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Parcours historique > Des lois pour l'électricité : Coulomb et quelques autres...

Charles-Augustin Coulomb, des fortifications de la Martinique à la mesure de la force électrique

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

Un ingénieur militaire ...

Charles-Augustin Coulomb (1736 - 1806), sort en 1761 avec le grade de "lieutenant en premier" de l'Ecole du Génie de Mézières, l'une des meilleures écoles militaires d'Europe où est donné un enseignement scientifique et technique de haut niveau. Pendant huit ans il dirige ensuite dans des conditions extrêmement dures le grand chantier du Fort Bourbon à la Martinique. A son retour, il trouve que le corps du Génie, auquel il appartient, ne mène guère que des travaux de routine, et ses propositions pour améliorer ces travaux ont peu d'effets. Aussi, écrit-il, "pour supporter l'ennui et la monotonie de ses occupations", rien de tel "que de se livrer à quelque branche de science".

... à l'Académie Royale des Sciences

Il semble qu'il ait laissé bien peu de place à l'ennui et à la monotonie dans sa vie, si l'on en juge par la diversité de ses travaux théoriques et expérimentaux. Ingénieur-savant, il travaille aussi bien à la conception d'une double cloche à plongeurs qu'à l'étude du magnétisme. Ses travaux sur l'électricité et le magnétisme ne l'occupent qu'environ sept ans dans plus de trente années de recherche : résistance des matériaux, lois des machines simples, lois du frottement appliquées au lancement des navires et aux cordes marines, aérostatique, moulins à vent, machines à vapeur, etc.

[Voir la page Coulomb et les lois du frottement]

Avec quelques autres ingénieurs militaires, comme Jean-Charles de Borda, Coulomb cherche systématiquement à appliquer les mathématiques à l'art de l'ingénieur, qu'il s'agisse des machines simples, du calcul des voûtes en architecture, ou de l'évaluation du rendement des ouvriers.

Ses diverses recherches lui valent d'être élu à 45 ans, en 1781, membre de l'Académie des sciences. Au cours de sa vie d'académicien il va participer à plus de trois cents commissions qui examinent mémoires scientifiques et travaux d'inventeurs



Les machines de Coulomb pour l'étude des lois du frottement (Théorie des machines simples..., Recueil des savants étr. de l'Ac. roy. des sc. (1781), 1785).

"La meilleure manière de fabriquer les aiguilles aimantées"

Ce sont des questions de navigation qui l'ont orienté vers le magnétisme puis vers l'électricité. A l'instigation du ministère de la Marine l'Académie met au concours, pour le prix de 1777, la question de l'amélioration des boussoles et de l'étude des variations du magnétisme terrestre au cours de la journée. La boussole représente en effet un enjeu majeur pour la navigation. Les problèmes à résoudre sont nombreux : augmenter le magnétisme de l'aiguille, faire en sorte que ce magnétisme se maintienne durablement et assurer une précision suffisante pour étudier les faibles variations diurnes du magnétisme terrestre. On est loin des sujets qui ont occupé Coulomb jusque là, construction de forts ou calculs de voûtes. Mais il aimerait devenir savant à temps plein, donc à l'Académie, et il y a là une bonne occasion de montrer ses talents.

Que trouve-t-on dans son Mémoire Recherches sur la meilleure manière de fabriquer les aiguilles aimantées ?

Avant d'entrer dans le vif du sujet, Coulomb étudie les forces magnétiques qui orientent une aiguille aimantée dans la direction du magnétisme terrestre. Elles sont équivalentes à deux forces égales et opposées agissant sur les pôles de l'aiguille. En termes modernes, elles constituent donc un "couple". De là découle selon Coulomb un "corollaire général" : 

"Il semble donc que ce ne sont point des tourbillons qui produisent les différents phénomènes aimantaires, et que, pour les expliquer, il faut nécessairement recourir à des forces attractives et répulsives de la nature de celles dont on est obligé de se servir pour expliquer la pesanteur des corps et la physique céleste."

