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Parcours historique > Des lois pour l'électricité : Coulomb et quelques autres... | |||||||||||||||
Charles-Augustin Coulomb, des fortifications de la Martinique à la mesure de la force électriquePar Christine Blondel et Bertrand Wolff Un ingénieur militaire ...Charles-Augustin Coulomb (1736 - 1806), sort en 1761 avec le grade de "lieutenant en premier" de l'Ecole du Génie de Mézières, l'une des meilleures écoles militaires d'Europe où est donné un enseignement scientifique et technique de haut niveau. Pendant huit ans il dirige ensuite dans des conditions extrêmement dures le grand chantier du Fort Bourbon à la Martinique. A son retour, il trouve que le corps du Génie, auquel il appartient, ne mène guère que des travaux de routine, et ses propositions pour améliorer ces travaux ont peu d'effets. Aussi, écrit-il, "pour supporter l'ennui et la monotonie de ses occupations", rien de tel "que de se livrer à quelque branche de science". ... à l'Académie Royale des Sciences
"La meilleure manière de fabriquer les aiguilles aimantées"Ce sont des questions de navigation qui l'ont orienté vers le magnétisme puis vers l'électricité. A l'instigation du ministère de la Marine l'Académie met au concours, pour le prix de 1777, la question de l'amélioration des boussoles et de l'étude des variations du magnétisme terrestre au cours de la journée. La boussole représente en effet un enjeu majeur pour la navigation. Les problèmes à résoudre sont nombreux : augmenter le magnétisme de l'aiguille, faire en sorte que ce magnétisme se maintienne durablement et assurer une précision suffisante pour étudier les faibles variations diurnes du magnétisme terrestre. On est loin des sujets qui ont occupé Coulomb jusque là, construction de forts ou calculs de voûtes. Mais il aimerait devenir savant à temps plein, donc à l'Académie, et il y a là une bonne occasion de montrer ses talents. Que trouve-t-on dans son Mémoire Recherches sur la meilleure manière de fabriquer les aiguilles aimantées ? Avant d'entrer dans le vif du sujet, Coulomb étudie les forces magnétiques qui orientent une aiguille aimantée dans la direction du magnétisme terrestre. Elles sont équivalentes à deux forces égales et opposées agissant sur les pôles de l'aiguille. En termes modernes, elles constituent donc un "couple". De là découle selon Coulomb un "corollaire général" : "Il semble donc que ce ne sont point des tourbillons qui produisent les différents phénomènes aimantaires, et que, pour les expliquer, il faut nécessairement recourir à des forces attractives et répulsives de la nature de celles dont on est obligé de se servir pour expliquer la pesanteur des corps et la physique céleste." C'est un rejet explicite des théories de Descartes, qui interprétaient aussi bien le mouvement des astres que les actions magnétiques par diverses sortes de "tourbillons" de matière impalpable. La physique céleste à laquelle Coulomb fait allusion est celle de Newton que les membres de l'Académie des sciences, notamment Laplace et Lavoisier, auxquels Coulomb s'adresse, espèrent pouvoir étendre à d'autres domaines de la physique et de la chimie. Par cette profession de foi, placée au début de son Mémoire, Coulomb manifeste ses convictions newtoniennes. Ces convictions ne se limitent pas à l'adhésion aux forces instantanées à distance. La mécanique newtonienne est aussi une science mathématique. Comment appliquer ce modèle de mathématisation au magnétisme resté jusque là, pour les physiciens, purement expérimental et qualitatif ? La mesure de la période des oscillations de l'aiguille aimantée sur son pivot lui permet d'étudier l'influence des caractéristiques géométriques de l'aiguille : longueur, largeur et épaisseur. Le type de calcul mathématique que Coulomb met en oeuvre, très proche de celui utilisé pour l'étude du pendule, excluait les lecteurs ne maîtrisant pas le langage des intégrales. Des boussoles suspendues à un fil ?Mais avec les boussoles sur pivot il est impossible, du fait des inévitables frottements, d'effectuer les mesures très précises nécessaires à l'étude des variations diurnes. Aussi Coulomb reprend-il une idée déjà mise en oeuvre avant lui : suspendre l'aiguille aimantée à un fil très fin. Il choisit un fil de soie naturelle, "tirée du cocon". Toutefois lorsque l'aiguille dévie légèrement, au cours de la journée, de sa position moyenne, le fil de soie se tord sur lui-même. Cette torsion, si faible soit-elle, n'oppose-t-elle pas une résistance à la déviation, faussant ainsi légèrement la mesure de la direction du magnétisme terrestre ?
