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Histoire des sciences et didactique de la physique

Abdelmadjid Benseghir, Christine Blondel

Deux expériences historiques pour introduire le concept de courant électrique (2005-2007).

L'enseignement du concept de courant électrique pose des difficultés qui ont été étudiées par les didacticiens. Ainsi pour de nombreux élèves, le courant "s'use" le long du circuit. Pour d'autres, demeure la représentation de deux courants antagonistes, partant de chaque pôle de la pile et allant se rencontrer dans le récepteur (ampoule, moteur électrique, etc.).

Une équipe de recherche dirigée par Abdelmadjid Benseghir (Université Ferhat Abbas, Sétif, Algérie) mène, en collaboration avec Christine Blondel (chercheur CNRS), une recherche historico-didactique sur l'introduction de la notion de courant électrique dans l'enseignement secondaire.

Cette recherche, dont on pense qu'elle pourra permettre d'améliorer la compréhension du concept de courant électrique par les élèves et par les étudiants, s'oriente dans deux directions :

  • analyser les difficultés d'apprentissage du concept de courant en s'appuyant d'une part sur les acquis de la didactique et d'autre part sur des matériaux fournis par la recherche historique
  • mettre au point, tester et évaluer de nouvelles activités d'enseignement-apprentissage.

Nous présentons ici les points essentiels de ce travail en cours d'évaluation.

Recherche et mise en valeur didactique de matériaux historiques

Ce volet de la recherche vise à retrouver certains moments forts de la genèse d'un domaine particulier de la physique, l'électrocinétique. En s'appuyant sur les travaux d'histoire des sciences existants et en prolongeant la recherche historique, il s'agit de "mettre au jour" des matériaux originaux : formulations de questions, interprétations divergentes des phénomènes, descriptions d'expériences, instruments anciens, etc. Certains de ces matériaux historiques semblent plus particulièrement appropriés à une exploitation didactique destinée à enrichir les contenus d'enseignement et les activités d'apprentissage.

La reconstitution d'expériences historiques, constitue un aspect privilégié du travail déjà accompli et envisagé. Deux expériences, l'une d'Ampère en 1820, l'autre de Pouillet en 1837, ont été choisies pour éclairer la notion de courant électrique, en tant que grandeur physique conservant les mêmes caractéristiques tout au long du circuit. Ces deux expériences s'appuient sur l'effet magnétique du courant électrique. A la différence de l'effet chimique ou de l'effet thermique, c'est en effet le seul effet qui permette de visualiser la constance du sens et la constance de l'intensité en tout point du circuit, y compris dans la pile, sans qu'il soit nécessaire d'interrompre le circuit ou de le modifier.

Les deux expériences ont, en revanche, des statuts très différents. L'expérience d'Ampère est une expérience de recherche communiquée à l'Académie des sciences et publiée dans une revue savante. Celle de Pouillet, publiée dans un traité de physique qui eut un grand succès au XIXe siècle, a une finalité essentiellement pédagogique.

Expérience de "la boussole sur la pile" d'Ampère

Les travaux d'Ampère en électrodynamique débutent par une exploration des propriétés magnétiques du circuit électrique à l'aide d'une boussole. C'était la procédure opératoire utilisée par Oersted, en 1820, lors de sa découverte de l'effet magnétique produit par le fil conducteur reliant les deux pôles d'une pile (voir le dossier "L'expérience d'Oersted"). Au cours de ses premières investigations expérimentales, Ampère montre que, dans un circuit fermé, la pile a également un effet magnétique sur la boussole. Lorsqu'on ferme le circuit, l'aiguille d'une boussole placée au-dessus de la pile est déviée, tout comme celle placée au-dessus du fil conducteur :

"Il a pareillement constaté que la pile elle-même, dans toute sa longueur, agit comme le fil conducteur qui joint les pôles ; il propose aux physiciens de mettre habituellement une aiguille aimantée sur la pile afin de reconnaître par ses mouvements si le courant est bien établi et quelle est son énergie."

Analyse des mémoires lus par M. Ampère à l'Académie des sciences dans les séances des 18 et 25 septembre, des 9 et 30 octobre 1820, Annales générales des sciences physiques, t. 6, 1820, p. 240.

La pile utilisée par Ampère, une "pile à auges", était constituée d'une série de plaques métalliques verticales plongeant dans une cuve en bois rectangulaire remplie d'eau acidulée. Elle possédait donc une certaine longueur et il était possible de déplacer la boussole le long de la pile.