C'est un rejet explicite des théories de Descartes, qui interprétaient aussi bien le mouvement des astres que les actions magnétiques par diverses sortes de "tourbillons" de matière impalpable. La physique céleste à laquelle Coulomb fait allusion est celle de Newton que les membres de l'Académie des sciences, notamment Laplace et Lavoisier, auxquels Coulomb s'adresse, espèrent pouvoir étendre à d'autres domaines de la physique et de la chimie. Par cette profession de foi, placée au début de son Mémoire, Coulomb manifeste ses convictions newtoniennes.

Ces convictions ne se limitent pas à l'adhésion aux forces instantanées à distance. La mécanique newtonienne est aussi une science mathématique. Comment appliquer ce modèle de mathématisation au magnétisme resté jusque là, pour les physiciens, purement expérimental et qualitatif ? La mesure de la période des oscillations de l'aiguille aimantée sur son pivot lui permet d'étudier l'influence des caractéristiques géométriques de l'aiguille : longueur, largeur et épaisseur. Le type de calcul mathématique que Coulomb met en oeuvre, très proche de celui utilisé pour l'étude du pendule, excluait les lecteurs ne maîtrisant pas le langage des intégrales.

Des boussoles suspendues à un fil ?

Mais avec les boussoles sur pivot il est impossible, du fait des inévitables frottements, d'effectuer les mesures très précises nécessaires à l'étude des variations diurnes. Aussi Coulomb reprend-il une idée déjà mise en oeuvre avant lui : suspendre l'aiguille aimantée à un fil très fin. Il choisit un fil de soie naturelle, "tirée du cocon". Toutefois lorsque l'aiguille dévie légèrement, au cours de la journée, de sa position moyenne, le fil de soie se tord sur lui-même. Cette torsion, si faible soit-elle, n'oppose-t-elle pas une résistance à la déviation, faussant ainsi légèrement la mesure de la direction du magnétisme terrestre ?

Cette question conduit Coulomb à se lancer dans une minutieuse étude expérimentale de "la force de torsion des cheveux et des soies". Il suspend par son centre un disque à un fil ou à un cheveu et le fait tourner d'un certain angle autour de son axe, ce qui provoque une torsion du fil. Là encore, la mesure de la période des oscillations qui s'ensuivent lui permet de calculer la "force de torsion" et de la comparer à la force magnétique. Cette force de torsion du fil de soie, conclut-il, "n'influe que d'une manière insensible" sur l'orientation de la boussole.

La boussole suspendue de Coulomb (1777)

"J'ai fait exécuter une boussole sans presque le concours d'aucun artiste, avec laquelle j'observe, depuis cinq mois, la variation diurne avec une précision que l'on ne pourra jamais espérer avec des aiguilles à chape suspendues sur des pivots."
Sur cette figure extraite du mémoire de Coulomb, une boîte en bois abrite le fil de soie CG auquel est suspendue la lame aimantée abcd. A cette lame est soudée une aiguille de cuivre très légère, bdef qui se déplace au-dessus de la graduation K. A la verticale de l'aiguille une petite lunette de visée permet à l'observateur d'apprécier de très faibles déviations, de l'ordre de quatre minutes d'angle.

C'est le malheureux astronome Jean-Dominique Cassini qui va devoir, quelques années plus tard, descendre (et remonter !) régulièrement les 171 marches qui mènent aux caves de l'Observatoire Royal où ont été placées les nouvelles boussoles suspendues de Coulomb. Dans ces caves de pierre, les aiguilles aimantées sont en effet éloignées de tout élément métallique susceptible de fausser les mesures. De plus ces boussoles si sensibles y sont protégées des vibrations, des courants d'air, des variations de température ou influences électriques qui, au sol, pourraient perturber les mesures. Mais il faut y introduire un observateur, et Cassini va devoir utiliser des ruses infinies pour éviter les perturbations dues à l'approche de son propre corps !

Ce type de boussole, admet Coulomb, "ne peut convenir aux opérations des navigateurs" ! En revanche Cassini peut mener à bien ses délicates observations sur les variations diurnes du magnétisme terrestre.

Le Mémoire de Coulomb lui vaut de partager en 1777 le prix de l'Académie avec le physicien hollandais Van Swinden. Ce dernier a soumis au concours un mémoire très volumineux, fondé sur plus de 40 000 observations des variations du magnétisme terrestre, et dans lequel il propose d'utiles améliorations des boussoles sur pivot.

