L'électricité reste à la surface des conducteurs : Coulomb, Cavendish, Faraday...
Par Christine Blondel et Bertrand Wolff
Pour montrer que l'électricité reste à la surface des corps conducteurs et ne les pénètre
pas, Coulomb, Cavendish et Faraday ont réalisé des expériences à caractère spectaculaire qui
ont longtemps fait partie du répertoire classique de l'électrostatique.
L'expérience "décisive" de Coulomb
Après avoir exploré, à l'aide de son plan d'épreuve, de petites cavités creusées à la
surface d'un conducteur plein, Coulomb avait conclu que le fluide électrique se répartit sur
la surface externe des conducteurs et ne pénètre pas dans l'intérieur de ces corps (
4ème Mémoire sur l'électricité). Dans son 6ème Mémoire (1788), il revient
sur cette proposition qui lui semblait sans doute insuffisamment prouvée
puisqu'il précise : "On peut la confirmer par une nouvelle expérience qui
paraît décisive".
"On isole un corps conducteur que l'on électrise; on lui forme ensuite
une enveloppe coupée en deux parties, qui laisse, en se réunissant, un peu de jeu entre elle
et le corps. Que cette enveloppe ait ou non la même figure que le corps, peu importe au succès
de l'expérience."
Si l'on renferme alors le corps électrisé dans son enveloppe également isolée - Coulomb la
suppose implicitement conductrice -, "en retirant les deux enveloppes on trouvera, au moyen
de nos petits électromètres à suspension de soie que toute l'électricité du corps a passé
aux enveloppes et que le corps, ou n'en conserve point, ou n'en conserve qu'une partie insensible."
L'interprétation semble suffisamment évidente à Coulomb pour qu'il la laisse
au soin du lecteur. Lorsque le corps se trouve enfermé dans l'enveloppe
conductrice et momentanément mis en contact avec elle, l'ensemble constitue
un conducteur unique dont la surface externe est celle de l'enveloppe. S'il
n'y a pas de charge électrique intérieure à un conducteur, la charge
initialement portée par le corps passe donc à l'enveloppe lors du contact.
Il suffit pour cela d'un contact local, et Coulomb précise que l'enveloppe
n'a pas besoin d'épouser exactement la forme du corps.
Les "hémisphères de Cavendish"
Une expérience similaire à celle proposée par Coulomb est encore présentée
dans les traités d'électrostatique comme "l'expérience des hémisphères
de Cavendish" [Voir la vidéo
Des hémisphères de Cavendish à la cage de Faraday
]. Cavendish a en effet décrit cette expérience avant Coulomb, dans un
manuscrit de 1771, mais les manuscrits de Cavendish sont restés inédits jusqu'à
ce que Maxwell les étudie et les publie en 1879.
Le corps conducteur est une sphère de laiton et l'enveloppe est formée de
deux hémisphères fixés à des poignées isolantes.
Les hémisphères de Cavendish, dans une version destinée
à l'enseignement
(Collections du Lycée Emile-Zola, Rennes).
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Adolphe Ganot, Traité élémentaire de physique
, 1857, p. 539
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L'expérience scolaire.
On peut se demander si le matériel destiné aux collections des lycées donnait lieu
à des démonstrations expérimentales ou s'il était là simplement "pour la
montre". Le diamètre intérieur des deux calottes y est égal au diamètre de
la sphère, de façon à s'y appliquer étroitement. Or le "jeu entre l'enveloppe
et le corps" préconisé par Coulomb est indispensable. En effet, après avoir
établi un contact - il suffit d'un point - entre la sphère et l'enveloppe
constituée par les hémisphères, il faudrait pouvoir d'abord rompre ce contact
et seulement ensuite séparer les hémisphères. Comme il est impossible de les
retirer de façon rigoureusement simultanée, aussitôt que le contact est rompu
pour l'un d'eux, une partie de la charge que portait l'autre se redistribue sur la moitié découverte de la sphère.
C'est une des raisons pour laquelle dans l'expérience filmée pour la vidéo,
la sphère intérieure n'est pas totalement déchargée. L'autre raison, évidente
sur la photo comme sur la gravure, est que le pied en verre est muni à sa
partie supérieure d'une garniture de laiton, que ne viennent pas recouvrir
les calottes et qui conserve donc une certaine quantité d'électricité.
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Une autre vérification
Une autre expérience est souvent proposée dans les cours du XIXe
siècle. Une sphère métallique creuse S montée sur un support isolant
comporte une ouverture circulaire à sa partie supérieure. Cette ouverture peut
être exactement couverte par un couvercle métallique, que l'on peut tenir par
la tige isolante T. Une petite boule conductrice C est suspendue par un fil
isolant à ce couvercle.
S étant initialement neutre, on électrise C, on l'introduit dans la cavité de
S et l'on ajuste le couvercle. En inclinant le dispositif on amène C au contact
de S. Si l'on retire alors la boule C, on peut constater qu'elle n'agit plus sur
un électroscope même très sensible. Lors du contact, C a fait partie de la
surface interne de la cavité. On a ainsi réalisé un conducteur unique dont la
charge est passée sur la surface externe. On vérifie à l'aide de
l'électroscope qu'en revanche la sphère S s'est chargée.
La sphère destinée à l'expérience des hémisphères de Cavendish
est en général une sphère creuse conforme à ce schéma, et sert également à
cette deuxième expérience. C'est le cas de la sphère photographiée plus haut.
