@. Ampère et l'histoire de l'électricité |
[Accueil] [Plan du site] | ||||||||
Une nouvelle plateforme est en cours de construction, avec de nouveaux documents et de nouvelles fonctionnalités, et dans laquelle les dysfonctionnements de la plateforme actuelle seront corrigés. |
![]() |
||||||||
Parcours historique > Des lois pour l'électricité : Coulomb et quelques autres... | |||||||||
Une expérience contestée, un accueil contrastéPar Christine Blondel et Bertrand Wolff La théorie mathématique de l'électrostatique, telle qu'on l'enseigne aujourd'hui, a été
construite, dans la première moitié du XIXe siècle comme une conséquence de la
loi en 1/d2. C'est donc par ses multiples conséquences que la loi de Coulomb se
trouve confirmée. Ce succès peut expliquer que les réactions critiques ou d'indifférence devant les résultats de Coulomb aient été, jusqu'à récemment, largement oubliées. Il a fallu une tentative de reproduction de l'expérience fondatrice de Coulomb [Voir la page Charles-Augustin Coulomb, des fortifications de la Martinique à la mesure de la force électrique] pour susciter une curiosité envers un accueil qui fut en réalité contrasté. Cette tentative de reproduction s'est en effet heurtée à de grandes difficultés, et le scepticisme sur la possibilité de reproduire les résultats de Coulomb a conduit à reprendre les textes historiques et à regarder de plus près les contestations émises, notamment par les physiciens allemands du début du XIXe siècle, à l'encontre de ces résultats. Une première reconstitution (1992)Au laboratoire historique du département de physique de l'Université d'Oldenburg, longtemps spécialisé dans la reconstitution d'expériences historiques, Peter Heering, a consacré sa thèse à la reconstitution des expériences décrites par Coulomb pour établir sa loi en 1/d2.
"Il me semble douteux que Coulomb ait obtenu les valeurs données dans son mémoire seulement par la mesure"Telle est la conclusion assez brutale de Heering. S'il reconnaît que Coulomb a pu acquérir une habileté remarquable dans le maniement de la balance grâce à ses nombreuses expériences antérieures sur la torsion, il considère en revanche que son expérience dans le domaine de l'électricité était, en 1785, encore très réduite. Cette dernière assertion peut être discutée. Les savoir-faire relatifs à l'électrostatique étaient à l'époque beaucoup plus largement diffusés qu'aujourd'hui, et il est tout à fait excessif de considérer Coulomb comme un novice dans ce domaine. A l'Ecole du Génie de Mézières il a suivi les leçons du meilleur "électricien" français de l'époque, comme il se nommait lui-même, l'Abbé Nollet. Il a profité ensuite des compétences de Jean-Baptiste Le Roy [Voir sa biographie], familier de Franklin et rival de Nollet, et il a travaillé en 1784, avec Benjamin Franklin, au sein d'une commission créée par l'Académie pour l'étude des paratonnerres. Par ailleurs il faut souligner que les perturbations dues aux influences électriques dépendent des matériaux dont sont constitués les locaux où s'effectue l'expérience, ainsi que du mobilier et des vêtements de l'expérimentateur. Les tables et parquets de bois, comme les chaussures de cuir du XVIIIe siècle, étaient conducteurs à la différence des sols, tables, chaussures et vêtements en matières synthétiques du XXe siècle. Certes, il est peu vraisemblable que Coulomb soit tombé du premier coup sur les valeurs des trois seuls essais qu'il a retenus. Il s'agit sans doute d'un aboutissement considéré comme satisfaisant, voire d'une sélection, contraire aux pratiques scientifiques actuelles, mais courante à une époque où le statut de la "preuve expérimentale" est autre [Voir la page Quelques réflexions sur un instrument "fondateur"]. C'est d'ailleurs ainsi qu'il a pratiqué dans tous ses mémoires précédents. En outre la volonté de Coulomb de convaincre son public de la lumineuse simplicité de sa démonstration peut l'amener à ne pas souligner les difficultés pratiques. Mais Heering va plus loin puisqu'il suggère qu'il était impossible à Coulomb d'obtenir ses résultats par la seule mesure. Il les aurait donc idéalisés, au point d'en faire ceux d'une "expérience de pensée", en conformité avec la loi attendue par lui-même et ses pairs de l'Académie. La lecture de l'ensemble des Mémoires de Coulomb [Voir la page Les Mémoires de Coulomb sur l'électricité et le magnétisme] conduit à mettre en doute ce jugement. Pendant plusieurs années, Coulomb effectue en effet avec la balance de torsion des centaines et des centaines de mesures. Celles qu'il réalise