Mais l'étude de la torsion des fils par Coulomb ouvrait un champ d'investigation totalement nouveau. En effet dans son étude sur la torsion des cheveux et des fils de soie, il a affirmé sans s'y attarder que "les forces de torsion qui ramènent un corps à sa situation naturelle sont nécessairement proportionnelles à l'angle de torsion". Coulomb y revient quelques années plus tard et va trouver aux propriétés de la torsion de nouvelles applications.

La "balance de torsion"

Les lois qu'il a élaborées sur des cheveux et des fils de soie sont-elles encore valables pour des fils métalliques ?

Comme avec les fils de soie, Coulomb commence par constater que "lorsque l'angle de torsion n'est pas considérable", la période des oscillations est quasiment indépendante de leur amplitude. Cela implique, d'après la théorie des oscillations, la proportionnalité entre la "force de torsion" et l'angle de torsion. C'est cette loi, considérée comme une loi générale de la torsion, qui va se révéler riche d'applications nouvelles.

De quoi dépend encore cette force de torsion ? Coulomb mène une longue série d'expériences dont il déduit que cette force de torsion est indépendante de la tension du fil, c'est-à-dire du poids du cylindre, qu'elle est inversement proportionnelle à la longueur L du fil et proportionnelle à la quatrième puissance de son diamètre D. Le moment de la force de torsion, écrit-il, a pour expression générale : 

µ (D4/l) θ

où θ est l'angle de torsion et µ un coefficient caractéristique du matériau dont est constitué le fil.

La torsion du fil de suspension, d'abord perçue comme un inconvénient dans la conception d'une boussole suspendue, va offrir un nouveau principe de mesure : "on pourra mesurer des forces très petites, qui exigent une précision que les moyens ordinaires ne peuvent pas fournir". Pour cela il suffit d'opposer ces forces inconnues à la force de torsion d'un fil qu'on sait désormais mesurer. Coulomb invente ainsi la balance de torsion. Il en fait une première application à la mesure du frottement exercé par un liquide sur un solide en mouvement. L'intérêt d'une telle étude est loin d'être purement théorique : comment la résistance opposée par l'eau à la marche des navires dépend-elle de la vitesse ?

Il annonce aussi avoir construit, d'après la théorie de la torsion

"une balance électrique et une balance magnétique... ces deux instruments, ainsi que les résultats relatifs aux lois électriques et magnétiques qu'ils ont donnés, seront décrits dans les volumes suivants de nos Mémoires..."

L'appareil pour l'étude de la torsion des fils métalliques (Recherches théoriques et expérimentales sur la force de torsion et l'élasticité des fils de métal, 1784).
Un cylindre est suspendu à un fil métallique. On fait tourner le cylindre autour de son axe, tordant ainsi le fil. Puis après l'avoir lâché, on mesure la période des oscillations du cylindre. La valeur de cette période permet de déduire, grâce à la théorie du mouvement, la "force de torsion" exercée par le fil.

Une balance pour l'électricité

"Je mets aujourd'hui sous les yeux de l'Académie une balance électrique [...]. Elle mesure avec la plus grande exactitude l'état et la force électrique d'un corps, quelque faible que soit le degré d'électricité"

"La plus grande exactitude", telle est la prétention de Coulomb dès le début du premier d'une série de sept mémoires "sur l'électricité et le magnétisme" qu'il lit à l'Académie entre 1785 et 1791. [Voir le 1er Mémoire]

Les électromètres des électriciens du XVIIIe siècle permettaient d'évaluer l'électrisation d'un corps par l'écartement de deux pailles, ou la tension produite par une machine par la longueur d'une étincelle. Mais même si ces électromètres fournissaient des valeurs numériques, ces dernières ne pouvaient être comparées d'un appareil à l'autre, d'un expérimentateur à l'autre.

L'exactitude de la balance de Coulomb n'est pas seulement une question de sensibilité. De fait, cette balance, affirme Coulomb, est sensible à des forces infimes, "comme, par exemple, un dix millième de grain" (environ un millionième de gramme !). Mais surtout, elle permet des mesures absolues, indépendantes de l'instrument.