C'est le malheureux astronome Jean-Dominique Cassini qui va devoir, quelques années plus tard, descendre (et remonter !) régulièrement les 171 marches qui mènent aux caves de l'Observatoire Royal où ont été placées les nouvelles boussoles suspendues de Coulomb. Dans ces caves de pierre, les aiguilles aimantées sont en effet éloignées de tout élément métallique susceptible de fausser les mesures. De plus ces boussoles si sensibles y sont protégées des vibrations, des courants d'air, des variations de température ou influences électriques qui, au sol, pourraient perturber les mesures. Mais il faut y introduire un observateur, et Cassini va devoir utiliser des ruses infinies pour éviter les perturbations dues à l'approche de son propre corps ! Ce type de boussole, admet Coulomb, "ne peut convenir aux opérations des navigateurs" ! En revanche Cassini peut mener à bien ses délicates observations sur les variations diurnes du magnétisme terrestre. Le Mémoire de Coulomb lui vaut de partager en 1777 le prix de l'Académie avec le physicien hollandais Van Swinden. Ce dernier a soumis au concours un mémoire très volumineux, fondé sur plus de 40 000 observations des variations du magnétisme terrestre, et dans lequel il propose d'utiles améliorations des boussoles sur pivot. Mais l'étude de la torsion des fils par Coulomb ouvrait un champ d'investigation totalement nouveau. En effet dans son étude sur la torsion des cheveux et des fils de soie, il a affirmé sans s'y attarder que "les forces de torsion qui ramènent un corps à sa situation naturelle sont nécessairement proportionnelles à l'angle de torsion". Coulomb y revient quelques années plus tard et va trouver aux propriétés de la torsion de nouvelles applications. La "balance de torsion"
Une balance pour l'électricité
Comment est constituée la balance qui doit permettre de réaliser enfin ces mesures ? [Voir la vidéo Coulomb invente une balance pour l'électricité ]
La "loi fondamentale de l'électricité" et sa "détermination expérimentale"Coulomb annonce d'emblée, avant toute relation de l'expérience, cette loi fondamentale : "la force répulsive de deux petits globes électrisés de la même nature d'électricité est en raison inverse du carré de la distance du centre des deux globes". Autrement dit, si d est cette distance, la force électrique est proportionnelle à 1/d2. La relation de l'expérience tient ensuite en à peine une page. Coulomb électrise une épingle à grosse tête, fichée dans un manche isolant (fig. 4). Il l'introduit jusqu'à toucher la balle (t), elle-même en contact avec (a). L'épingle retirée, les deux balles "se trouvent électrisées de la même nature d'électricité et elles se chassent mutuellement à une distance que l'on mesure". En fait, c'est un angle que mesure Coulomb, en regardant face à quelle division s'arrête, après une série d'oscillations, la balle (a). Puis il réduit la distance entre les deux balles. Il faut pour cela tourner en sens inverse l'extrémité supérieure du fil, d'un angle que mesure le micromètre. "Je présenterai seulement ici quelques essais qui sont faciles à répéter, et qui mettront tout de suite sous les yeux la loi de la répulsion" Il s'agit en fait des résultats d'une unique expérience : après avoir électrisé les balles, Coulomb mesure une "distance" de 36°, puis il tord le fil de façon à les rapprocher à 18°, puis à 8,5°. Coulomb déduit des mesures faites à l'aide du micromètre la torsion totale du fil dans chaque essai. Pour diviser une première fois la distance par deux, il a fallu quadrupler l'angle de torsion. La force de répulsion, qui est proportionnelle à cet angle, est donc quadruple. Puis en quadruplant à nouveau la torsion, "il ne s'en fallait que d'un demi degré que la distance... ne fut réduite [à nouveau] à la moitié". Distance moitié, force quadruple, la loi en 1/d2 est bien sous les yeux des lecteurs, et tout nous semble d'une lumineuse simplicité ! Quelques essais faciles à répéter ?
