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Laboratoire historique

La balance électrique de Coulomb pouvait-elle constituer sa propre cage de Faraday ?

Par Bertrand Wolff et Christine Blondel

Quelques questions posées par la réplication d'Oldenburg

Cliché W. Golletz, Carl-von-Ossietzky Universitaet Oldenburg

La balance de Coulomb construite à l'université d'Oldenburg, dans une cage de Faraday.

En 1994, à l'université d'Oldenburg, le jeune physicien Peter Heering reproduit la balance électrique de Coulomb et tente de retrouver ses résultats expérimentaux. Sur ces résultats Coulomb fondait, en 1785, sa loi des forces électriques en 1/d2. Mais Peter Heering ne parvient à obtenir des valeurs expérimentales compatibles avec cette loi qu'à condition d'entourer sa balance d'une (anachronique) cage de Faraday.

[Voir, dans le Parcours pédagogique, la page Une expérience contestée, un accueil contrasté]

Heering en tire la conclusion suivante : "il me semble douteux que Coulomb ait obtenu les valeurs données dans son mémoire seulement par la mesure". Au cours de ses propres expériences Heering ne peut éliminer, sauf à utiliser la cage de Faraday, des perturbations électriques parasites qui causent des dérives incontrôlables de l'aiguille mobile de sa balance. Ces perturbations semblent en particulier dues à son propre corps.

Mais jusqu'où faut-il aller pour que l'on puisse prétendre à une reproduction à l'identique de l'expérience ? Pour les perturbations électrostatiques, tout compte : les matériaux de l'expérience, la table, le sol, les vêtements, les semelles de chaussures,...

Ainsi dans le laboratoire d'Oldenburg le sol, le revêtement des tables et probablement les semelles de chaussures, sont en matières synthétiques, donc isolants. Au XVIIIe siècle les planchers et les tables étaient en bois, et les semelles étaient en cuir. Ces matériaux étant relativement conducteurs pour l'électricité statique, l'expérimentateur était donc relié au sol, ce qui favorise l'élimination des éventuelles charges parasites. En revanche, au XXe siècle l'expérimentateur a des chances de se trouver isolé électriquement, et donc de conserver sur lui d'éventuelles charges parasites. Même si nous ne pouvons comparer le degré d'électrisation des expérimentateurs Heering et Coulomb en action, ceci incline à penser que les conditions expérimentales de Coulomb étaient meilleures que celles de Heering. Une partie de ces conditions semblent d'ailleurs avoir été remplies lors de la reconstitution, en 2006, d'Andre Martinez, qui n'a pas rencontré les perturbations observées par Heering.

On peut s'intéresser ensuite à l'enceinte de verre de la balance. Si Coulomb prêtait une attention méticuleuse à ce que l'aiguille horizontale soit le plus parfaitement isolante possible en la recouvrant de gomme-laque, et à ce que l'air intérieur soit bien sec, il ne demandait à l'enceinte externe qu'une bonne protection des courants d'air. Nous nous sommes demandé si la balance utilisée par Coulomb ne pouvait pas constituer également, dans une certaine mesure, une cage de Faraday, c'est-à-dire protéger son intérieur des effets électriques extérieurs.

On sait en effet que le verre est un matériau hygroscopique. Il absorbe en surface l'humidité de l'air et acquiert ainsi une conductivité superficielle. Cette conductivité superficielle, qui dépend beaucoup de la composition du verre et de l'état de propreté de sa surface, peut-elle faire de l'enceinte de verre de la balance de Coulomb une cage de Faraday ?

Expériences

Ces expériences ont été réalisées en octobre 2008 avec une balance du XIXe siècle, appartenant au cabinet de physique d'un lycée napoléonien (lycée Emile-Zola, Rennes). Le fil de torsion est moins fin, et donc la sensibilité plus faible, que dans l'appareil original construit par Coulomb.

Pour tester l'influence d'un corps électrisé extérieur à la balance sur un corps situé à l'intérieur de la balance, nous avons utilisé un bâton de verre frotté et observé son influence éventuelle sur la boule mobile de la balance. Au départ la boule n'est pas chargée, le bâton de verre frotté est approché de l'enceinte de verre.

1ère série d'expériences

[Voir la vidéo Balance de Coulomb : un effet cage de Faraday ? ]

1. La balance, dans laquelle se trouvait un sachet dessicateur, est sortie de son armoire. A l'approche du bâton de verre frotté, même à bonne distance, l'aiguille mobile est très franchement déviée.
2. On pulvérise de l'eau du robinet sur toute la surface externe de l'enceinte. Lorsqu'on approche le bâton de verre, il n'y a plus d'influence décelable. L'enceinte humidifiée fonctionne donc comme une cage de Faraday.
3. Pour reprendre l'expérience, on essuie l'enceinte. A l'approche du bâton de verre, on constate avec étonnement qu'il n'y a toujours pas d'influence. Le séchage par essuyage serait-il insuffisant ?
4. Un séchage au sèche-cheveux permet de déceler à nouveau une légère influence. Mais il faut un un séchage prolongé et minutieux, y compris de l'intérieur de la balance, pour retrouver une influence notable.

Balance de Coulomb (Lycée Emile-Zola, Rennes)

5.On procède à une nouvelle humidification avec un mouchoir légèrement humide. On constate avec un nouvel étonnement que l'influence ne disparaît pas. Le verre était-il encore assez chaud pour que l'humidité s'évapore ?
6. Afin de mieux préciser les conditions d'apparition de l'effet "cage de Faraday" initial (n°2) — était-il dû à un état de surface du verre (poussières, saleté...) qui aurait été modifié par les humidifications et essuyages successifs ? — , on pulvérise à nouveau de l'eau sur l'enceinte, puis on l'essuie. Il y a encore une influence, quoique plus faible. Et cette influence subsiste encore après une seconde pulvérisation suivie d'un essuyage sommaire.

2ème série d'expériences, une semaine plus tard

On reprend les mêmes expériences pour explorer plus à fond les rôles respectifs du séchage, des poussières, de la couche d'eau...

1. La balance est ressortie de l'armoire. A l'approche du tube de verre fortement électrisé, on vérifie que l'aiguille est vivement déviée. Une semaine de séjour dans l'armoire permet de retrouver l'influence électrique à travers le verre.
2. On humidifie l'enceinte de verre avec un papier absorbant imbibé d'eau du robinet. L'influence est moindre, mais encore significative.
3. L'effet "cage de Faraday" serait-il plus notable avec un liquide meilleur conducteur que l'eau du robinet ? On recommence avec un papier fortement imbibé d'eau salée à 40g/L (environ 10 fois moins que la saturation). L'influence diminue encore, mais reste sensible.
4. Espérant une meilleure imprégnation du verre par le sel, on humidifie à nouveau la balance avec l'eau salée, on l'essuie sommairement, puis on la réhumidifie. A l'approche du tube de verre électrisé, l'influence devient négligeable. On retrouve enfin l'effet "cage de Faraday".
5. Mais un réseau de filets d'eau étant encore visible sur le verre, on reprend l'essuyage avec du papier absorbant. Il n'y a toujours pas d'influence. Et ceci reste vrai une heure plus tard. L'effet cage de Faraday peut donc persister après un temps de séchage prolongé.

Discussion

Nos expériences confirment tout d'abord un fait bien connu depuis le début du XVIIIe siècle : un corps électrisé agit à travers le verre. Dès les années 1700, Hauksbee écrivait que les "effluves électriques" traversent le verre : on peut attirer des corps neutres légers, à travers une paroi de verre, à l'aide d'un tube de verre frotté. L'enceinte de verre de la balance de Coulomb ne protège donc pas son intérieur des influences électriques extérieures. En conséquence, il faut éviter les vêtements en fibres textiles synthétiques, les semelles isolantes, les revêtements de sol modernes...

Mais ces expériences apportent un élément nouveau : l'effet cage de Faraday existe dans certaines conditions. Nous l'avons constaté d'une part lors de la première humidification de la balance sortie de l'armoire, d'autre part à la suite des humidifications successives par l'eau salée. La première série d'expériences montre que cet effet persiste après un séchage sommaire. Il faut un séchage prolongé au sèche-cheveux pour faire disparaître l'effet. Il est alors difficile de le faire réapparaître même en réhumidifiant fortement le verre, comme on le voit à la fin de la 1ère série d'expériences et au début de la seconde.

Le verre était-il devenu "trop propre", nettoyé des impuretés ioniques en surface qui, lors du premier essai, rendaient conducteur le verre humide ? Cette hypothèse semble confirmée par la deuxième série d'expériences : il faut humidifier plusieurs fois l'enceinte de verre avec de l'eau salée pour que l'influence électrique s'affaiblisse notablement. On peut penser que chaque imprégnation d'eau salée augmente la densité des ions déposés sur la surface. Par ailleurs le verre, apparemment sec après essuyage, a probablement adsorbé assez d'humidité pour que sa surface reste ensuite relativement conductrice. Ainsi l'enceinte de verre qui a été humidifiée une fois conserve pendant un certain temps sa capacité de fonctionner comme une cage de Faraday.

La transposition au passé est difficile. Il est peu probable que Coulomb ait humidifié volontairement sa balance, et on ignore quelle était la quantité de poussières et de saleté sur le verre ! Mais il faut noter que le corps de l'expérimentateur est moins électrisé que notre bâton de verre énergiquement frotté. On peut donc penser qu'un faible "effet Faraday", dû aux poussières ou aux effets de l'humidité, pouvait suffire à éviter, pour Coulomb, les perturbations qui ont affecté les expériences de Heering. Sans pouvoir apporter de certitude, nous proposons ici une hypothèse qui pourrait être explorée plus systématiquement.



Mise en ligne : janvier 2009

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