pour déterminer la distribution de la charge électrique à la surface de plusieurs conducteurs en contact sont beaucoup plus délicates que celles du 1er Mémoire. En effet la plupart d'entre elles exigent la manipulation d'un petit "plan d'épreuve" qui va chercher à la surface du conducteur étudié la charge à mesurer dans la balance. L'accord entre les résultats de ces expériences et ceux de l'analyse mathématique rigoureuse menée une vingtaine d'année plus tard par Poisson est remarquable. Peut-on penser que Coulomb a "arrangé" ses résultats expérimentaux ? L'appareil mathématique dont il dispose ne lui permettait pas, contrairement à Poisson, de prévoir les valeurs théoriques des résultats de ces expériences. Il ne peut faire que des calculs approchés. C'est aux résultats de ces calculs approchés qu'il compare ses valeurs expérimentales. S'il avait "arrangé" ses résultats expérimentaux, ceux-ci seraient systématiquement plus proches des résultats de ses propres calculs que des valeurs théoriques de Poisson. Ce n'est pas le cas : certains résultats expérimentaux sont plus proches des valeurs théoriques de Poisson que de ses valeurs approchées Une nouvelle reconstitution (2006) : "Coulomb a obtenu par l'expérience les résultats qu'il rapporte"Lors de reconstitutions ultérieures, à Oldenburg aussi bien qu'au MIT, mais avec des balances moins sensibles (fil de torsion moins fin), on retrouve relativement facilement la loi de Coulomb. Cependant la question subsiste sur le plan historique : Coulomb a-t-il pu obtenir les résultats qu'il fournit ?
Remettre en question Coulomb... ou les reconstitutions modernes d'expériences anciennes ?En conclusion de son article, Martinez écrit : "nous voyons ainsi comment il peut suffire d'une seule différence, minime et à peine perceptible, entre les prescriptions de Coulomb et la réplication pour conduire à des résultats entièrement différents." La reconstitution de Caltech établit donc qu'il était tout à fait possible à Coulomb de trouver par l'expérience ses fameuses trois valeurs. Par la même occasion elle montre que, sans une fidélité suffisante aux matériaux et techniques de Coulomb, on obtient des valeurs fort différentes. Le dispositif expérimental de Martinez a été amélioré jusqu'à donner enfin les "bons" résultats. Coulomb lui-même a fort bien pu procéder ainsi ! Au fur et à mesure de ses améliorations, Martinez découvre de nouvelles causes susceptibles de perturber l'expérience : mauvaise qualité d'un isolant, d'un fil de torsion, etc. Il n'en reste pas moins qu'apparaît là un risque bien connu des chercheurs. Lorsqu'on a une idée du résultat à obtenir, pour confirmer soit une hypothèse théorique soit un résultat expérimental, si l'expérience donne un "mauvais" résultat, on consacre des efforts importants à rechercher comment modifier le dispositif ou la procédure expérimentale. En revanche, si le résultat est "bon", on est tenté d'arrêter là l'expérience. Dans ces conditions, les reconstitutions d'expériences anciennes sont-elles utiles ? L'exemple de la balance de Coulomb met en évidence l'impossibilité d'une reconstitution absolument "à l'identique". Ainsi le dernier des dispositifs de Martinez est plus proche que les précédents de celui de Coulomb, mais des différences subsistent encore. Certains matériaux désignés par Coulomb comme "du commerce" (fils de clavecin, préparations de cire d'Espagne ou de gomme-laque, etc.) sont de caractéristiques et compositions incertaines. Et s'identifier à un homme, pris dans le contexte d'un passé déjà lointain, est encore plus illusoire. Quel est alors l'intérêt de consacrer à ces "réplications" tant de temps et d'efforts ? L'intérêt de cette démarche réside précisément pour une bonne part dans la mise en évidence des difficultés rencontrées. L'histoire des sciences a été longtemps plus soucieuse de reconstruire une démarche intellectuelle que de reconstituer une pratique expérimentale. D'où une sous-estimation de la dimension pratique et matérielle de la découverte scientifique comme de la diversité des savoir-faire expérimentaux non formalisés et par conséquent oubliés. Cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de l'électrostatique. Une foule de prescriptions sur la provenance des verres (de France ? De Hollande ?), leur séchage au feu, la nature des vernis, les facteurs météorologiques (expérimenter en hiver), etc. faisaient partie du savoir commun des électriciens du XVIIIe siècle. Depuis la fin du XIXe siècle, l'enseignement a cessé de transmettre ces savoir-faire qualitatifs.
Comment les contemporains de Coulomb ont-ils reçu ses travaux ?Acceptés sans hésitation, couverts de louanges et repris par Jean-Baptiste Biot à Paris, considérés avec indifférence en Italie, les résultats de Coulomb sont mis en doute, voire contredits par une autre loi de force, en Allemagne. A Paris, son travail s'intègre dans une vision de la physique commune aux membres de l'Académie des sciences. Au cur de cette vision se trouve la foi dans la possibilité de traduire les phénomènes physiques par des lois simples et universelles. Les quelques valeurs numériques de Coulomb emportent l'adhésion. [Voir la page Quelques réflexions sur un instrument "fondateur"]. Les physico-mathématiciens de l'Académie des sciences partagent également l'objectif de Coulomb consistant à fonder une statique de l'électricité sur le modèle de la mécanique. Les résultats de Coulomb ne les surprennent pas : la loi est "dans l'air" [Voir la page De l'électricité « en + ou en − » de Franklin aux lois de l'électricité]
Le rôle des hypothèses préconçuesPourquoi Coulomb considère-t-il que la distance à prendre en compte entre les boules interagissantes est celle entre leurs centres, alors que pour Simon, et bien d'autres, la grandeur pertinente est la distance entre leurs surfaces ? Dans le premier cas, le schéma de la gravitation newtonienne est implicite. L'action exercée par la Terre sur la lune équivaut à celle qu'exercerait la masse de la Terre toute entière concentrée en son centre. C'est une conséquence mathématique, établie par Newton, de la loi en 1/d2. Coulomb utilise donc implicitement une conséquence de la loi qu'il cherche à vérifier. La plupart des physiciens allemands n'adhèrent pas une vision newtonienne de l'électricité. Certains considèrent que les corps électrisés agissent par l'intermédiaire d'effluves, la plupart pensent que ces corps sont entourés d'"atmosphères électriques", dont le comportement peut être comparé à celui d'un gaz. Dans une telle hypothèse, c'est bien la distance entre les surfaces des corps qui importe. L'expérience de Coulomb ne peut donc être perçue comme une preuve que dans le cadre d'un contexte conceptuel plus vaste. Ce qui fait preuve pour un public donné et à un moment donné, peut très bien ne pas convaincre ailleurs et à un autre moment. L'histoire des sciences en fournit maints exemples. Pour en savoir plusLa mesure de la force électrique. Une énigme au bout d'un fil. Cahiers de Science & Vie, Hors-Série 26, avril 1995. HEERING, Peter. On Coulomb's inverse square law. American Journal of Physics, 1992, 60, 988996. BLONDEL Christine, DOERRIES Matthias (eds), Restaging Coulomb. Usages, controverses et réplications autour de la balance de torsion, Florence, Olschki, 1994. MARTINEZ, Alberto A., Replication of Coulomb's Torsion Balance Experiment, Archive for History of Exact Sciences, 2006, 60, 517-563. Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité. Mise en ligne : février 2008 (dernière révision : septembre
2013)
|
|||||||||
© 2005 CRHST/CNRS, conditions d'utilisation.
Directeur de publication :
Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS |