@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Manuscrits d'Ampère > Une sélection commentée d'une soixantaine de documents > Philosophie et métaphysique


Philosophie et métaphysique

La réflexion philosophique est pour Ampère une préoccupation constante. Dès sa jeunesse, il manifeste le souci de développer une vision intégrée de l'ensemble des connaissances humaines et des relations entre les différentes sciences. Une autre question qui le hante est celle du degré de certitude qu'on peut attribuer à ces connaissances. Avec le philosophe Maine de Biran, il étudie les mécanismes de la pensée et de la construction du savoir.

Au terme de plus de trente ans de réflexions, Ampère aboutit à l'idée d'une relation entre les méthodes que l'esprit humain met en oeuvre (analyse, synthèse, observation, calcul, etc...) et la classification des sciences qu'il a peu à peu dégagée. Il conclut que ce parallèle entre le fonctionnement de l'esprit humain et sa classification en fait une classification "naturelle", et donc objective.

"Plan d'un cours sur la théorie des probabilités appliquée aux diverses branches des connaissances humaines"
"Projet d'un cours élémentaire sur la théorie mathématique et métaphysique des probabilités"
"Tableau de l'entendement"
"Programme d'un cours de logique"
La classification des connaissances humaines : principes, ébauche du tableau, épreuve d'imprimerie, tableau final


"Plan d'un cours sur la théorie des probabilités appliquée aux diverses branches des connaissances humaines"

Ce document montre combien l'élaboration d'une classification des sciences est un projet ancien pour Ampère. La couleur bleutée du papier (la numérisation ne la rend que faiblement) est en effet caractéristique du papier employé par le savant à la fin du XVIIIe siècle et au tout début du XIXe siècle.

L'époque est à la classification : des espèces animales (Cuvier) et végétales (Linné, Jussieu), des éléments chimiques (Lavoisier, Ampère lui-même), ou plus largement des savoirs.

Rappelons que l'Encyclopédie, essentielle dans la formation intellectuelle d'Ampère, s'ouvre par un long discours préliminaire de d'Alembert sur les liaisons entre les sciences. Le projet encyclopédique en lui-même appelait un examen des différentes branches du savoir et de la manière dont elles s'organisent les unes par rapport aux autres.

Académie des sciences (Institut de France) - carton VI, chemise 112
photo : CNRS, CAK-CRHST




"Projet d'un cours élémentaire sur la théorie mathématique et métaphysique des probabilités"

Postérieur au précédent, ce document se rapporte au cours qu'Ampère donna à l'Athénée de Paris, à l'hiver 1806-1807.

Venu à Paris après la mort de sa première femme, Ampère est en plein désarroi existentiel quand il arrive dans cette ville inconnue. C'est alors qu'il se prend de passion pour la métaphysique. Celle-ci consiste essentiellement, à l'époque, en une réflexion sur le raisonnement et la notion de certitude.

Ampère (dont le premier mémoire mathématique portait sur les jeux de hasard) élabore un projet de cours sur la théorie des probabilités, qui "se compose d'une partie purement mathématique lorsque l'on a des données assez précises pour qu'on puisse parvenir à l'évaluation numérique du nombre des chances, et d'une partie métaphysique ou logique qui trouve son application dans le cas contraire". Cette seconde partie expose les "facultés auxquelles l'homme doit toutes ses connaissances" et "ces notions d'après [lesquelles] nous devons juger de la probabilité, ou du plus ou moins grand degré de certitude de nos connaissances". Ce document ébauche déjà l'Essai sur la philosophie des sciences publié à la fin de sa vie.

C'est à l'Athénée qu'il dispense ce cours (cf. lettre L559 à Maine de Biran). Mais le contenu en est complexe, peu adapté à son public, et Ampère traverse au même moment de graves déboires personnels avec l'échec de son second mariage. Le cours n'est donc pas une grande réussite.

Académie des sciences (Institut de France) - carton VI, chemise 112
photo : CNRS, CAK-CRHST




"Tableau de l'entendement"

L'entendement, c'est-à-dire la connaissance humaine, est au XVIIIe siècle la question qui occupe les métaphysiciens : comment l'homme parvient-il à la connaissance, et ce qu'il sait sur le monde est-il certain ? John Locke (1632-1704) avait développé la théorie de l'empirisme, selon laquelle toute connaissance vient de l'expérience, s'opposant à l'innéisme de René Descartes (1596-1650). Pour ce dernier, Dieu a comme imprimé en l'homme des semences de vérité, que l'expérience ne vient que confirmer. D'Alembert suit Locke lorsqu'il écrit, dans le discours préliminaire de l'Encyclopédie, que "c'est à nos sensations que nous devons toutes nos connaissances". Etienne Bonnot de Condillac (1715-1780) poursuit dans la même voie dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines et son Traité des systèmes, avant de s'orienter davantage vers l'étude des sensations, qui sont selon lui la véritable source de toute connaissance : c'est le sensualisme.

La pensée de Condillac inspire au début du XIXe siècle un puissant courant de philosophes, animé par Antoine Destutt de Tracy (1754-1836) et Pierre Cabanis (1757-1808). Etudiant le processus par lequel les idées se forment dans l'esprit humain, ils sont couramment appelés les Idéologues et constituent un petit groupe informel : la société d'Auteuil. À son arrivée à Paris, c'est d'abord avec eux que se lie Ampère.

Il explore ensuite la pensée d'Emmanuel Kant (1724-1804), qui distingue les phénomènes (ce que l'on peut percevoir) et les noumènes (les choses en-soi, la connaissance absolue des choses). Pour lui, la connaissance n'est fondée que sur l'immanence ; la transcendance est inaccessible à l'homme. Défendant ainsi un agnosticisme métaphysique, il reste cependant déiste car il faut, dit-il, une garantie à la conduite morale des hommes.

