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Parcours historique > L'électricité au XVIIIe siècle

L'énigme de la bouteille de Leyde

Par Christine Blondel et Bertrand Wolff

"Une expérience nouvelle, mais terrible, que je vous conseille de ne point tenter vous-même"

(Lettre de Musschenbroek à Réaumur, 20 janvier 1746)

Et pourtant nous l'avons tentée ! [Voir la vidéo La terrible secousse de l'électricité en bouteille. ]

Gray et Dufay avaient montré qu'on peut électriser de l'eau en y plongeant une tige métallique reliée à la machine électrique, à condition que le récipient contenant l'eau soit posé sur un plateau isolant.

Au milieu des années 1740, à l'aide d'une machine plus puissante que le simple tube de verre, Bose, physicien allemand, électrise ainsi l'eau contenue dans un récipient et, approchant la pointe d'une épée de la surface de l'eau, en tire des étincelles, pour l'émerveillement d'un public devenu friand d'expériences électriques. Le feu jaillissait de l'eau !

Les expériences de ce genre étaient répétées par de nombreux amateurs.
C'est ainsi qu'en octobre 1745 Von Kleist, un chanoine de Poméranie, tente d'électriser de l'alcool en tenant à la main la bouteille dans laquelle plonge la tige métallique. Lorsqu'il approche l'autre main de la tige, il ressent une secousse d'une extrême violence à travers tout le corps. Pendant quelques mois, aucun de ceux, plus savants, à qui il décrit son aventure ne réussit à reproduire l'expérience. Von Kleist avait omis de souligner un détail qui va se révéler crucial, à savoir qu'il tenait sa bouteille à la main. Ceci implique en effet que la bouteille était reliée à la terre par le corps de l'expérimentateur. Or Dufay avait bien insisté sur le fait que pour électriser une substance conductrice comme l'eau ou l'alcool, il faut que le récipient soit placé sur un support isolant !


NOLLET, Mémoires de l'Académie des sciences, 1746.

Le même scénario se reproduit en Hollande : Pieter Van Musschenbroek, professeur de physique à l'université de Leyde, cherche lui aussi à électriser l'eau pour en "tirer le feu". Ayant visité son laboratoire, Cunaeus, un riche juriste, tente à son tour l'expérience. Ignorant, comme Von Kleist, la règle de Dufay, il tient la bouteille à la main et subit la même commotion ! Il communique la "recette" à Musschenbroek, qui fait l'essai à son tour : la secousse est terrible, sans commune mesure avec celle que l'on ressentait habituellement avec une machine électrique.

"Tout à coup ma main droite fut frappée avec tant de violence que j'eus tout le corps ébranlé comme d'un coup de foudre (...) ; en un mot je croyais que c'en était fait de moi",

écrit Musschenbroek en janvier 1746 à l'Académie des sciences de Paris par l'intermédiaire de son correspondant Réaumur.

C'est ainsi que la bouteille devient populaire dans toute l'Europe sous le nom, que lui attribue l'abbé Nollet, de bouteille de Leyde.




On voit ici l'expérimentateur tenant la bouteille fatidique où plonge une tige métallique reliée à la machine électrique par la longue barre horizontale, tandis que son autre main s'approche dangereusement de cette barre !

La condensation de l'électricité

La bouteille de Leyde a donc accumulé, "condensé", de l'électricité. Elle est le prototype de ce qu'on appellera bientôt un condensateur. Très vite on la perfectionne : au lieu de l'eau, des feuilles de métal froissé conduisent l'électricité de la machine à une feuille d'étain collée sur la face interne du verre, tandis que la main est remplacéen par une autre feuille métallique collée sur la face externe.

On constate aussi, dès 1746, que l'on peut augmenter encore la puissance des décharges : 
- en augmentant la surface des feuilles métalliques en contact avec le verre (on construit d'énormes jarres)
- en diminuant l'épaisseur du verre,
- et enfin en groupant les bouteilles en "batteries".





Une batterie de 9 bouteilles de Leyde (Musée des Arts et Métiers)


On découvre aussi que la forme en bouteille importe peu : deux "armatures" métalliques planes séparées par un simple carreau de verre font aussi bien l'affaire. Enfin, en 1756, Aepinus montre que le verre n'est pas nécessaire, les plaques peuvent être séparées simplement par de l'air ! C'est le "condensateur d'Aepinus".

Deux formes classiques : verre et bouteille
(Lycée Zola, Rennes)

Condensateur d'Aepinus
avec armatures métalliques mobiles et plaque de verre amovible
(Musée des Arts et Métiers)

En associant des bouteilles de Leyde à la machine électrique, les étincelles produites deviennent beaucoup plus puissantes, plus lumineuses et plus sonores, bref plus spectaculaires, comme on le voit sur la vidéo L'étincelle, avec ou sans bouteille de Leyde .

La bouteille de Leyde reste longtemps une énigme

Lorsque s'imposent à la fin du XVIIIe siècle les notions d'action à distance entre charges électriques, la condensation de l'électricité dans l'étonnante bouteille s'explique simplement. [Voir la page Comprendre la condensation de l'électricité en termes modernes]

Mais accumuler autant de "fluide électrique" dans un si petit volume, et ce d'autant mieux que le verre est plus mince, devoir relier la feuille métallique extérieure à la terre : en 1746 tout cela entre en contradiction avec ce qu'on croit être les lois de l'électricité. Musschenbroek, professeur de physique de grande renommée, ne reconnaît-il pas lui-même ne rien comprendre et ne rien pouvoir expliquer ?

Dans les conceptions dominantes au milieu du siècle les effets de l'électricité ne sont pas compris comme des actions à distance, mais comme des manifestations d'effluves électriques. Or ces effets ne disparaissent pas quand on interpose une plaque de verre entre les deux corps électrisés. Cela conduisait à penser que le verre se laisse traverser par les effluves électriques. C'est pourquoi, lors des premières tentatives pour électriser l'eau, on choisit un vase de verre épais placé, conformément à la prescription de Dufay, sur un support isolant. Sans cette précaution, on s'attendait à ce que le fluide électrique s'écoule vers la terre au lieu de s'accumuler dans la bouteille. Mais c'est au contraire lorsque la paroi extérieure est mise à la terre que se produit le "coup foudroyant", et la commotion est d'autant plus violente que le verre est plus mince !

La bouteille de Leyde, une épreuve critique pour les théories de l'électricité

Toutes sortes d'hypothèses sont avancées pour tenter de résoudre l'énigme. Jean-Baptiste Le Roy, dans l'article COUP FOUDROYANT (1755) de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, se propose d'en rendre compte. [Pour aller plus loin, voir l'article de l' Encyclopédie]

Le Roy mentionne brièvement certaines explications très embarrassées : celles de Nollet, Jallabert ou Watson. Mais c'est à la sienne propre et à celle de Benjamin Franklin qu'il consacre le plus de place. S'il se déclare "d'accord avec lui [Franklin], quant aux effets en général", c'est pour s'en séparer sur le point crucial de la "perméabilité" du verre. [Pour en savoir plus voir la page Comment Le Roy explique-t-il le coup foudroyant ?]

Dans le système de Franklin, il y a en effet deux éléments révolutionnaires : un nouveau système électrique, en rupture avec les théories des effluves, et l'hypothèse de l'imperméabilité du verre à l'électricité. Pour lui la matière ordinaire est gorgée, à la manière d'une éponge, de matière électrique. Un corps est électrisé positivement lorsqu'il a reçu un excès de cette matière par rapport à sa quantité normale, tandis qu'il est électrisé négativement s'il en a perdu. Les particules de matière électrique se repoussent entre elles, et sont attirées par les particules de matière ordinaire.

Appliquant cette théorie à la fameuse bouteille, il affirme d'abord que la charge accumulée à l'intérieur est égale à celle perdue par sa surface externe, et présente plusieurs expériences à l'appui de cette thèse [Voir la page De l'électricité « en + ou en − » de Franklin aux lois de l'électricité].



Une des expériences de Franklin : la bouteille est posée sur de la cire isolante. Deux tiges conductrices, l'une plongeant dans l'eau dont est remplie la bouteille, l'autre reliée à son armature métallique externe, sont coiffées de deux petites boules de liège (e). Lorsque l'eau est électrisée, un petit morceau de liège suspendu à un fil de soie isolant "jouera continuellement [d'une boule à l'autre] jusqu'à ce que la bouteille ne soit plus électrisée : la raison en est qu'il tire et apporte le feu du haut au bas de la bouteille, jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli" (lettre à Collinson, septembre 1747). L'idée est qu'à chaque contact avec la boule de droite le morceau de liège emporte une partie de la matière électrique accumulée à l'intérieur de la bouteille, qu'il va céder à la boule de gauche.

Mais comment l'accumulation d'un coté peut-elle produire un déficit de l'autre ? Franklin suppose que le verre de la bouteille est absolument imperméable à la matière électrique, que les particules de cette dernière se repoussent mutuellement et que cette répulsion peut agir sur une distance aussi importante que l'épaisseur du verre. Ainsi l'action répulsive née de l'accumulation intérieure provoque la fuite de la matière électrique qui se trouvait, à l'état normal, dans la surface externe

"Ici nous avons une bouteille qui contient en même temps un plein de feu électrique, et un vide de ce même feu ; et quoi que le plein presse violemment pour se dilater, et que le vide affamé semble attirer avec une égale violence pour se remplir, l'équilibre ne peut cependant être rétabli entre eux, que par le moyen d'une communication extérieure." (Lettre à P. Collinson, 1er septembre 1747)

Cette interprétation comporte des difficultés, dont Franklin lui-même est conscient. Dans la même lettre, il écrit : 

"Ainsi ces deux états d'électricité, le plus et le moins, sont merveilleusement combinés et balancés dans cette bouteille miraculeuse ; leur disposition et la relation de l'un à l'autre surpassent mon intelligence."

Dans les années qui suivent il tente à plusieurs reprises de donner une explication plus détaillée, notamment en 1750 à l'aide d'hypothèses sur la structure microscopique du verre. [Voir la page En quoi la théorie de Franklin diffère-t-elle de l'interprétation moderne ?]. Il ajoute aussitôt "cette hypothèse peut bien néanmoins ne pas être vraie". En effet, dans une lettre au Dr. Lining (mars 1755) il décrit une expérience qui semble remettre en cause son explication microscopique de l'impénétrabilité, ce dont il se dit "plus que jamais embarrassé".

L'impénétrabilité du verre et les électricités "en plus" et "en moins" semblent pourtant la voie à suivre pour résoudre l'énigme. Cela suffit-il à expliquer le ralliement progressif des électriciens européens aux thèses franklinistes malgré la résistance, en France, des partisans de Nollet, acharnés à défendre la perméabilité du verre ? L'acceptation des conceptions de Franklin en Europe doit beaucoup au succès de ses célèbres expériences sur la foudre et le paratonnerre, dont le lien logique avec son "système électrique" est pourtant faible…

Pour en savoir plus

FRANKLIN, Benjamin. Oeuvres de M. Franklin,... traduites de l'anglois sur la quatrième édition par M. Barbeu Dubourg..., Paris, 1773. [Lire sur Gallica] Cette traduction de l'édition anglaise est préférable au recueil Expériences et observations sur l'électricité..., incomplet et parfois fautif, publié en 1752 par Dalibard (2ème édition, 1756), qui est cependant à l'origine de la diffusion des travaux de Franklin en France.

WATSON, William. Expériences et observations pour servir à l'explication de la nature et des propriétés de l'électricité. Traduites de l'anglais d'après la 2nde édition, Paris, 1748.


Benjamin Franklin. Cahiers de Science & Vie, août 1995, n° 28.

HEILBRON, John L., Electricity in the 17th and 18th Centuries: A Study in Early Modern Physics, New York: Dover, 1999, p. 324-343.

HOME, Roderick W., Introductory monograph in Aepinus's Essay on the Theory of Electricity and Magentism, Princeton, 1979, p. 76-89. Dans ces pages on trouve une analyse détaillée des tentatives d'explication de l'expérience de Leyde par Nollet et Franklin.



Une bibliographie de "sources secondaires" sur l'histoire de l'électricité


Mise en ligne : octobre 2006 (dernière révision : mai 2012)

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