@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Parcours historique > L'électricité au XVIIIe siècle

"Gilbert, qu'on peut à juste titre appeler le père de l'électricité moderne"

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

"Le père de l'électricité moderne" ? C'est ainsi que le savant anglais Joseph Priestley qualifie en 1767 le médecin de la Renaissance William Gilbert dans sa célèbre Histoire de l'électricité. De fait l'électricité, à la différence du magnétisme, est une science récente qu'on ne peut faire remonter à l'antiquité grecque.

De la pierre de Magnésie à la boussole

La "pierre d'aimant", qui a la propriété d'attirer les petits morceaux de fer, est connue depuis l'antiquité grecque. On trouve cette pierre étonnante dans la région de Magnésie, en Asie Mineure. Façonnée et polie en forme de cuiller, elle se fait boussole en Chine dès le IIIe siècle, servant essentiellement à prédire l'avenir. Elle est adoptée par les navigateurs arabes pour s'orienter en mer, puis par les pilotes européens. L'usage du compas de marine devient primordial avec les grandes explorations à la Renaissance. Sa pièce principale est une aiguille d'acier que l'on a aimantée par frottement contre une pierre d'aimant.

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Lycée Emile-Zola, Rennes, Cliché BW

Compas de marine du milieu du XVIIIe siècle. Une suspension à la Cardan le rend insensible aux mouvements du bateau, l'aiguille aimantée supporte le cadran mobile et la fleur de lys indique le Nord.

William Gilbert, un humaniste de la Renaissance

Après les Portugais et les Espagnols, les Anglais partent à la conquête des océans, devenant à la fin du XVIe siècle la plus grande puissance maritime. La boussole marine, et donc la "pierre d'aimant" qui permet de magnétiser les aiguilles d'acier, deviennent des objets d'intérêt scientifique pour le médecin William Gilbert (1540 - 1603) et quelques autres philosophes. Pour l'étude du "doigt de Dieu", comme il l'appelle, Gilbert prône, en humaniste de la Renaissance, une "longue expérimentation". C'est seulement après dix-huit ans d'expériences sur les aimants naturels et artificiels, sur les boussoles, ainsi que sur les corps électrisables qu'il publie, en 1600, son traité De Magnete (De l'aimant), que l'on peut considérer comme le premier livre de physique expérimentale publié en Angleterre. Il y reprend les expériences connues et en décrit de nouvelles.

Aimants et aimantation : deux expériences à reproduire

On se contentera ici, parmi les propriétés des aimants énumérées par Gilbert, d'en choisir deux, qui donnent lieu à des expériences aisément reproductibles.

L'expérience de l'aimant brisé

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Pierre de Maricourt avait décrit en 1269 des expériences sur les aimants, mettant en évidence l'existence et les propriétés des pôles magnétiques. Si on laisse flotter un aimant librement sur l'eau, il s'oriente dans la direction Nord-Sud, une partie de l'aimant se tournant vers le Nord, la partie opposée vers le Sud. D'où la dénomination de "pôles" pour ces parties de la pierre d'aimant. De Maricourt remarque aussi que si l'on approche deux aimants l'un de l'autre, leurs pôles se repoussent ou s'attirent selon qu'ils sont ou non de même nature. Enfin il tente d'isoler un pôle en coupant en deux un aimant. Mais chaque morceau présente à son tour les deux sortes de pôles !

Gilbert étudie à son tour les actions mutuelles entre pôles "cherchant le nord" et pôles "cherchant le sud". Il reprend l'expérience de Maricourt sur l'aimant brisé : sa pierre d'aimant possède un pôle a et un pôle d. Si on la coupe en deux, il apparaît deux nouveaux pôles : b, de nature contraire à a, et c, contraire à d.

Faire l'expérience
Aimantez une fine tige d'acier, par exemple en la posant quelque temps - ou en la frottant - sur un barreau aimanté. Puis promenez-la au-dessus d'une petite quantité de limaille de fer. Seules ses deux extrémités attirent et retiennent la limaille : ce sont les deux pôles, l'un "nord", l'autre "sud". A l'aide d'une cisaille coupez cette tige dans la région centrale, puis approchez de la limaille l'un des morceaux. Il attire à son tour la limaille à ses deux extrémités. Un pôle est donc apparu là où l'on a effectué la coupure. En l'approchant d'une boussole, il est facile de déterminer sa nature "nord" ou "sud".

On sait aujourd'hui que même si l'on passe à l'échelle microscopique, il est impossible d'isoler un pôle magnétique, chaque particule atomique constituant elle-même un aimant.

Une expérience sur l'aimantation.

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Gilbert suspend deux clous A et B verticalement l'un à côté de l'autre. En dessous des clous, il approche le pôle C d'un aimant, taillé en forme de sphère. Cette forme, aujourd'hui inhabituelle, ne joue pas dans l'expérience. Les clous s'écartent alors l'un de l'autre, comme on le voit dans la vidéo [Voir la vidéo Les deux clous de Gilbert ]. Les deux clous demeurent attirés par l'aimant, comme le serait un clou unique : il suffit de tenter de les éloigner à la main pour s'en assurer. Mais ils se repoussent entre eux.

L'explication est la suivante. Lorsqu'un objet en fer est attiré par un aimant, il devient temporairement un aimant ; c'est l'aimantation induite. Si la partie C de la pierre d'aimant est un pôle nord, alors chaque clou s'aimante avec un pôle sud à son extrémité inférieure, et un pôle nord à l'autre extrémité. Les extrémités inférieures des clous se repoussent donc entre elles, et il en est de même pour les extrémités supérieures.

