@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Parcours historique > L'électricité au XVIIIe siècle > L'énigme de la bouteille de Leyde

En quoi la théorie de Franklin diffère-t-elle de l'interprétation moderne ?

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff


La tentation est grande de plaquer sur les conceptions de Franklin l'interprétation moderne [Voir la page :  Comprendre la condensation de l'électricité en termes modernes]. N'a-t-on pas affaire dans les deux cas à une électricité positive et une électricité négative, de part et d'autre d'un milieu imperméable à ces électricités ? Pourtant, si l'on y regarde de plus près, les différences sont importantes.

L'interprétation moderne est fondée sur la notion générale d'action à distance entre porteurs de charge microscopiques. Bien sûr la matière électrique, ou "feu électrique" de Franklin est un fluide subtil, impondérable, "élément" qui ressemble assez peu à nos électrons, protons ou ions. Mais surtout il n'utilise pas explicitement la notion d'action à distance. Certes il rejette, en 1750, les notions d'affluence et d'effluence chères à Nollet pour y substituer "diverses circonstances d'attraction et de répulsion". Mais s'il admet une action sur des distances macroscopiques, comme on le voit pour la bouteille de Leyde, il est loin d'en faire un principe général. Les corps électrisés "en plus" s'entourent d'une "atmosphère électrique" qui vient presser le fluide électrique contenu dans un autre corps. Lorsque Franklin constate une répulsion entre objets électrisés négativement, il ne cache pas son étonnement, et parle d'une expérience "que jusqu'ici on n'a pas expliquée d'une manière satisfaisante" (1748). Les "atmosphères" perdent petit à petit leur contenu matériel, au point de devenir un moyen commode de désigner un état et un champ d'action. Mais l'emploi de ce vocabulaire semble traduire une réticence persistante envers l'idée d'une action dénuée de tout intermédiaire matériel.

D'autre part pour Franklin, le verre a des propriétés tout à fait particulières qui sont au cœur de son interprétation. C'est le verre qui accumule l'électricité et non les armatures conductrices. Il propose, dans ses Opinions et conjectures de 1750, une audacieuse théorie microscopique du verre de la bouteille de Leyde : "les expressions me manquent et je doute beaucoup si je pourrai rendre cette partie de mon ouvrage intelligible". Lorsque le verre a été soufflé, le "feu commun" l'abandonne lors du refroidissement et "ses pores deviennent du vide". Franklin conjecture que ces pores vides sont d'une exceptionnelle finesse, au point que seul le feu électrique peut les remplir.

"Mais je suppose de plus que dans le refroidissement du verre, son tissu devient plus serré au milieu, et forme une espèce de séparation dans laquelle les pores sont si étroits, que les particules du fluide électrique [...] ne peuvent les traverser". En revanche "leur répulsion [peut les traverser], et par ce moyen [les particules du fluide électrique] agissent l'une sur l'autre"

Ainsi se trouvent expliquées à la fois l'imperméabilité du verre, et la possibilité d'une importante condensation de l'électricité. En effet dans chacune des "surfaces" (par ce mot Franklin précise qu'il entend les demi épaisseurs séparées par le "tissu plus serré") les pores très fins et très nombreux peuvent contenir une très importante quantité de fluide électrique. Lorsqu'on "pousse sur l'une des surfaces une quantité surnuméraire de ce fluide", "elle agit par sa force répulsive sur les particules du fluide électrique contenu dans l'autre surface". Ce processus s'arrête lorsque cette autre surface se trouve totalement vidée de son fluide.

Une partie essentielle de cette explication s'effondre lorsque Franklin imagine une expérience destinée à vérifier la présence de la zone médiane imperméable :

"J'égrisai [égriser : enlever par abrasion] les cinq sixièmes de l'épaisseur du verre de la panse d'une de mes fioles, dans l'attente qu'en ayant ainsi enlevé la partie à laquelle je supposais le plus de densité, le fluide électrique pourrait traverser le restant du verre [...] La bouteille ainsi égrisée se chargea tout aussi bien qu'elle aurait fait avant d'être grattée. Je suis donc aussi embarrassé, ou plus que jamais, à savoir où et comment est placée la quantité du fluide électrique sur le côté du verre qui est chargé positivement." (lettre au Dr Lining, 1755)

Si le mystère de l'imperméabilité du verre s'épaissit, la dernière phrase montre qu'en revanche Franklin ne remet pas en cause la localisation des fluides à l'intérieur du verre.

En 1756 Aepinus montre que l'on peut se passer du verre, et que ce sont les deux disques métalliques de son condensateur à air qui portent les charges.

Pourtant Franklin avait donné une preuve expérimentale de l'électrisation du verre. En vidant l'eau d'une bouteille chargée et en y reversant de l'eau non électrisée, il en tirait encore le "choc électrique". Peut-être restait-il une pellicule aqueuse à la surface du verre, mais la cause principale réside dans une polarisation résiduelle du verre de la bouteille. En effet, dans la théorie moderne des condensateurs, le verre se polarise lors de la charge, c'est-à-dire que des charges de signes opposés apparaissent de part et d'autre, sous l'influence du champ électrique créé par les armatures. La capacité du condensateur se trouve du même coup augmentée.

Il n'en reste pas moins que ce sont les charges accumulées sur les armatures conductrices qui constituent le courant de décharge d'un condensateur en usage "normal", contrairement à ce que pensait Franklin.


Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité



Mise en ligne : octobre 2006 (mise à jour : avril 2009)

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