L'adhésion à ce système du monde est loin d'être unanime en Europe à cette époque, et les résultats de Coulomb seront contestés de façon particulièrement virulente en Allemagne. [Sur les bases théoriques et expérimentales de cette contestation, voir la page Une expérience contestée...]. Il fallut une vingtaine d'années pour que la loi de Coulomb soit acceptée dans toute l'Europe, plus par la validité de ses conséquences que par des vérifications directes. La proportionnalité de la force électrique aux charges"La" loi de Coulomb s'écrit aujourd'hui : F = k q.q'/d2 où d est la distance entre les charges électriques (assimilées à des charges ponctuelles), Selon cette formule, la force électrique est proportionnelle aux quantités d'électricité portées par les deux corps en interaction. Mais cela est-il précisé par Coulomb ? Pas dans le Premier Mémoire, où seule la loi "en 1/d2" est exprimée. En revanche, dans le cinquième, présenté deux ans plus tard, on lit : "ainsi que nous l'avons prouvé dans les mémoires qui précèdent, l'action est en raison inverse du carré des distances et directe des densités" La "densité électrique" dont parle ici Coulomb est proportionnelle à notre "charge" électrique que Coulomb nomme quant à lui "masse" électrique. L'expression "en raison directe des densités" est donc ici synonyme de "proportionnelle aux charges". Mais Coulomb ne donne, dans ses Mémoires précédents, aucune preuve expérimentale directe de cet énoncé. Il utilise cette loi de proportionnalité comme si elle allait de soi. [Voir la page La proportionnalité de la force électrique aux charges : une définition ou une loi expérimentale ?] Lois de l'électricité et du magnétisme, suite...Pour Coulomb, le premier Mémoire n'est qu'un chapitre d'une œuvre plus large. Muni de la balance il peut commencer à bâtir une nouvelle science de l'électricité et du magnétisme. Les Mémoires suivants font une large place aux mathématiques, jusque là outil privilégié de la mécanique. Les expériences du premier Mémoire portent uniquement sur les forces répulsives entre charges électriques de même nature. Il s'agit, dans le second Mémoire, d'étendre la loi en 1/d2 à la force attractive entre charges de nature contraire, et d'établir une loi analogue pour les interactions entre pôles d'aimants. Puis dans les mémoires suivants, Coulomb s'intéresse à la répartition du "fluide électrique". Il montre ainsi qu'il se répartit uniquement sur la surface (et non à l'intérieur) des conducteurs. Mais comment se partage-t-il entre plusieurs conducteurs mis en contact ? Comment se distribue-t-il sur les différentes parties de la surface de conducteurs de formes diverses ? [Voir la page Les Mémoires de Coulomb sur l'électricité et le magnétisme] Pour répondre à ces questions, il mène entre 1785 et 1791 une quantité extraordinaire d'expériences extrêmement délicates, inventant de nouvelles techniques qu'il combine à l'usage de la balance. Le récit détaillé qu'il donne de ces expériences permet de se convaincre qu'il disposait effectivement d'un savoir-faire difficile à maîtriser pour les expérimentateurs ultérieurs [Voir la page Une expérience contestée...]. Il confronte une partie de ses résultats, au prix de complexes calculs d'approximation, avec les prédictions d'une loi " en 1/d2 ". Au-delà de la "loi de Coulomb" les Mémoires sont donc fondateurs d'une science mathématique de l'électrostatique qui trouvera son expression achevée quelques temps plus tard avec Poisson. Ils sont par ailleurs représentatifs de la naissance d'une manière de pratiquer la science spécifique de l'Académie parisienne et d'un changement profond du statut de l'expérience en physique. [Voir la page Quelques réflexions sur un instrument "fondateur"] Pour en savoir plusCOULOMB, Charles-Augustin. Mémoires publiés dans les ouvrages de l'Académie des sciences Mémoires de Coulomb, dans Collection de Mémoires relatifs à la physique, publiés par la Société Française de Physique, t. 1, Paris : Gauthier-Villars. 1884. [Lire sur le CNUM ou Voir le PDF] COULOMB, Charles-Augustin. Mémoires sur l'électricité et le magnétisme, Paris, s.d. [après 1793]. [Lire sur Internet Archive] COULOMB, Charles-Augustin. First Memoir on Electricity and Magnetism [...] (1785), 1788 [English translation] COULOMB, Charles-Augustin. Theoretical & experimental research on the force of torsion [...] (1784), 1787. English translation [(1st section) (2d section)] La mesure de la force électrique. Une énigme au bout d'un fil. Cahiers de Science & Vie, Hors-Série 26, avril 1995. GILLMOR, Stewart. Coulomb and the Evolution of Physics and Engineering in Eighteenth-Century France, Princeton: Princeton University Press, 1971. Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité. Mise en ligne : novembre 2007 (dernière révision :
septembre 2013)
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Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS |