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Parcours historique > L'électricité au XVIIIe siècle

Des machines à frotter...

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

Des débuts modestes

On sait depuis la Grèce antique que l'ambre (elektron) frotté possède la propriété d'attirer les objets légers, brins de paille ou de tissu. A la fin du XVIIe siècle, la liste des corps susceptibles de "devenir électriques", c'est-à-dire de présenter après frottement la même propriété que l'ambre, s'est agrandie avec les verres de diverses compositions, les résines ou le soufre. On frotte ces corps soit avec une main bien sèche, soit avec du papier, du cuir ou du tissu. Plumes et brins de paille sont plus ou moins bien attirés. Mais les phénomènes observés, peu spectaculaires, suscitent un intérêt limité avant les années 1700.

Ceci est-il une machine électrique ?


Otto von Guericke, Experimenta Nova. Magdebourg, 1672.

Pourtant Otto Von Guericke est souvent cité comme le constructeur de la première machine électrique une quarantaine d'années plus tôt, vers 1660. Sur la gravure décrivant son expérience, on voit un globe de soufre, "de la grosseur d'une tête d'enfant", qui peut tourner autour d'un axe pendant qu'on le frotte avec la main. Le globe est ensuite tenu verticalement par son axe.

Otto Von Guericke observe avec ce globe un ensemble de phénomènes qui furent ultérieurement attribués à l'électricité. Ainsi une plume est-elle d'abord attirée par le globe frotté, puis repoussée après le contact, et enfin accompagne le globe à distance dans son mouvement. On entend des crépitements, des lueurs sont visibles dans l'obscurité...

Mais pour Guericke, seule l'attraction est de nature électrique. S'il a choisi de faire un globe en soufre auquel il a incorporé quelques minéraux, c'est qu'il veut réaliser un modèle réduit de la Terre dont il cherche à imiter la composition. Il a d'ailleurs cassé le globe de verre ayant servi à mouler le soufre liquide. Guericke pense que toutes les "vertus" manifestées par les planètes ont leur siège dans les corps ordinaires. Parmi ces vertus, celle d'attirer d'autres corps, comme les masses tombant sur la Terre, est la seule qu'il associe à l'électricité. Grâce à une autre "vertu", la Terre tient au contraire à distance certains corps, tels le feu ou la lune, de même que son globe de soufre tient à distance la plume repoussée. D'autres "vertus" encore, comme les vertus lumineuse et sonore (l'éclair, le tonnerre) se trouvent également reproduites en miniature par son globe.

Dans la mesure où le dispositif de Guericke est destiné à simuler les divers phénomènes se produisant à la surface du globe terrestre, et où Guericke n'étudie pas les effets électriques en tant que tels, son globe frotté peut difficilement être considéré comme une machine électrique, même si cette idée de frotter une boule en rotation sera à la base des premières machines électriques.

Les machines d'Hauksbee

Les années 1660-1670 ont vu la création de grandes sociétés savantes en Europe : Académie des Sciences de Paris et Royal Society à Londres, suivies par les Académies de Berlin, de Turin ou de Saint-Pétersbourg. Cette organisation de l'activité scientifique implique des moyens matériels plus importants, des rencontres régulières et des publications décrivant les résultats des travaux des savants. Lors des séances de ces sociétés, des expériences sont souvent présentées et sont d'autant plus appréciées qu'elles sont spectaculaires. Les instruments prennent alors une importance de plus en plus grande. C'est dans ce contexte que la Royal Society crée en 1703, sous la présidence d'Isaac Newton, un poste de démonstrateur qui est attribué à Francis Hauksbee. Excellent constructeur d'instruments, Hauksbee perfectionne en particulier la pompe à vide, la première ayant été construite dans les années 1650 par Von Guericke.


HAUKSBEE, "Several Experiments on the Attrition of Bodies in Vacuo", Phil. Tr, 24, 1704-1705

Hauksbee s'intéresse également à un phénomène connu mais resté mystérieux. On avait constaté que des lueurs bleutées apparaissent dans l'espace vide au-dessus du mercure d'un baromètre, lorsque ce baromètre est secoué dans l'obscurité. Hauksbee cherche à reproduire cette luminosité de diverses manières et ses expériences l'amènent à penser que la lumière produite est liée d'une part au frottement du mercure contre le verre, d'autre part à la qualité du vide. En 1705, en remplaçant le mercure par de l'ambre frotté dans une cloche de verre à l'intérieur de laquelle il fait le vide, il obtient les mêmes lueurs, d'autant plus intenses que le vide est plus poussé. Pour frotter l'ambre à l'intérieur de la cloche, il lui avait fallu construire un dispositif ingénieux et complexe.


Le cylindre de verre est placé au-dessus d'une pompe à vide (non représentée sur ce dessin). Des perles d'ambre frottent sur des tampons de laine (voir les schémas de détail, sous la machine). Le mouvement est transmis par une courroie de la grande roue de 60 cm de diamètre à la petite poulie fixée au sommet du dispositif.

Mais pourquoi, plus simplement, ne pas frotter le verre lui-même, et de l'extérieur ? Hauksbee fait tourner rapidement une boule de verre dans laquelle il a fait le vide, tandis que sa main bien sèche frotte la boule. Une lueur violette très intense apparaît alors à l'intérieur de la boule alors que dans l'air, à l'extérieur de la boule, on obtient non pas une lueur continue, mais une série de brèves étincelles. D'autre part la boule en rotation attire fortement les objets légers. De 1705 à 1709, Hauksbee construit d'autres machines, avec lesquelles il étudie systématiquement les deux phénomènes : luminescence et attractions électriques.

Lorsque le globe de verre est frotté, les brins de laine qu'Hauksbee a disposés à l'intérieur se dirigent selon les rayons du globe.

Les deux cylindres de verres de cette machine peuvent être mis en rotation indépendamment l'un de l'autre. On fait le vide dans le cylindre intérieur. Lorsqu'on applique une main bien sèche sur le cylindre extérieur en rotation, une lueur apparaît dans le cylindre intérieur.

HAUKSBEE, Physico-Mechanical Experiments..., London, 1709.

La simultanéité des attractions électriques, alors bien connues, et des nouveaux phénomènes lumineux met en évidence la nature électrique de ces derniers. Les machines tournantes, qu'Hauksbee a d'abord construites pour étudier la luminescence, sont bien des machines électriques. Dorénavant les "électriciens" qui s'ingénient à sa suite à produire lueurs et étincelles parlent souvent de "feu électrique".

En constatant que la décharge électrique se déclenche plus facilement dans l'air raréfié que dans l'air ordinaire, Hauksbee inaugure l'étude des décharges électriques dans les gaz raréfiés, qui se révèlera plus tard un important domaine de recherche... et donne lieu à de fort jolies expériences. [Voir la vidéo Décharges électriques lumineuses, de Louis XIV aux tubes fluos .]

Tube de verre ou globe tournant ?

Pendant plus de vingt ans, malgré l'intérêt que suscitent les expériences d'Hauksbee, les machines à globe ou à cylindre de verre tournants servent davantage à des démonstrations sur la production de phénomènes lumineux qu'à de nouvelles recherches en électricité. En outre des accidents se sont produits, le globe de verre se brisant sous la main de l'expérimentateur. Hauksbee lui-même a réalisé certaines de ses expériences avec de simples tubes de verre longs d'environ un mètre, plus faciles à manipuler. En choisissant bien le verre et en le séchant soigneusement, on peut obtenir des électrisations importantes, comme le montre la vidéo A la recherche du verre le plus "électrique" .

C'est encore avec ce genre de tube que dans les années 1730, Stephen Gray et Charles Dufay réalisent les expériences qui feront prendre son essor à la science électrique.
[Voir la page Teinturiers et tubes de verre : Gray et Dufay ]

Les machines allemandes et leurs émules

Au milieu des années 1730 l'Allemand Georg Bose revient au globe de verre frotté à la main pour ses démonstrations publiques qui rencontraient un grand succès à Leipzig. Suivi par d'autres physiciens allemands, il introduit un perfectionnement en canalisant l'électricité produite par le globe vers une tige métallique, épée ou canon de fusil. Cela lui permet d'accumuler l'électricité sur ce conducteur et de constituer une sorte de réservoir d'électricité. Ce "conducteur primaire" devient un élément essentiel de toutes les nouvelles machines, prenant ultérieurement la forme d'un cylindre métallique creux, terminé à chaque extrémité par une boule et posé sur des pieds de verre ou suspendu par des fils de soie. Mieux, le conducteur primaire peut être un jeune garçon suspendu par des cordons de soie, transmettant le feu électrique à une jeune fille debout sur un tabouret isolant... méthode à succès si l'on en juge par le nombre de gravures représentant cette scène.

FIGUIER (Louis), Les merveilles de la science, Paris, 1867, t. 1, p. 447

Diverses techniques sont utilisées pour maintenir le globe en rotation rapide. Johann Winkler, un professeur de langues et collègue de Bose à Leipzig, remplace la main par un coussin de cuir. Des machines sont construites avec plusieurs globes en rotation, frottant chacun sur des coussins. Ces nouvelles techniques allemandes sont rapidement diffusées par Winkler.

Cependant en France, Nollet reste convaincu de la supériorité de sa main sur les coussins de cuir, dut-il risquer de se blesser au cas où le globe viendrait à se briser, ce qui se produisit lors d'une de ses démonstrations. Enfin, en Allemagne et en Angleterre, le globe est parfois remplacé par un cylindre.


FIGUIER (Louis), Les merveilles de la science, Paris, 1867, t. 1

D'une multiplicité de machines à un modèle universel

Indépendamment les uns des autres, plusieurs physiciens ou constructeurs remplacent le globe par un disque de verre. Moins sujettes aux accidents, les machines à disque s'imposent dans les années 1760. Le disque de la machine du duc de Chaulnes, encore visible au Musée des arts et métiers de Paris, a un diamètre d'un mètre cinquante et fournit, affirme-t-il, des étincelles mesurant jusqu'à cinquante centimètres !

Les variantes sont nombreuses. Des machines destinées aux médecins pratiquant l'électricité médicale, comme la machine à cylindre du constructeur anglais Nairne, pouvaient fournir à volonté électricité positive ou négative, selon que le conducteur est mis en relation avec le verre ou avec les coussinets.

Le verre était très sensible à l'humidité de l'air, si défavorable à l'excitation électrique. C'était aussi un matériau coûteux. Sous forme de cylindres ou de disques, on essaye les matériaux les plus variés. Des cylindres de bois sec, frottés par des coussins de laine ou de cuir, fournissent de l'électricité négative. Van Marum construit une machine où un disque de gomme laque est frotté par du mercure contenu dans un bac.

Mais le verre garde sa suprématie, et devient lui-même objet d'étude : bleu ou incolore ? mince ou épais ? de Bohême ou de St-Gobain en Picardie ? Les avis divergent. Toutefois dans les années 1780, il est clair que le verre s'électrise d'autant mieux qu'il contient moins de sels alcalins.
[Voir la page Les verres anciens s'électrisaient-ils mieux que les verres d'aujourd'hui ?]

Pour le musée Teyler qu'il dirige à Haarlem en Hollande, Van Marum fait construire la machine de tous les records : construite en 1784, elle comporte deux disques de plus d'un mètre cinquante de diamètre, et deux assistants actionnent simultanément les manivelles (ou même quatre, selon la durée de l'expérience). Les étincelles obtenues atteignent soixante centimètres.

La machine géante de Van Marum, construite pour le musée Teyler de Haarlem.

Batterie de 135 bouteilles de Leyde, ajoutée à la machine de Van Marum

Van MARUM, Martinus, Description d'une Très Grande Machine Electrique, ..., Haarlem, 1785-1787.

Dans certains modèles, ce sont les coussins qui tournent et le verre qui reste fixe. Finalement c'est la machine à disque vertical tournant, dite de Ramsden, qui s'impose dans les années 1780, jusqu'à la fin du XIXe siècle où elle est encore présentée dans les manuels scolaires comme "la plus ordinairement employée".







"Machine électrique ordinaire, ou de Ramsden", Traité de physique élémentaire de Drion et Fernet, 1893.

[Voir la vidéo Une machine de Ramsden au lycée Cavour (Rome) ]

Le processus de l'électrisation par frottement à l'échelle microscopique reste encore aujourd'hui un sujet d'étude [Dans le Laboratoire historique, voir L'électricité de pression de Haüy et l'électricité de frottement font cause commune]

Les machines électrostatiques actuelles sont-elles des machines à frottement ?

En 1775 Volta invente l'électrophore, dispositif très simple qui permet, grâce au phénomène d'"influence" électrique, de multiplier un grand nombre de fois une charge électrique initiale au prix, il est vrai, de fastidieux allers-retours. C'est plus une curiosité de laboratoire qu'un dispositif capable de rivaliser avec les machines électriques de l'époque.

[Voir la vidéo L'électrophore "perpétuel" ]

Mais au XIXe siècle, les constructeurs imaginent diverses machines électrostatiques qui reprennent le principe de l'électrophore de Volta. Ce ne sont plus des machines à frottement. Leur fonctionnement repose sur le phénomène de l'influence et ce sont en quelque sorte des électrophores à fonctionnement continu.

De "l'électrophore perpétuel" de Volta à la machine de Wimshurst

Le dispositif de Volta est modeste : d'une part un disque métallique tenu par un manche isolant, d'autre part une galette de résine. Le fonctionnement du système est en revanche subtil. La galette de résine, frottée avec une fourrure, s'électrise négativement. On pose alors le disque métallique sur la galette. Bien que cela paraisse un peu étonnant, l'électricité négative de la galette ne se transmet pas au disque. En effet le contact entre les deux surfaces se fait seulement par des irrégularités microscopiques et la galette isolante retient ses charges négatives. De fait on constate qu'il n'y a pratiquement pas de transfert de son électricité négative vers le disque métallique.

En revanche cette électricité négative de la galette agit par influence sur le disque dont les charges négatives fuient vers la terre par l'intermédiaire de l'expérimentateur lorsque celui-ci touche le disque. Lorsqu'on retire le doigt au contact du disque, ce dernier ayant perdu des charges négatives, se trouve électrisé positivement.



Divers électrophores (Lycée Emile-Zola, Rennes).

On peut mettre cette électricité en évidence en approchant un doigt du disque, ce qui déclenche une petite étincelle (fig. 543). Mais surtout on peut aller déposer cette charge sur un électroscope ou sur une des armatures d'un condensateur tel que la bouteille de Leyde. On constate qu'on peut recommencer autant de fois qu'on veut cette opération et obtenir ainsi une charge importante sur l'électroscope ou sur l'armature du condensateur. Si l'on répétait l'opération un nombre infini de fois, cela justifierait l'appellation d'électrophore "perpétuel" donnée par Volta à son dispositif.
[Voir la vidéo L'électrophore "perpétuel" ]


L'électrophore : charge (fig. 542), puis décharge par étincelle (fig. 543).
(Adolphe Ganot, Traité élementaire de physique, 1868, 13e ed., p. 629)

Peut-on accumuler "gratuitement" des charges électriques positives, et créer ainsi une réserve d'énergie électrique ? Non ! Pour séparer le disque de la galette de résine, l'opérateur doit à chaque fois fournir un travail mécanique pour vaincre les forces d'attraction électrique entre la galette négative et le disque positif. Il y a donc transformation d'énergie mécanique en énergie électrique, et le principe de conservation de l'énergie n'est pas violé !

Bien avant la pile, Volta a ainsi inventé un nouveau moyen d'accumuler l'électricité. Jusque là seul le frottement était utilisé pour séparer et isoler des charges électriques. Avec l'électrophore, le frottement n'intervient que pour l'électrisation initiale, et c'est le phénomène d'influence électrique qui est à l'origine de la production de charges beaucoup plus importantes.


Machine de Wimshurst (Lycée Bertran de Born, Périgueux)
© Francis Gires ASEISTE

Au XIXe siècle on imagine divers dispositifs ingénieux pour remplacer par un mouvement rotatif le va-et-vient fastidieux entre la galette de résine et la bouteille de Leyde. Dans leur principe ces machines, comme la machine de Holtz, ne font que reprendre le procédé de Volta mais elles permettent d'atteindre beaucoup plus efficacement des tensions élevées. La machine la plus pratique et la plus diffusée est celle mise au point en 1882 par l'anglais Wimshurst. Sur deux disques de verre mis en rotation par une manivelle sont collées des languettes métalliques qui jouent le même rôle que le métal de l'électrophore : électrisées par influence, puis déchargées vers des bouteilles de Leyde, elles sont à nouveau électrisées lors du demi-tour suivant, etc.

Cette machine est, à puissance égale, considérablement moins encombrante que les machines à frottement en vogue au XVIIIe siècle. C'est pourquoi la machine de Wimshurst est toujours largement utilisée dans les établissements scolaires.

Pour en savoir plus

GUERICKE, Otto von. Des forces de l'univers, La Revue scientifique de la France et de l'étranger, t. 2, 1882, p. 592-594, extrait traduit de GUERICKE, Otto von. Experimenta nova...., Amsterdam, 1672, livre IV. (Voir le PDF)

WINCKLER, Johann. Essai sur la nature, les effets et les causes de l'électricité, avec une description de deux nouvelles machines à électricité, Paris,1748. (Lire sur le CNUM)

HAUKSBEE, Francis. Expériences physico-méchaniques sur... la lumière et l'électricité... revues & mises au jour... par M. Desmarest, Paris, 1754, t. 1. (Lire sur Gallica)


HACKMANN, William D., Electricity from Glass. The History of the Frictional Electrical Machine, 1600-1850, La Haye: Sijthoff & Noordhoff, 1978.

BOSSERT, François. Machine de Wimshurst, Bulletin de l'Union des Physiciens, n° 696, juillet-août-septembre 1987, p. 881-907. (L'auteur explique de façon détaillée le fonctionnement de la machine de Wimshurst, et en propose une construction "très simple et très économique".)


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité



Mise en ligne : janvier 2007 (dernière révision : mai 2012)

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