@. Ampère et l'histoire de l'électricité |
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Parcours historique > Des lois pour l'électricité : Coulomb et quelques autres... > Les Mémoires de Coulomb sur l'électricité et le magnétisme | |||||||||||
Les conséquences de la loi de l'électricité pour les conducteurs en équilibre électriquePar Christine Blondel et Bertrand Wolff En 1786, Coulomb maîtrise à la fois une ressource théorique, la loi de force électrique et quelques unes de ses conséquences mathématiques, et un instrument extrêmement sensible permettant de mesurer les très faibles quantités d'électricité [Voir "Une balance pour l'électricité" sur la page Charles-Augustin Coulomb, des fortifications de la Martinique à la mesure de la force électrique]. Pendant quelques années, il va utiliser conjointement l'outil mathématique et l'instrument de précision pour étudier la répartition de l'électricité dans les conducteurs en équilibre électrique. Dans ce travail, où il met en œuvre le "mélange du calcul et de la physique" dont il prône l'usage dès son mémoire sur le calcul des voûtes de 1773, il fait preuve d'une virtuosité à la fois expérimentale et mathématique. L'accumulation des cas étudiés peut rendre fastidieuse la lecture des derniers Mémoires de Coulomb sur l'électricité. Mais il cherche à construire pour l'électricité et le magnétisme un corpus équivalent à celui qui a été établi pour la mécanique au cours du XVIIIe siècle. Il vise également à expliquer des propriétés spécifiques à l'électricité comme l'effet des pointes. Il applique ses calculs au cerf-volant électrique et au paratonnerre dont le fonctionnement intéressait particulièrement l'Académie. Enfin, il semble y avoir une vraie jubilation de leur auteur devant l'accord qui revient comme un leitmotiv entre résultats du calcul et mesures expérimentales, accord qui conforte toujours davantage la loi fondamentale en 1/d2. C'est principalement sur ces données expérimentales que Poisson appuie, deux décennies plus tard, sa théorie analytique de l'électrostatique [Voir la page De l'électricité « en + ou en − » de Franklin aux lois de l'électricité]. Pour l'électricité de frottement tous les conducteurs, même imparfaits, sont équivalents (4ème Mémoire)La première question posée par Coulomb concerne l'influence de la nature des corps conducteurs sur le partage de l'électricité entre ces corps. En mettant en contact deux boules ou deux disques de diverses matières, cuivre, fer, bois ou papier, puis en mesurant leurs charges avec sa balance, Coulomb montre que l'électricité se répartit également entre deux corps conducteurs à la seule condition qu'ils soient identiques géométriquement. [Voir la technique expérimentale dans La proportionnalité de la force électrique aux charges : définition ou loi expérimentale ?] La répartition de l'électricité entre deux conducteurs ne dépend donc pas de leur composition chimique. Avec les conducteurs imparfaits, tels que le bois ou le papier (conducteurs en électrostatique), la communication de l'électricité n'est pas instantanée comme avec les métaux, mais la charge finale est identique. Cela n'était pas évident pour de nombreux savants de l'époque qui considéraient l'électricité comme un fluide susceptible de pénétrer différemment les corps selon leur "affinité chimique" pour l'électricité. L'électricité reste à la surface des conducteursMais comment se répartit l'électricité dans un conducteur chargé ? S'appuyant à la fois sur une étude expérimentale et sur une démonstration mathématique, Coulomb apporte la réponse suivante : "Dans un corps conducteur chargé d'électricité, le fluide électrique se répand sur la surface des corps, mais ne pénètre pas dans l'intérieur des corps." Il s'agit d'une propriété fondamentale des conducteurs en équilibre électrique. Pour voir si l'électricité pénètre à l'intérieur d'un conducteur chargé, il prend un cylindre de bois dans lequel il creuse un certain nombre de cavités dont la profondeur et le diamètre sont de l'ordre du centimètre.
"il est donc clair que dans cette expérience, il n'y a point de fluide électrique dans l'intérieur du corps, même très près de sa surface." En fait cette expérience du cylindre à cavités n'explore pas vraiment l'intérieur du
conducteur et montre seulement que le fond d'une cavité n'est pas chargé. Plus tard, dans
son 6ème Mémoire, Coulomb reprend cette question de l'absence de charge à
l'intérieur d'un conducteur avec une autre expérience qu'il considère alors comme
"décisive", connue aujourd'hui sous le nom des hémisphères de Cavendish. [Voir la page
L'électricité reste à la surface des conducteurs...
et la vidéo
Des hémisphères de Cavendish à la cage de Faraday
En utilisant un petit disque fait d'une fine feuille métallique pour explorer point par point la surface du cylindre et ses cavités, Coulomb a inauguré dans son 4ème Mémoire ce qu'on appellera plus tard la méthode du plan d'épreuve. Cette méthode permet d'étudier la densité électrique sur une petite portion de surface d'un conducteur, c'est-à-dire le rapport entre la charge portée par cette surface et sa superficie. Cette méthode du plan d'épreuve prend pour Coulomb, dans les 5ème et 6ème Mémoires, le statut de méthode standard pour l'étude de la distribution de l'électricité à la surface des conducteurs.
"Plus les deux globes sont inégaux, plus la densité varie sur le petit globe, depuis le point de contact jusqu'à 180° de ce point, et plus elle s'approche de l'uniformité sur le gros globe, croissant rapidement depuis le point de contact, où elle est nulle, jusqu'à 7 à 8° de ce point, et étant uniforme sur le reste du globe." Autrement dit, le petit globe ne perturbe que faiblement la distribution de charges sur le plus gros, tandis que ce dernier influence fortement la distribution sur le plus petit. Dans un deuxième temps, il s'agit pour Coulomb de montrer "que ces résultats sont indiqués par la théorie, en calculant l'action [électrique] d'après la loi de la raison inverse du carré des distances". Et il insiste sur le fait que ses expériences ont précédé le calcul. Dans sa démarche, Coulomb ne part pas de la loi en 1/d2 mais utilise certaines de ses conséquences mathématiques, connues comme conséquences de la loi identique de la gravitation universelle. Il laisse par ailleurs implicites certains calculs d'intégration qu'il a dû effectuer à partir de cette loi pour calculer les interactions entre diverses surfaces électrisées, sphères ou disques. En outre il effectue des approximations étonnantes. Ainsi, pour calculer l'action d'une sphère électrisée sur un point pris à la surface d'une deuxième sphère en contact avec la première, il considère la surface de chaque sphère comme uniformément électrisée alors qu'il a constaté expérimentalement qu'il n'en était pas du tout ainsi ! Le public auquel s'adresse Coulomb - ses pairs de l'Académie des sciences, en particulier Laplace, Biot et Poisson - était familiarisé avec les formules de la mécanique newtonienne et avec la façon dont elles dérivent de la loi en 1/d2. Mais le caractère elliptique des démonstrations de Coulomb rend la lecture de ces pages difficiles pour le lecteur non averti. [Pour en savoir plus, voir la page Les calculs de Coulomb sur la distribution de l'électricité à la surface des conducteurs] L'écart entre les résultats de ces calculs d'approximation et les données expérimentales est souvent inférieur à 10%. Quelques écarts supérieurs correspondent, semble-t-il, à des situations où l'expérience est particulièrement délicate. Dans sa réédition des Mémoires de Coulomb en 1884, le physicien Alfred Potier confronte les résultats expérimentaux de Coulomb aux calculs rigoureux menés par Poisson à partir de sa théorie mathématique de l'électrostatique. Cette théorie permet d'éviter les approximations de Coulomb. Les résultats expérimentaux de Coulomb se trouvent parfois plus proches des résultats des calculs de Poisson que de ceux de ses propres approximations. Ceci souligne la qualité des expériences menées avec le plan d'épreuve et la balance électrique. Le sixième MémoireDans ce dernier mémoire sur l'électricité, Coulomb étend l'étude de la distribution de l'électricité à des groupes de sphères conductrices, cylindres, disque plan, associés de diverses manières : d'abord mis en contact, puis séparés. Il étudie également le cas d'un conducteur électrisé influençant à distance un ensemble globalement neutre. Les techniques expérimentales sont toujours les mêmes et chaque série d'expériences est confrontée au calcul, par les mêmes procédés que dans le 5ème Mémoire. Globes et cylindres en contact
Dans une première étude, il met en contact un grand nombre de globes identiques dont les centres sont alignés. Quel que soit le nombre de globes - 6, 12 ou 24 - la conclusion est que l'électrisation est maximale sur les globes extrêmes et prend sur les globes immédiatement voisins une valeur proche de la valeur centrale. Par exemple, pour 24 globes, la charge des globes extrêmes est 1,56 fois celle des globes immédiatement voisins et 1,75 fois celle des globes situés au milieu de la file. Coulomb étudie ensuite la façon dont l'électricité se distribue à la surface d'un long cylindre terminé par deux hémisphères. Lorsque sa longueur vaut 15 fois son diamètre, la densité de l'électricité est 2,3 fois plus élevée aux extrémités qu'au milieu. Dans ce cas encore, la variation est rapide au voisinage de l'extrémité. Dans une troisième série d'expérience, il met en contact une grosse sphère avec une file de 4, puis de 24 petits globes, puis de nouveau avec un cylindre, dont il varie tantôt la longueur, tantôt le diamètre. Le pouvoir des pointesLorsque le cylindre devient suffisamment fin, la densité moyenne de l'électricité sur le
cylindre devient considérablement supérieure à celle de la sphère. Cela permet à
Coulomb d'interpréter le pouvoir des pointes en électricité [Voir la vidéo
Le pouvoir des pointes
Coulomb établit, en faisant certaines approximations, une formule empirique pour le rapport d/D des densités électriques d'un cylindre et d'une sphère en contact. Dans cette formule, d/D est inversement proportionnel au rapport r/R des rayons respectifs. Application au cerf-volant électrique"Lorsque par un temps orageux on élève un cerf-volant, dont la corde est conductrice [...] on sait qu'au moment de passage d'un nuage chargé de fluide électrique [...], si l'extrémité inférieure de la corde est isolée, ou attachée à un corps idio-électrique [isolant], la corde du cerf-volant lance des étincelles électriques de tout côté [...]. Ce phénomène résulte nécessairement des expériences qui précèdent et de la formule que l'on en a tirée" En appliquant sa formule empirique au cas d'un cerf-volant dont la corde est assimilée à un cylindre de rayon r = 2 mm, plongé dans un nuage d'orage, assimilé à une sphère de rayon R = 300 m, la formule donne une densité moyenne d le long de la corde 27000 fois supérieure à la densité D du nuage. La densité à l'extrémité de la corde est encore 2,3 fois supérieure, soit "62000 fois plus grande que la densité électrique du fluide qui est censé envelopper le nuage". On comprend qu'alors "le fluide électrique [...] étincelle de tout côté [...] et se porte avec violence à des distances souvent de plusieurs pieds sur tous les corps conducteurs qui avoisinent." La précision mathématique du résultat contraste avec le caractère très hypothétique du modèle proposé par Coulomb. Il assimile en particulier le nuage d'orage à une distribution uniforme de charges à la surface d'un globe conducteur. Par ailleurs il effectue diverses approximations qui peuvent se discuter.
Application au paratonnerreC'est au paratonnerre que Coulomb veut appliquer cette formule. En effet le paratonnerre est relié à la terre et, contrairement au cerf-volant à l'intérieur du nuage, il ne touche pas le nuage et subit son influence à distance. Si le nuage est assimilé à une sphère dont le rayon R est 300 m, si la distance d de sa base à la pointe du paratonnerre est 150 m, et le rayon r de la tige métallique 1,3 cm, alors la densité électrique à la pointe du paratonnerre est au moins 278 fois supérieure à celle du nuage, calcule Coulomb, et peut-être même très supérieure, du fait de l'incertitude sur un exposant dans sa formule obtenue par approximation. Cette forte densité électrique amène les "parties mobiles" de l'air proches de la pointe à s'y précipiter et "se charger d'une forte électricité d'une nature contraire à celle du nuage, s'élancer ensuite vers le nuage [...] en détruisant l'électricité des parties du nuage qu'elles rencontrent." Le nuage se décharge ainsi, pense Coulomb "sans explosion électrique".
Le paratonnerre, planté dans le sol conducteur, est symbolisé dans la fig. 12 par un cylindre enfoncé dans une surface plane conductrice, sous l'influence d'une sphère représentant le nuage électrisé. Coulomb cherche à calculer la distribution électrique sur ce cylindre, mais se trouve arrêté dans ce calcul, compliqué par la présence de la surface plane. C'est ce qui l'amène à une dernière série d'expériences, où il étudie l'influence d'un globe électrisé sur un disque plan relié à la terre (fig. 13). Il fait à cette occasion une "observation curieuse" : seule la face du disque tournée vers le globe acquiert une charge électrique, l'autre face restant neutre. Il annonce pour un prochain Mémoire une étude plus approfondie de la manière dont l'électricité se distribue à la surface des conducteurs et des isolants et pénètre éventuellement la surface de ces derniers. Mais, sans doute rebuté par les difficultés de la question, Coulomb ne publiera pas ce Mémoire annoncé et se consacre ensuite au magnétisme. Pour en savoir plusCOULOMB, Charles-Augustin. Mémoires publiés dans les ouvrages de l'Académie des sciences Mémoires de Coulomb, dans Collection de Mémoires relatifs à la physique, publiés par la Société Française de Physique, t. 1, Paris : Gauthier-Villars. 1884. [Lire sur le CNUM ou Voir le PDF] COULOMB, Charles-Augustin. Mémoires sur l'électricité et le magnétisme, Paris, s.d. [après 1793]. [Lire sur Internet Archive] GILLMOR, Stewart. Coulomb and the Evolution of Physics and Engineering in Eighteenth-Century France, Princeton: Princeton University Press, 1971. Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité. Mise en ligne : février 2008 (dernière révision : septembre 2011)
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