée par un aimant auxiliaire. Reprenant la méthode de Coulomb, il mesure la période des petites oscillations de l'aiguille autour de sa position d'équilibre : la force subie par chacun de ses pôles est proportionnelle au carré de cette période. Cette technique expérimentale était familière à Biot [Sur l'utilisation par Coulomb de cette méthode des oscillations, voir la page Les lois fondamentales de l'électricité et du magnétisme]. L' expérience posait cependant de nouveaux problèmes. En particulier le courant électrique, du fait de la rapide polarisation des piles de l'époque, décroissait rapidement. Le 30 octobre, Biot annonce son résultat expérimental : la force exercée par un fil conducteur infini sur un pôle magnétique est inversement proportionnelle à la distance MH du pôle au fil. Comme Laplace le fait remarquer peu après à Biot, on peut en déduire que la force élémentaire, exercée par une tranche infinitésimale de fil située à la distance r du pôle, est proportionnelle à 1/r2.
La force élémentaire est en 1/r2, elle suit donc bien la tradition newtonienne et coulombienne. Cependant elle ne satisfait pas au principe newtonien de l'action et de la réaction puisqu'elle n'est pas dirigée selon la droite MN (fig.2). C'est, comme on disait alors, une force "transversale", perpendiculaire au plan déterminé par MN et le fil. En outre, pour Biot, l'action de la tranche est une action composée. Il s'en faut donc de beaucoup que le problème de l'action d'un fil conducteur sur un aimant soit considéré par lui comme résolu :
L'action d'un courant sur un aimant serait ainsi réduite à de pures interactions magnétiques. Biot affirme qu'il est possible de concevoir un assemblage de minuscules aiguilles aimantées sur le pourtour du fil dont on puisse déduire sa loi expérimentale. Mais il en reconnaît "la difficulté très grande ".
La portion de courant qu'il considère n'est pas la tranche infiniment mince imaginée par Biot, mais un élément de longueur infinitésimale ds. La force entre deux courants finis peut, du moins théoriquement, se déduire par deux intégrations successives à partir de la force élémentaire entre deux éléments de courant ds et ds'. Pour l'action entre un aimant et un courant une triple intégration sera nécessaire, chaque tranche d'aimant contenant en effet, selon Ampère, une infinité de courants circulaires coaxiaux. Mais si l'on peut passer par intégration de la force élémentaire à la force totale, l'inverse n'est pas possible. Biot s'est heurté au même problème et a déterminé son facteur angulaire par l'intuition et non par l'expérience. Comment alors déterminer la force élémentaire entre deux éléments de courant ? Ampère adopte une stratégie très originale. Il propose de partir de la force d'interaction la plus générale possible et de préciser son expression par des expériences qualitatives sur des circuits finis. En bon newtonien, Ampère pose que cette force élémentaire devra respecter le principe de l'action et de la réaction, et donc être dirigée suivant la droite qui joint les deux éléments de courant.
Les allers-retours entre expériences, calculs, argumentations théoriques sont trop complexes pour être présentés ici dans leur détail. Nous nous en tiendrons donc aux grandes lignes, au risque de donner une vision très incomplète de l'ampleur d'un travail plusieurs fois interrompu et repris sur plusieurs années. Pour prendre la pleine mesure de l'audace intellectuelle d'Ampère, de son inventivité expérimentale et de la sophistication de ses longs raisonnements mathématiques, on consultera les Publications d'Ampère.
L'expérience lui ayant montré que deux fils parallèles s'attirent s'ils sont parcourus par des courants de même sens et se repoussent si les courants sont de sens contraires, Ampère admet qu'il en est de même pour deux éléments de courants infiniment petits et parallèles. Par ailleurs il est amené à supposer que la force entre deux éléments est nulle si l'un d'eux est situé dans le plan perpendiculaire au second en son milieu. Il aboutit alors à une expression de la force élémentaire proportionnelle à : Le premier terme correspond à la force entre les composantes parallèles et le deuxième à la force entre les composantes colinéaires. A l'automne 1820, Ampère suppose, avec quelque hésitation, que la force entre deux éléments colinéaires est nulle, c'est-à-dire que k = 0.