Ce résultat expérimental, qui montre un effet commun à la pile et au fil conducteur, allait à l'encontre de la manière la plus courante de concevoir les piles au début du XIXe siècle. En effet, on pensait généralement que la pile produisait une suite de décharges électriques au travers du fil conducteur.

L'identité de la déviation de l'aiguille placée au-dessus du fil conducteur, sur toute sa longueur, et au-dessus de la pile, met en évidence pour Ampère ce qu'il nomme le "courant électrique", circulant en boucle dans le circuit fermé. Cette nouvelle entité "courant électrique", devient l'agent causal des divers phénomènes observés : échauffement, décomposition de l'eau ou action magnétique sur la boussole.

Le déplacement de la boussole tout au long du circuit constitue une référence expérimentale fondamentale pour la construction du concept de courant électrique. C'est à la suite de cette expérience qu'Ampère affirme : "le courant y existe partout [dans le circuit] avec la même intensité".

Cette expérience ne figure pas dans les manuels scolaires du XIXe ou du XXe siècle. Pourtant sa portée didactique s'impose à l'évidence dans la mesure où l'idée de circulation complète du courant électrique constitue un prérequis pour la modélisation actuelle du circuit électrique. Il n'existe aucun autre moyen pédagogique simple de montrer, à un instant donné, le passage du courant à l'intérieur de la pile. Cette circulation du courant dans la pile constitue également un préalable à la compréhension de la notion de résistance interne de la pile.

Reprise moderne de l'expérience de "la boussole sur la pile" d'Ampère


Figure 1a
Circuit ouvert, l'aiguille de la boussole posée sur la pile se dirige vers le Nord


Figure 1b
Circuit fermé, la lampe brille, l'aiguille dévie


Figure 1c
Déviation de l'aiguille sur la pile longitudinale

Cette pile, conçue pour avoir une certaine "longueur", est constituée de plusieurs piles élémentaires, extraites de deux piles rectangulaires 9V, et placées en série.

Expérience de "la boussole immobile" de Pouillet

Pour illustrer le fait que, dans un circuit fermé, l'intensité du courant est la même en tout point du circuit, Claude-Servais Pouillet, professeur de physique à la Sorbonne, imagine une quinzaine d'années plus tard une nouvelle expérience :

"L'intensité du courant est la même dans tous les points du circuit qu'il traverse. Pour le démontrer […], On peut […] diriger le circuit dans le méridien magnétique et le ramener sur lui-même, en sorte qu'il y ait en chaque point deux courants contraires ; alors, en présentant une aiguille ordinaire de déclinaison en un point quelconque de cette double ligne, il est facile de reconnaître qu'elle n'est jamais déviée, et par conséquent que les courants contraires ont bien partout des intensités égales."

Claude-Servais Pouillet, Elémens de physique expérimentale et de météorologie, t. 1, 3e ed., 1837, p. 582-583.

La reprise moderne de l'expérience de Pouillet permet d'éclairer les difficultés qu'éprouvent les élèves actuels, dans les différents cycles d'enseignement, à admettre la continuité du courant tout au long du circuit. Complétant l'expérience d'Ampère, elle enrichit l'arsenal des procédés expérimentaux à finalité pédagogique dans le domaine de l'électrocinétique élémentaire.


Figure 2
Reprise moderne de l'expérience de "la boussole immobile" de Pouillet.

En circuit fermé, placée au-dessus de deux fils parcourus par des courants opposés, l'aiguille magnétique ne dévie pas.

Mise au point de séquences d'enseignement

Le second volet des activités de recherche consiste à élaborer et tester des séquences d'enseignement construites à partir des apports de la recherche didactique et des matériaux provenant de l'histoire des sciences.

Les premières séquences finalisées concernent la modélisation qualitative du circuit électrique : idée de circulation complète du courant électrique, "non usure" du courant électrique, distinction entre flux de charges et flux d'énergie, résistance interne d'un générateur, etc.

Ces séquences font actuellement l'objet d'expérimentation avec des élèves de collège, de lycée et d'étudiants en début d'études universitaires.

Les résultats de l'expérimentation seront accessibles sur le site.


Figure 3
Elèves de lycée participant à l'une des séquences d'enseignement

Photos : Abdelmadjid Benseghir - Université Ferhat Abbas, Sétif, Algérie.