Entre deux corps électrisés existent des forces répulsives ou attractives, selon la nature de leur électrisation respective. Ces forces diminuent lorsque la distance entre ces corps augmente. Mais la loi mathématique à laquelle obéit cette décroissance n'a pas été, jusque là, déterminée par l'expérience. C'est que la mesure des forces électriques est délicate : elles sont faibles par rapport au poids des corps, et de plus les objets électrisés perdent en général rapidement leur électricité...

Comment est constituée la balance qui doit permettre de réaliser enfin ces mesures ?

[Voir la vidéo Coulomb invente une balance pour l'électricité ]

L'ensemble, représenté figure 1, est haut d'environ un mètre. Un fil d'argent très fin est au cœur de l'instrument. Son extrémité supérieure est pincée dans un micromètre comprenant un index et un disque gradué qui permet de tordre ce fil sur lui-même de façon contrôlée (fig.2). Dans sa partie inférieure (détail : fig.3), un poids assure sa tension verticale et une légère aiguille isolante horizontale (ag) y est accrochée. Elle porte d'un côté la balle de sureau (a) destinée à être électrisée, de l'autre (g) est une mince feuille plane. Cette dernière a deux fonctions : équilibrer le poids de la balle, et freiner, grâce à la résistance de l'air, les oscillations de ce délicat assemblage. Il faut abriter le fil et l'aiguille des courants d'air. Cette fonction est assurée par deux cylindres de verre. Sur le premier, ABCD, de grand diamètre, est posé le second, long et étroit, qui porte le micromètre. Par le trou percé (en m) dans le couvercle, Coulomb peut introduire une deuxième balle de sureau (t) fixée au bout d'une tige isolante. Une bande de papier graduée de 0 à 360° est collée autour du cylindre inférieur.

Initialement les deux balles ne sont pas électrisées. Coulomb dispose le couvercle de telle sorte que la balle (t) soit juste en face du zéro de la graduation de la bande de papier, puis il retire la tige portant cette balle, et règle alors le micromètre de façon que la balle (a) soit située à son tour face à cette graduation, la torsion du fil étant nulle. Il replace alors (t) au contact de (a).

"La balance est alors en état de se prêter à toutes les opérations ; nous allons en donner pour exemple le moyen dont nous nous sommes servi pour déterminer la loi fondamentale suivant laquelle les corps électrisés se repoussent."

La balance électrique de Coulomb (1785)

La "loi fondamentale de l'électricité" et sa "détermination expérimentale"

Coulomb annonce d'emblée, avant toute relation de l'expérience, cette loi fondamentale : 

"la force répulsive de deux petits globes électrisés de la même nature d'électricité est en raison inverse du carré de la distance du centre des deux globes".

Autrement dit, si d est cette distance, la force électrique est proportionnelle à 1/d2.

La relation de l'expérience tient ensuite en à peine une page. Coulomb électrise une épingle à grosse tête, fichée dans un manche isolant (fig. 4). Il l'introduit jusqu'à toucher la balle (t), elle-même en contact avec (a). L'épingle retirée, les deux balles "se trouvent électrisées de la même nature d'électricité et elles se chassent mutuellement à une distance que l'on mesure". En fait, c'est un angle que mesure Coulomb, en regardant face à quelle division s'arrête, après une série d'oscillations, la balle (a).

Puis il réduit la distance entre les deux balles. Il faut pour cela tourner en sens inverse l'extrémité supérieure du fil, d'un angle que mesure le micromètre.

"Je présenterai seulement ici quelques essais qui sont faciles à répéter, et qui mettront tout de suite sous les yeux la loi de la répulsion"

Il s'agit en fait des résultats d'une unique expérience : après avoir électrisé les balles, Coulomb mesure une "distance" de 36°, puis il tord le fil de façon à les rapprocher à 18°, puis à 8,5°.

Coulomb déduit des mesures faites à l'aide du micromètre la torsion totale du fil dans chaque essai. Pour diviser une première fois la distance par deux, il a fallu quadrupler l'angle de torsion. La force de répulsion, qui est proportionnelle à cet angle, est donc quadruple. Puis en quadruplant à nouveau la torsion, "il ne s'en fallait que d'un demi degré que la distance... ne fut réduite [à nouveau] à la moitié". Distance moitié, force quadruple, la loi en 1/d2 est bien sous les yeux des lecteurs, et tout nous semble d'une lumineuse simplicité !

Quelques essais faciles à répéter ?

Balance de Coulomb
(collections du Lycée Emile-Zola, Rennes)

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la "balance de Coulomb" figure dans les manuels de cours et dans l'équipement des lycées français. Mais son maniement est délicat et le professeur se contente de la montrer respectueusement, et se garde de l'utiliser pour effectuer des mesures. Sa description minutieuse et l'énoncé des valeurs du mémoire de 1785 tiennent lieu de démonstration expérimentale.

Dans les pages suivantes du Mémoire, Coulomb s'autorise quatre remarques, dont les deux premières font allusion aux difficultés de l'expérience. Elle est en fait incroyablement délicate. Les fils très fins cassent. La balance est sensible aux moindres vibrations. Elle est sensible aussi - mais Coulomb n'en parle pas - aux influences électriques de l'environnement, y compris la faible électrisation éventuelle de l'expérimentateur. Malgré le dispositif d'amortissement, le bras horizontal oscille longuement avant d'atteindre ses positions d'équilibre successives. Or si l'expérience dure plusieurs minutes, la déperdition de charge est loin d'être négligeable. Certes, Coulomb affirme n'avoir "employé que deux minutes à faire les trois essais qui précèdent". Cela n'est pas à la portée du premier expérimentateur venu et suppose au minimum un certain entraînement. [Voir la vidéo Coulomb invente une balance pour l'électricité ]

Plus généralement Coulomb est extrêmement discret sur les trésors d'astuce expérimentale et les précautions qu'il a dû déployer. Est-ce seulement faute de ce savoir-faire que des tentatives d'expérimentateurs anciens et modernes ont des difficultés à trouver les "bons" résultats ? [Au sujet de ces tentatives, voir la page Une expérience contestée, un accueil contrasté]. Il est en tous cas peu vraisemblable qu'il soit tombé du premier coup sur les valeurs des seuls trois essais qu'il a retenus.

Par ailleurs il passe sous silence certaines hypothèses. Ainsi il a mesuré les distances entre les centres des balles, comme si l'assimilation de sphères électrisées à leur centre allait de soi.

Tout se passe comme s'il avait en tête le schéma de la gravitation newtonienne et savait d'avance ce qu'il souhaitait confirmer par l'expérience, à savoir qu'électricité (et magnétisme) sont gouvernés, comme la gravitation, par le recours à des actions à distance obéissant à une loi en 1/d2.

L'adhésion à ce système du monde est loin d'être unanime en Europe à cette époque, et les résultats de Coulomb seront contestés de façon particulièrement virulente en Allemagne. [Sur les bases théoriques et expérimentales de cette contestation, voir la page Une expérience contestée...].

Il fallut une vingtaine d'années pour que la loi de Coulomb soit acceptée dans toute l'Europe, plus par la validité de ses conséquences que par des vérifications directes.

La proportionnalité de la force électrique aux charges

"La" loi de Coulomb s'écrit aujourd'hui : 

F = k q.q'/d2

où d est la distance entre les charges électriques (assimilées à des charges ponctuelles),
q et q' sont les valeurs de ces charges (dites également "quantité d'électricité").
Le coefficient k vaut 9.109 lorsque la force est exprimée, conformément au "système international d'unités" actuel, en newtons et les charges en coulombs. Avant l'établissement de ce système international, divers choix ont été faits quant aux unités de force et de quantité d'électricité, auxquels ont correspondu d'autres valeurs numériques de k. C'est en 1881 que le nom de Coulomb est attribué à l'unité de charge électrique. [A ce sujet voir la page Le coulomb, l'ampère, le volt, le watt, l'ohm... Quand sont nées les unités électriques ?].