Le 4 décembre, premier succès notable : Ampère annonce qu'il a retrouvé à l'aide de cette première formule le résultat expérimental de Biot donnant une force en 1/r pour un fil infini agissant sur un pôle magnétique (fig. 2). Pour cela il assimile un barreau aimanté à un ensemble de courants dans des plans perpendiculaires à l'axe de l'aimant. L'hypothèse d'Ampère mène donc à des résultats conformes à l'expérience et en outre elle a le mérite d'éviter la "supposition gratuite" de la magnétisation du fil. Aux yeux de Biot et de ses partisans, ce sont au contraire les courants à l'intérieur des aimants qui sont une supposition gratuite ! [Voir la page Des théories mathématiquement équivalentes, physiquement différentes]. Cette phase de recherche, interrompue par la maladie, s'achève en janvier 1821. Un accueil réservé et des prolongements étonnantsLa théorie d'Ampère est loin de faire l'unanimité. La relative confusion de mémoires écrits à la hâte, la difficulté pour les autres physiciens de répéter ses expériences, radicalement nouvelles, la réticence envers ce qui semble à certains un abus de la considération d'infiniment petits, tout cela contribue à l'incompréhension, voire à la méfiance. Plus fondamentalement, l'hypothèse de l'existence de courants électriques à l'intérieur des aimants suscite le scepticisme. En Angleterre, Faraday loue les expériences d'Ampère et l'ingéniosité de sa théorie mais il n'en doute pas moins de la réalité de courants dont l'expérience ne peut donner de preuve directe. C'est une découverte de Faraday qui relance à l'automne 1821 les recherches d'Ampère. Faraday annonce avoir obtenu la rotation continue d'un aimant sous l'action d'un conducteur et réciproquement. Ces rotations continues étonnent beaucoup Ampère [Voir la page Faraday, Ampère et les rotations continues]. Remplaçant l'aimant par un solénoïde, il obtient des rotations continues uniquement avec des circuits, ce qui soutient encore sa théorie. En revanche il lui est impossible d'obtenir ces rotations avec seulement des aimants. Pour Ampère, cela porte un coup fatal à la théorie de Biot : on ne peut réduire l'électromagnétisme à des interactions entre aimants.
Une action mutuelle non nulle entre deux éléments colinéaires ?
Une formulation "définitive"Ampère annonce alors sa formule définitive. Il précise les facteurs g et h de la formule (1), en définissant l'intensité i d'un courant à partir de la force que ce courant exerce sur un élément de courant parallèle pris comme référence. En remplaçant k par la valeur - 1/2, l'action mutuelle entre deux éléments de courants infiniment petits de longueurs ds et ds' devient : Les conséquences mathématiques de la loi élémentaireAmpère ne considère pas pour autant sa tâche comme terminée. Il souhaite montrer que sa formule permet de prévoir tous les cas possibles d'interactions entre courants et aimants. Dans ces travaux Ampère va bénéficier de la collaboration précieuse de deux jeunes gens, Félix Savary et Jean-Firmin Demonferrand. Le Manuel d'électricité dynamique de ce dernier, paru en 1823, connaît une diffusion plus importante que son propre Recueil d'observations électro-dynamiques publié peu auparavant. Savary déduit la loi de Biot et Savart de la formule élémentaire d'Ampère et au passage, relève l'incohérence de Biot dans sa détermination de cette loi. La loi de Coulomb pour les pôles magnétiques apparaît également comme une conséquence mathématique de la formule d'Ampère. En février 1823, Ampère affirme que, grâce à Savary et Demonferrand, "tous les faits non encore expliqués complètement [...] sont des conséquences nécessaires de sa formule".
A partir de l'hiver 1823-1824, Ampère est accablé de soucis personnels et de travail pour son enseignement. C'est seulement en août 1825 qu'il revient à l'électrodynamique.
Un quatrième et dernier cas d'équilibre consiste à faire agir simultanément sur un circuit circulaire mobile, deux circuits circulaires fixes, l'un p fois plus petit, l'autre p fois plus grand (fig. 13). Les deux cercles fixes sont placés de part et d'autre du cercle mobile, les distances entre les centres des cercles étant dans le même rapport p que leurs rayons.
La Théorie mathématique des phénomènes électrodynamiques..."La théorie d'Ampère est fondée sur quatre faits d'expérience et sur une hypothèse", écrit Maxwell dans le chapitre qu'il consacre, dans son Traité d'électricité et de magnétisme (1873), à la présentation finale d'Ampère. Les quatre faits d'expérience sont les quatre cas d'équilibre et l'hypothèse est celle de l'action instantanée à distance entre éléments de courants, obéissant au principe de l'action et de la réaction et donc dirigée selon la ligne qui joint ces deux éléments. Les deux premiers cas d'équilibre — inversion du sens de la force avec l'inversion du sens du courant et expérience des courants sinueux — légitiment, comme on l'a vu, la décomposition d'un élément de courant suivant trois axes, d'où l'on peut déduire que l'action mutuelle a nécessairement l'expression : Les deux derniers cas d'équilibre déterminent n = 2 et k = -1/2.