"De magno magnete tellure" (Le grand aimant Terre)

Selon la croyance commune, reprise par Maricourt, c'est le ciel qui oriente la boussole : ne prend-elle pas une direction constante par rapport aux étoiles ? Pour Gilbert, l'orientation de la boussole est liée au globe terrestre. Il a collecté les observations faites par les marins et les constructeurs de boussoles : le plus souvent la boussole n'indique pas exactement le nord géographique déterminé par le soleil ou l'étoile polaire. Et la différence entre le le nord géographique et la direction de la boussole, la déclinaison, varie avec les lieux. L'idée que la connaissance précise de ces variations aidera à préciser la longitude d'un navire en mer, est pour lui une motivation très importante.

Il mesure aussi l'inclinaison de la boussole (angle qu'elle forme avec la verticale) en utilisant une aiguille aimantée libre de son orientation, et non, comme la boussole ordinaire, assujettie à se mouvoir dans le seul plan horizontal. Cette inclinaison varie fortement avec la latitude, étant nulle aux pôles et de 90° à l'équateur.



Aiguille aimantée traversant une boule de liège, en équilibre dans l'eau et montrant l'inclinaison magnétique.

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Le titre complet du De magnete - "De l'aimant, des corps magnétiques et du grand aimant Terre" - annonce la conclusion que Gilbert tire de ces observations : la Terre constitue un aimant géant.

Un gros aimant façonné en forme de boule, la terrella, lui sert de modèle réduit de la terre. Les orientations que prend une petite aiguille aimantée à sa surface, verticale au pôle Nord (A), horizontale à l'équateur, d'inclinaison intermédiaire en E, correspondent à celles que l'on peut observer sur le globe terrestre. La vertu magnétique de la Terre ne s'exerce, selon Gilbert, qu'à l'intérieur d'une certaine sphère d'action - orbis virtutis.

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Magnétisme et électricité

Les philosophes grecs rapprochaient l'attraction de la pierre d'aimant d'une autre curieuse attraction, celle due à l'ambre. Lorsqu'on frottait cette pierre précieuse pour la polir et en faire des bijoux, elle attirait des objets légers tels que duvets, fils ou brins de paille.

Gilbert s'intéresse aux différences entre les propriétés de l'ambre frotté et celles de l'aimant.

L'aimant n'attire que le fer, tandis que l'ambre attire des matériaux très divers. Alors que le magnétisme est la propriété d'une seule substance, un oxyde de fer que l'on nommera plus tard la magnétite, Gilbert découvre que non seulement l'ambre mais de nombreux matériaux (soufre, verre, diverses pierres précieuses et résines...) peuvent acquérir par frottement la même propriété d'attirer des corps légers. Cette découverte est à l'origine du mot électrique. Gilbert forge cet adjectif pour désigner la propriété que ces corps partagent avec l'ambre - elektron en grec - tandis que bois, os, métaux sont anélectriques (non électriques).

Pour établir cette classification, il utilise un dispositif plus sensible que les brins de paille, le versorium : une fine aiguille "de quelque métal que ce soit" est montée sur pivot. Si l'on approche un corps électrique frotté d'une des extrémités, l'aiguille s'oriente dans sa direction. [Faire l'expérience du versorium ]

Gilbert souligne d'autres différences entre électricité et magnétisme. L'attraction électrique nécessite le frottement, alors que l'aimant attire naturellement. En outre l'action magnétique, contrairement à l'attraction électrique, n'est pas arrêtée par un écran de papier ou de bois...

L'étude menée par Gilbert sur les corps électriques constitue la base sur lesquelles s'appuieront au début du XVIIIe siècle les grands électriciens comme Hauksbee, Gray ou Dufay. Mais lui-même était surtout préoccupé de tenir les médiocres propriétés de l'ambre à distance des nobles vertus de l'aimant. Quoi de commun, en effet, entre les timides actions électriques, si difficiles à exciter et promptes à disparaître, et la vertu magnétique, sorte d'énergie primaire prenant sa source dans la Terre elle-même et liée à ses yeux à son action gravitationnelle.

Mais, à la différence de nombreux auteurs de son époque, Gilbert pense que le magnétisme n'a pas d'action sur les organismes vivants. Ceux qui croient aux vertus thérapeutiques des bracelets et autres amulettes magnétiques auraient quelque difficulté à se réclamer de Gilbert. C'est le médecin qui parle : "se servir d'aimants pour toutes sortes de maux de tête ne les guérit pas plus (comme certains l'affirment) que ne le ferait un heaume de fer ou un casque d'acier" !

Pour en savoir plus

GILBERT, William. On the magnet, New York: Basic books, 1958 (reproduction en fac-similé de la traduction anglaise par Silvanus P. Thompson, 1900).


HEILBRON, John L., Electricity in the 17th and 18th Centuries: A Study in Early Modern Physics, New York: Dover, 1999, p. 169-179.

KING, James W. The Natural Philosophy of William Gilbert and His Predecessors, United States National Museum, Contributions from the Museum of History and Technology, 1959, Bulletin 218, Paper 8, p. 121-139.

PUMFREY, Stephen. Latitude and the Magnetic Earth, Lanham: Icon Books, 2002.


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité


Sur l'attraction électrostatique des corps légers, voir dans le Laboratoire historique la page Un phénomène plus complexe qu'il n'y paraît...



Mise en ligne : décembre 2006 (dernière révision : mai 2012)

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