Selon cette formule, la force électrique est proportionnelle aux quantités d'électricité portées par les deux corps en interaction. Mais cela est-il précisé par Coulomb ? Pas dans le Premier Mémoire, où seule la loi "en 1/d2" est exprimée. En revanche, dans le cinquième, présenté deux ans plus tard, on lit : 

"ainsi que nous l'avons prouvé dans les mémoires qui précèdent, l'action est en raison inverse du carré des distances et directe des densités"

La "densité électrique" dont parle ici Coulomb est proportionnelle à notre "charge" électrique que Coulomb nomme quant à lui "masse" électrique. L'expression "en raison directe des densités" est donc ici synonyme de "proportionnelle aux charges".

Mais Coulomb ne donne, dans ses Mémoires précédents, aucune preuve expérimentale directe de cet énoncé. Il utilise cette loi de proportionnalité comme si elle allait de soi. [Voir la page La proportionnalité de la force électrique aux charges : une définition ou une loi expérimentale ?]

Lois de l'électricité et du magnétisme, suite...

Pour Coulomb, le premier Mémoire n'est qu'un chapitre d'une œuvre plus large. Muni de la balance il peut commencer à bâtir une nouvelle science de l'électricité et du magnétisme. Les Mémoires suivants font une large place aux mathématiques, jusque là outil privilégié de la mécanique.

Les expériences du premier Mémoire portent uniquement sur les forces répulsives entre charges électriques de même nature. Il s'agit, dans le second Mémoire, d'étendre la loi en 1/d2 à la force attractive entre charges de nature contraire, et d'établir une loi analogue pour les interactions entre pôles d'aimants. Puis dans les mémoires suivants, Coulomb s'intéresse à la répartition du "fluide électrique". Il montre ainsi qu'il se répartit uniquement sur la surface (et non à l'intérieur) des conducteurs. Mais comment se partage-t-il entre plusieurs conducteurs mis en contact ? Comment se distribue-t-il sur les différentes parties de la surface de conducteurs de formes diverses ? [Voir la page Les Mémoires de Coulomb sur l'électricité et le magnétisme]

Pour répondre à ces questions, il mène entre 1785 et 1791 une quantité extraordinaire d'expériences extrêmement délicates, inventant de nouvelles techniques qu'il combine à l'usage de la balance. Le récit détaillé qu'il donne de ces expériences permet de se convaincre qu'il disposait effectivement d'un savoir-faire difficile à maîtriser pour les expérimentateurs ultérieurs [Voir la page Une expérience contestée...]. Il confronte une partie de ses résultats, au prix de complexes calculs d'approximation, avec les prédictions d'une loi " en 1/d2 ".

Au-delà de la "loi de Coulomb" les Mémoires sont donc fondateurs d'une science mathématique de l'électrostatique qui trouvera son expression achevée quelques temps plus tard avec Poisson. Ils sont par ailleurs représentatifs de la naissance d'une manière de pratiquer la science spécifique de l'Académie parisienne et d'un changement profond du statut de l'expérience en physique. [Voir la page Quelques réflexions sur un instrument "fondateur"]

Pour en savoir plus

COULOMB, Charles-Augustin. Mémoires publiés dans les ouvrages de l'Académie des sciences

Mémoires de Coulomb, dans Collection de Mémoires relatifs à la physique, publiés par la Société Française de Physique, t. 1, Paris : Gauthier-Villars. 1884. [Lire sur le CNUM ou Voir le PDF]

COULOMB, Charles-Augustin. Mémoires sur l'électricité et le magnétisme, Paris, s.d. [après 1793]. [Lire sur Internet Archive]

COULOMB, Charles-Augustin. First Memoir on Electricity and Magnetism [...] (1785), 1788 [English translation]

COULOMB, Charles-Augustin. Theoretical & experimental research on the force of torsion [...] (1784), 1787. English translation [(1st section) (2d section)]


La mesure de la force électrique. Une énigme au bout d'un fil. Cahiers de Science & Vie, Hors-Série 26, avril 1995.

GILLMOR, Stewart. Coulomb and the Evolution of Physics and Engineering in Eighteenth-Century France, Princeton: Princeton University Press, 1971.


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité.



Mise en ligne : novembre 2007 (dernière révision : septembre 2013)

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