La formule d'Ampère, une formule au statut ambigu...Le titre du traité d'Ampère affirme que sa théorie est "uniquement déduite de l'expérience". La première page de son traité présente un vibrant hommage à Newton :
Comme on l'a vu, ce n'est pas si simple.
Cet aveu peut surprendre. Il éclaire le statut de l'expérience dans cet ultime ouvrage où Ampère vise à présenter la déduction idéale de sa formule telle qu'elle pourrait être tirée d'un nombre minimal d'expériences. Leurs conséquences mathématiques ont pour Ampère le même statut que les lois empiriques de Kepler pour la détermination de la loi de la gravitation universelle par Newton. La confiance absolue qu'il exprime quant au résultat de la quatrième expérience, jamais réalisée semble-t-il, repose sur "des résultats obtenus autrement", c'est-à-dire par un jeu subtil d'allers-retours entre des expériences plus simples, des intuitions physiques et des calculs sophistiqués. D'autre part, comme le signale Maxwell un demi-siècle plus tard, une infinité de formules différentielles peuvent donner, par intégration, la même expression pour la force entre deux circuits finis. Mais si l'on accepte le principe de l'action et de la réaction de Newton pour les éléments de courants infiniment petits, une seule formule élémentaire est possible, celle d'Ampère, et pour Maxwell c'est donc la meilleure. On comprend que Maxwell ait qualifié Ampère de "Newton de l'électricité". Compliment ambigu de sa part, puisque sa propre théorie rompt radicalement avec la philosophie newtonienne. Par ailleurs si Ampère introduit la Théorie mathématique des phénomènes électrodynamiques par sa profession de foi newtonienne et combat vivement les conceptions de Biot comme anti-newtoniennes, il montre dans d'autres textes sa répugnance envers l'idée d'actions instantanées à distance, et sa conviction intime d'une propagation de proche en proche dans l'éther, le milieu hypothétique supposé remplir l'espace... [Voir la page Des théories mathématiquement équivalentes, physiquement différentes] Dernière question : si la formule d'Ampère est indubitablement efficace, pourquoi, après avoir donné lieu à tant de débats, a-t-elle disparu de la science actuelle ? [Voir la page La force d'Ampère, une formule obsolète ?]. En 1888 le physicien anglais Oliver Heaviside, disciple de Maxwell, reconnaissait que cette formule avait été considérée par Maxwell lui-même comme la formule cardinale de l'électrodynamique. Mais il ajoutait : "si cela est vrai, ne devrions-nous pas toujours l'utiliser ? Ne l'utilisons-nous jamais ? Maxwell l'utilisa-t-il dans son Traité ? Il y a certainement une erreur." Et il suggérait de transférer le nom de formule cardinale d'Ampère à celle qui exprime la force subie par un élément de conducteur placé dans un champ magnétique, "formule d'usage permanent aussi bien pour les physiciens que pour les ingénieurs". Mais l'attribution d'un nom de savant à une formule physique reste tributaire des aléas de l'histoire et cette force porte paradoxalement, du moins en France, le nom de "force de Laplace" ! Pour en savoir plusAMPERE, André-Marie. Mémoire [...] sur les effets des courants électriques, Annales de chimie et de physique, 1820, vol. 15, p. 59-75, p. 170-218. AMPERE, André-Marie. Recueil d'observations électrodynamiques, Paris, 1822. AMPERE, André-Marie. Théorie des phénomènes électrodynamiques uniquement déduite de l'expérience, Paris, 1826. [Recherches de Jean-Baptiste BIOT in] Société française de physique (Ed.). Collection de mémoires relatifs à la physique. t. 2, Mémoires sur l'électrodynamique [publiés par les soins de J. Joubert] 1ère Partie. Paris : Gauthier-Villars, 1885, p. 80-127. BLONDEL, Christine. Avec Ampère le courant passe, Les mathématiques expliquent les lois de la nature. Le cas du champ électromagnétique. Les Cahiers de Science & Vie, 67, 2002, 20-27. LOCQUENEUX, Robert. Ampère, encyclopédiste et métaphysicien. Les Ulis : EDP sciences, 2008. HOFMANN, James R. André-Marie Ampère. Cambridge : Cambridge University Press, 1996. BLONDEL, Christine. Ampère et la création de l'électrodynamique, 1820-1827. Paris : Bibliothèque nationale, 1982. Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité. Mise en ligne : mars 2009 (dernière révision : septembre 2012)
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