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Une justification a posteriori de la loi de Coulomb
Telle qu'on peut la réaliser avec le matériel des collections de lycées, la vérification de
la nullité de la charge de C est grossière [Voir la vidéo
Des hémisphères de Cavendish à la cage de Faraday
].
Mais Maxwell avait vérifié, à partir de cette expérience, que s'il existait une charge
résiduelle, elle était sûrement inférieure à 1/2000 de la charge primitive.
Ces mesures de précision avaient une justification théorique. On peut en effet démontrer
que l'absence de charge à l'intérieur d'une sphère conductrice creuse implique une loi de
force électrique en 1/r2 [Voir la page De l'électricité « en + ou en − » de Franklin aux lois de l'électricité]. Cette loi se voit donc confirmée par ses conséquences, avec
une précision très supérieure à la détermination expérimentale directe menée par Coulomb avec
la balance de torsion.
En physique moderne, un nouvel enjeu de ce type
d'expériences apparaît. Si la loi de Coulomb est vérifiée avec un exposant rigoureusement égal
à 2, alors la masse du photon est rigoureusement nulle. Aussi une version très modernisée
de l'expérience de Cavendish a-t-elle été réalisée en 1971, dont la conclusion est que
l'exposant est 2 à un cent millionième de milliardième près !
Le treuil de Coulomb
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Les manuels du XIXe siècle présentent encore d'autres
expériences destinées à illustrer de façon frappante la distribution des charges
sur la surface externe des conducteurs. Cette gravure représente ce qu'on
appelle parfois le treuil de Coulomb (alors que Coulomb n'a pas publié
cette expérience).
Autour d'un cylindre de métal on peut, en agissant sur la manivelle
isolante, enrouler ou dérouler une longue feuille conductrice. Lorsqu'on
électrise le cylindre, la feuille étant complètement enroulée, l'aiguille
de l'électroscope fixé sur la boule métallique en contact avec le cylindre
diverge fortement. Lorsqu'on déroule la feuille, la déviation de l'aiguille
diminue peu à peu : au fur et à mesure que la surface externe
sur laquelle peut se distribuer l'électricité augmente, la densité de charge
sur le cylindre diminue. Lorsqu'on enroule à nouveau la feuille sur le cylindre,
la déviation de l'aiguille de l'électroscope augmente à nouveau.
Le "treuil de Coulomb" (A. Ganot, Traité élémentaire
de physique, 1857, p. 540).
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Le sac de mousseline et la cage de Faraday
La sphère creuse considérée plus haut était fermée par son couvercle. En
pratique on constate que les parois intérieures d'une cavité présentant
une ouverture limitée sont également dépourvues de charges. Cette condition
est même si peu sévère qu'un grillage conducteur se comporte comme un
corps conducteur continu.
Deux expériences de Faraday illustrent bien ce fait étonnant
découvert expérimentalement. L'expérience du sac de mousseline appartient encore
au domaine des démonstrations amusantes. Au fond d'une poche conique de
mousseline, relativement conductrice, sont attachés de part et d'autre du
tissu, deux fils isolants permettant de retourner la poche à volonté. On
électrise la poche. On peut alors constater, par exemple en prélevant la charge
d'un élément de surface à l'aide d'un plan d'épreuve pour la transporter vers
un électromètre, que seule la surface externe du tissu est chargée. Si on
retourne la poche, sa face interne devient face externe, et l'on constate que
c'est alors cette dernière qui est chargée.
Le sac de mousseline de Faraday (A. Ganot, Traité
élémentaire de physique, 1857, p. 541).
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N'importe quelle enceinte de grillage métallique constitue une "cage
de Faraday". Si de petits pendules électrostatiques sont fixés à l'extérieur
et à l'intérieur de la cage, lorsqu'on électrise la cage, seuls les pendules
fixés à l'extérieur de la cage s'écartent. Leur boule conductrice, initialement
en contact avec la surface externe, se charge et se trouve alors
violemment repoussée, tandis que les boules en contact avec la surface interne
ne se chargent pas [Voir la vidéo].
Les variantes spectaculaires de cette expérience, sont bien connues. Une
personne enfermée dans une grande cage de Faraday, main plaquée au grillage,
ne ressent aucun effet quand des étincelles claquent entre le pôle d'une
machine électrostatique, porté à un potentiel de quelques centaines de milliers
de volts, et le grillage. L'effet est particulièrement impressionnant
quand l'étincelle est dirigée vers la main et semble l'atteindre. Ce
type d'expérience, dû à Faraday lui-même, est reproduit par exemple au Palais
de la découverte.
Cette expérience illustre l'utilité des cages de Faraday comme protection
contre la foudre.
La cage de Faraday possède une autre propriété : si des
charges électriques, sans contact avec les parois, y sont introduites, elles
ne subissent aucune action électrique de la part de charges situées à l'extérieur
de la cage. Cet effet d'écran est très utile pour protéger divers types de
circuits électriques.
La cage de Faraday du musée scientifique du Lycée Louis-Le-
Grand
(photo H. CHAMOUX, INRP)
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Pour en savoir plus
CAVENDISH, Henry. The Electrical Researches of the Honourable Henry Cavendish... , edited by James Clerk Maxwell, Cambridge: Cambridge University Press, 1879. [Lire sur Internet Archive]
Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité.
Mise en ligne : juin 2008 (dernière révision : juillet 2009)
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