@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Manuscrits d'Ampère > Une sélection commentée d'une soixantaine de documents > Électrodynamique


Électrodynamique

Ce n'est pas tout-à-fait par hasard que le professeur de mathématiques de l'École polytechnique, André-Marie Ampère, s'est intensément occupé d'électricité entre 1820 et 1826. En 1820 le Danois Hans-Christian Œrsted (1777-1857) montre une relation inattendue entre l'électricité et le magnétisme : un fil conducteur relié à une pile fait dévier l'aiguille d'une boussole. Or vingt ans plus tôt le jeune Ampère avait lui-même tenté, mais en vain, d'unifier l'électricité et le magnétisme.

En 1820, il s'attaque à la recherche des lois physiques de cette nouvelle interaction en s'appuyant sur sa maîtrise des mathématiques et sur de nouvelles expériences qualitatives inventées à la suite de celle d'Œrsted. En quelques semaines il jette les bases de l'électrodynamique qui intègre toutes les interactions entre un courant et un aimant ou entre deux courants. C'est dans le domaine de l'électricité que le rêve d'Ampère d'atteindre les principes fondamentaux régissant les phénomènes de la nature, s'est le mieux incarné.

Ses manuscrits témoignent de la fièvre qui le saisit à l'annonce par Arago devant l'Académie, de la découverte d'Œrsted. Projets d'expériences et d'instruments nouveaux, intuitions et interrogations, lettres de savants étrangers tels Davy ou Faraday, côtoient des brouillons de mémoires hâtivement constitués de "copiés-collés", parfois repris par un copiste.



Un espoir de jeunesse : unifier l'électricité et le magnétisme (1802)
Le premier mémoire sur l'électrodynamique (1820)
Des dessins énigmatiques
Le "bonhomme d'Ampère"
Des intuitions simples pour des appareils complexes
Des raisonnements qualitatifs
L'établissement de la "formule fondamentale"
Quatre définitions différentes de l'intensité du courant électrique
Calcul de l'action d'un circuit fermé sur un élément de circuit
Représentations géométriques
Une propagation dans l'éther des actions électrodynamiques ?


Un espoir de jeunesse : unifier l'électricité et le magnétisme (1802)

Dès 1802 Ampère travaille sur un ouvrage de physique où il présente une nouvelle théorie de l'électricité et du magnétisme. Son objectif est d'expliquer ces phénomènes par un "principe unique", déduit de la mécanique, et non par des fluides distincts. Avec cet ouvrage, le jeune professeur rêve de gagner le prix de 60 000 F proposé par Bonaparte pour récompenser une grande découverte en électricité, aussi importante que celle de la pile de Volta (voir la lettre d'Ampère à sa femme L156). Mais, alors que le manuscrit est chez l'imprimeur, Ampère abandonne la physique pour les mathématiques (dans l'espoir d'obtenir un poste de professeur de mathématiques au Lycée de Lyon) ; le livre n'a jamais été publié.

Ces deux pages proviennent probablement de l'introduction de cet ouvrage inachevé. On voit qu'Ampère, depuis sa modeste École centrale de Bourg-en-Bresse, s'écarte radicalement de la théorie dominante de Coulomb, qui fait intervenir des fluides électriques et des fluides magnétiques distincts. Ampère va plus loin en proposant d'expliquer non seulement l'électricité et le magnétisme, mais tous les phénomènes de la physique (comme la chaleur et la lumière), par une attraction unique, au lieu de recourir à un fluide spécial pour la chaleur (le calorique) ou à des particules pour la lumière [voir les pages sur la physique et la chimie]. En effet, justifie-t-il, si cette attraction "est le moyen dont Dieu s'est servi pour compléter l'existence de la matière en en réunissant les molécules, elle doit être unique, universelle, constante".

 

Académie des sciences (Institut de France) - carton X, chemise 203
photo : CNRS, CAK-CRHST




Le premier mémoire sur l'électrodynamique (1820)

Un dossier thématique dans le Parcours pédagogique :

En 1820, la découverte d'Œrsted relance le rêve de jeunesse d'Ampère, d'unifier l'électricité et le magnétisme. On peut le voir dès le début de la première version du manuscrit de son premier mémoire sur l'électrodynamique de septembre 1820.

Académie des sciences (Institut de France) - carton VIII, chemise 156
photo : CNRS, CAK-CRHST




Des dessins énigmatiques

Les manuscrits d'Ampère témoignent de l'importance des raisonnements qualitatifs et des représentations visuelles dans son activité scientifique.

Supposant l'existence de courants électriques à l'intérieur des aimants, il cherche à préciser comment ces courants circulent dans les aimants.

La page ci-contre semble explorer deux hypothèses : des courants circulaires ou des courants rectangulaires qui suivraient la surface d'un barreau aimanté parallélépipédique.

Cette page est le recto du "bonhomme" d'Ampère.

Académie des sciences (Institut de France) - carton VIII, chemise 156
photo : CNRS, CAK-CRHST




Le "bonhomme d'Ampère"

Oersted ayant montré qu'un courant électrique déviait une aiguille aimantée, Ampère énonce la règle qui définit le sens de cette déviation :

"Si l'on se place par la pensée dans la direction du courant, de manière qu'il soit dirigé des pieds à la tête de l'observateur, et que celui-ci ait la face tournée vers l'aiguille, c'est constamment à sa gauche que l'action du courant écartera de sa position ordinaire [le pôle nord de l'aiguille]".

C'est cette règle qu'illustre ce schéma, où il applique la règle générale au cas particulier du magnétisme terrestre, qu'il explique également par des courants électriques à l'intérieur de la Terre.

Un homme couché sur le dos est traversé par un courant terrestre (en rouge) des pieds à la tête. Il regarde une boussole placée au-dessus de lui. D'après la règle de l'observateur, l'aiguille prend la direction indiquée par son bras gauche (en jaune). Les courants imaginés par Ampère à l'intérieur du globe terrestre circulent donc d'Est en Ouest.

Académie des sciences (Institut de France) - carton VIII, chemise 156
photo : CNRS, CAK-CRHST




Des intuitions simples pour des appareils complexes

Pour mener à bien ses expériences, Ampère imagine de nouveaux appareils. Dans une note présente dans le fonds, il explique lui-même combien fut formateur, à cet égard, son passage à Bourg où il dut parfois composer avec des moyens rudimentaires pour réaliser certaines expériences ; quoiqu'il ne fût guère bricoleur - son bras blessé et sa mauvaise vue le rendaient assez maladroit - il en tira de précieuses leçons sur la construction des appareils.

On voit ci-dessous quatre étapes : premiers schémas [1][2], mise au propre par un secrétaire [3] et gravure définitive [4], de l'élaboration de trois d'entre eux :

... l'aiguille "astatique" montre qu'une boussole qui n'est plus soumise au magnétisme terrestre s'oriente perpendiculairement au courant :



... une aiguille aimantée suspendue à un fil est attirée par un courant :



... et deux circuits en spirales s'attirent ou se repoussent suivant le sens du courant ; ils se comportent comme des pôles d'aimant :

Académie des sciences (Institut de France) - carton XI, chemise 206bis ; carton IX, chemise 180 ; et Mémoire sur les effets des courants électriques d'Ampère
photo : CNRS, CAK-CRHST




Des raisonnements qualitatifs

Cette page, extrêmement intéressante, montre la puissance des raisonnements qualitatifs en physique.

L'objectif est de déterminer la force s'exerçant entre deux éléments de courants infiniment petits.

Pour cela Ampère utilise la conclusion de ce qu'il appelle ici "2me expérience" : un conducteur légèrement sinueux a la même action qu'un conducteur rectiligne. On peut donc remplacer un élément de courant par ses projections sur trois axes perpendiculaires.

Il s'agit ensuite d'étudier deux à deux les interactions entre les trois composantes (orthogonale, parallèle ou colinéaire) de chaque élément. Une démonstration qualitative lui fait conclure que la force est nulle entre deux éléments orthogonaux (première partie du manuscrit ci-contre).

Il ne reste plus à considérer que les interactions entre deux composantes parallèles et entre deux composantes colinéaires.

Académie des sciences (Institut de France) - carton X, chemise 205ter
photo : CNRS, CAK-CRHST




L'établissement de la "formule fondamentale"

Cette page prolonge le raisonnement précédent.

On y voit (en haut de la page, cadres rouges) les deux interactions non nulles : celle (à gauche) entre deux éléments parallèles et celle (à droite) entre deux éléments colinéaires. Les éléments sont notés ds et ds' et la distance qui les sépare est notée r.

On suppose que la force entre éléments colinéaires est égale à k fois la force entre éléments parallèles, le facteur k restant à déterminer.

L'interaction entre deux éléments parallèles de longueurs ds et ds', parcourus par des courants d'intensités i et i', placés à la distance r, est considérée comme proportionnelle à leurs intensités, à la longueur des éléments et inversement proportionnelle au carré de la distance entre les éléments.

L'addition de ces deux forces fournit la formule fondamentale recherchée (au centre de la page).

Académie des sciences (Institut de France) - carton IX, chemise 173
photo : CNRS, CAK-CRHST




Quatre définitions différentes de l'intensité du courant électrique

Dans son premier mémoire, Ampère définit le courant par ses effets, très différents des "effets de tension" (électrostatique) : effet magnétique et effet chimique (décomposition de l'eau).

On trouve dans ses écrits trois autres définitions, dont deux sont restées dans ses manuscrits. Ceci montre qu'une grandeur physique peut se définir de plusieurs manières.

"L'intensité du courant dans un circuit fermé et partout de même conductibilité, laquelle dépend du diamètre, est comme la force électro-motrice divisée par la longueur du circuit."

Cette définition comporte les éléments principaux de la loi d'Ohm.

Les intensités

"ne dépendent que de ce qu'il passe d'électricité en [des] temps égaux, la quantité compensant la vitesse. C'est :: [proportionnel à] la quantité de mouvement pourvu que le passage soit complètement libre, c. à dire le conducteur suffisamment gros."

Cette définition correspond à la définition mathématique actuelle de l'intensité à partir de la charge électrique : I = Q/T.

Enfin dans son traité Ampère définit le courant électrique par la mesure de la force entre deux courants parallèles :

"Pour exprimer en nombre l'intensité d'un courant quelconque, on concevra qu'on ait choisi un autre courant arbitraire pour terme de comparaison, qu'on ait pris deux éléments égaux dans chacun de ces courants, qu'on ait cherché le rapport des actions qu'ils exercent à la même distance sur un même élément de tout autre courant, dans la situation où il leur est parallèle et où sa direction est perpendiculaire aux droites qui joignent son milieu avec les milieux de deux autres éléments. Ce rapport sera la mesure d'une des intensités, en prenant l'autre pour unité." (Théorie ..., p. 199)

C'est le principe de la définition actuelle de l'unité d'intensité électrique, à laquelle fut donné le nom d'Ampère en 1881.

Académie des sciences (Institut de France) - carton IX, chemise 173
photo : CNRS, CAK-CRHST




Calcul de l'action d'un circuit fermé sur un élément de circuit

Les manuscrits comportent de nombreuses pages de calculs effectués par Ampère, ainsi que par ses collègues Félix Savary (1797-1841) et Jean-Firmin Demonferrand (1795-1844), pour déterminer la force s'exerçant entre deux circuits.

Ici, il s'agit de calculer la force exercée par un circuit fermé sur un élément de courant ds'.

Académie des sciences (Institut de France) - carton X, chemise 205bis
photo : CNRS, CAK-CRHST




Représentations géométriques

Outre les calculs d'intégrations, Ampère recourt régulièrement à la géométrie dans l'espace.

Il cherche ici à faire intervenir l'angle solide sous lequel on voit un petit circuit depuis l'élément de circuit qui interagit avec le circuit.

Mais cette voie ne semble pas avoir abouti.

Académie des sciences (Institut de France) - carton X, chemise 205
photo : CNRS, CAK-CRHST




Une propagation dans l'éther des actions électrodynamiques ?

La force d'Ampère est une attraction ou une répulsion instantanée à distance, comme la force de gravitation. Mais dans ses manuscrits, comme dans sa correspondance, Ampère laisse clairement voir sa conviction que les phénomènes électrodynamiques doivent, en dernier ressort, s'expliquer par une propagation de proche en proche dans l'espace. Le support de cette propagation serait l'éther, ce fluide neutre et sans masse qui remplit l'espace, et dont son ami Fresnel a fait le support des vibrations lumineuses.

"on ne peut se dispenser d'admettre que les mouvements des deux électricités dans ces fils se propagent tout autour dans le fluide neutre qui est formé de leur réunion et dont tout l'espace est nécessairement rempli lorsqu'on explique, comme on le fait ordinairement, les phénomènes de l'électricité ordinaire. En sorte que quand les mouvements produits ainsi dans le fluide environnant par deux petites portions de courants électriques se favorisent mutuellement, il en résulte entre elles une tendance à se rapprocher, ce qui est en effet le cas où on les voit s'attirer, et que quand les mêmes mouvements se contrarient, les deux petites portions de courants tendent à s'éloigner l'une de l'autre" ...

"À l'époque où je m'occupais de ces idées, M. Fresnel me communiquait ses belles recherches sur la lumière dont il a déduit les lois qui déterminent toutes les circonstances des plus singuliers phénomènes de l'optique. J'étais frappé de l'accord des considérations sur lesquelles il s'appuyait et de celles qui s'étaient présentées à mon esprit relativement à la cause des attractions et répulsions électrodynamiques" ...

Mais il juge la dynamique des fluides insuffisamment avancée pour pouvoir développer cette hypothèse.

"La dynamique des fluides, en tenant compte de toutes les circonstances physiques qui en accompagnent les mouvements, est bien loin encore du degré de perfection où il faudrait qu'elle soit pour que l'on pût calculer la valeur de la force qui doit résulter, entre deux éléments de courants électriques, des mouvements que ces courants impriment à l'éther. Si l'on y parvient un jour, on ne peut guère douter qu'on n'en déduise précisément ma formule" ...

Or, c'est précisément par la dynamique des fluides que James Clerk Maxwell (1831-1879) abordera les phénomènes électromagnétiques une quarantaine d'années plus tard.

Académie des sciences (Institut de France) - carton IX, chemise 170
photo : CNRS, CAK-CRHST





Pour aller plus loin sur ce sujet, voir dans le Parcours pédagogique :
  L'expérience d'Oersted
  Avec Ampère, le courant passe





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