Mais Ampère, tout "homme des Lumières" qu'il est, est également profondément chrétien. Même si sa foi est alors vacillante, il ne peut admettre totalement l'idée que l'individu ne puisse que recevoir passivement des sensations comme l'affirment les sensualistes, et que toute certitude objective soit impossible à atteindre comme Kant conduit à le penser. Sur ce point, il rejoint Pierre Maine de Biran (1766-1824), avec qui il entretient une correspondance durable (de 1805 à la mort de Maine de Biran) et extrêmement dense. Les deux hommes abandonnent assez rapidement le sensualisme au profit d'un spiritualisme, élaborant la notion d'un moi actif et pensant librement.

Cette réflexion philosophique passionne Ampère, pour qui la métaphysique est la seule science "importante". Ce petit tableau, daté par lui (ce qui est rarissime), n'est qu'un des innombrables témoignages de cette passion que conserve aujourd'hui le fonds Ampère.

Académie des sciences (Institut de France) - carton XIV, chemise 256
photo : CNRS, CAK-CRHST




"Programme d'un cours de logique"

En 1819, Ampère se propose pour assurer un cours de logique à l'Ecole normale (cf. lettre de Royer-Collard à Ampère, L1065). En 1819-1820, il dispene également un cours de philosophie à la Faculté des lettres de Paris, en Sorbonne. Mais à partir de septembre 1820, ses travaux sur la découverte d'Oersted vont l'éloigner pour quelques années de la philosophie.

Académie des sciences (Institut de France) - carton XVII, chemise 269
photo : CNRS, CAK-CRHST




La classification des connaissances humaines

Un temps éclipsée par l'électrodynamique, la réflexion philosophique revient au premier plan des préoccupations d'Ampère à la fin des années 1820. Il s'attelle alors à la classification de toutes les sciences, qui l'occupera jusqu'à sa mort et donnera lieu à la publication de l'Essai sur la philosophie des sciences, en 1834 pour le premier tome et 1843 pour le second (publication posthume assurée par son fils).

Quelques documents du fonds, comme ce tableau, laissent penser qu'Ampère a, un temps, imaginé un système ternaire. Mais la classification finalement élaborée par Ampère repose sur un système de subdivisions binaires successives, allant jusqu'à 128 sciences "du troisième ordre". La première dichotomie est opérée entre les sciences qui étudient le monde, dites sciences cosmologiques (du grec cosmos : le monde ordonné), et les sciences qui étudient l'intelligence humaine, dites sciences noologiques (du grec noos : la pensée). Chacun de ces deux règnes est divisé en deux sous-règnes, eux-mêmes en deux embranchements, et ainsi de suite.

Sur le brouillon suivant, Ampère a exposé les grands principes de cette classification.

Académie des sciences (Institut de France) - carton XIV, chemise 256
photo : CNRS, CAK-CRHST


Ampère élabore petit à petit, à coup de retouches incessantes, son tableau général.

Il invente de nombreux néologismes pour désigner les sciences qui correspondent aux différents points de vue. On peut en trouver quelques uns dans ce document. Il assigne également de nouveaux sens à des mots déjà existants.

Certains mots inventés par lui sont passés dans la langue actuelle : par exemple cybernétique, cinématique ou ethnologie.

Académie des sciences (Institut de France) - carton XV, chemise 257
photo : CNRS, CAK-CRHST


Pour classer une science, Ampère considère le point de vue sous lequel son objet (d'étude) est étudié. Il définit quatre "points de vue", du plus simple (examiner ce qui est évident) au plus complexe (déterminer les effets des phénomènes). Ainsi les sciences sont-elles classées de façon hiérarchique : chacune a besoin des connaissances de celle(s) qui la précède(nt).

Dans les deux pages d'épreuve d'imprimerie ci-dessous, Ampère applique ces points de vue à la technologie, qui est dans son esprit la science de la transformation des corps "pour les approprier à nos besoins ou à nos jouissances".

Académie des sciences (Institut de France) - carton XV, chemise 260
photo : CNRS, CAK-CRHST


Dès 1830, il consacre une partie de son cours au Collège de France à exposer ses réflexions pour les discuter et les affiner.

En 1832, l'épidémie de choléra prolonge sa tournée d'inspection par un séjour forcé à Clermont-Ferrand. Il se lie avec Benoît Gonod (1792-1849), professeur et bibliothécaire, et tous deux multiplient les échanges de vues (certaines de leurs lettres sont éditées dans la Correspondance). C'est un éditeur clermontois, Thibaut-Landriot, qui publiera son ouvrage.

La rédaction est un vaste chantier. Durant deux ans, Ampère multiplie les corrections, les reprises et les ajustements. Il découvre de nouvelles relations, il modifie la classification. Enfin, il établit un parallèle entre les quatre "points de vue" fondamentaux et quatre étapes du raisonnement humain (de la simple observation à l'explication des causes et des effets) ; pour lui, cette coïncidence ne peut être le fait du hasard.

Quand l'Essai sur la philosophie des sciences est enfin publié, en 1834, il pense avoir embrassé l'ensemble des domaines de la connaissance, et dégagé une relation étroite entre la façon dont les objets susceptibles d'étude s'agencent les uns par rapport aux autres et le fonctionnement de l'esprit humain : en d'autres termes, entre la nature et l'entendement.

Académie des sciences (Institut de France) - carton XV, chemise 259
photo : CNRS, CAK-CRHST





Pour aller plus loin sur ce sujet, voir :
Dolorès Martin..
Xavier Dufour. "Ampère philosophe", in : Bulletin de la Société des amis de la Bibliothèque de l'Ecole polytechnique, 2004, vol. 37. http://www.sabix.org/bulletin/b37/philo.html





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