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> LE MONNIER, Aimant, [juin] 1751.
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AIMANT, s. m. pierre ferrugineuse assez semblable en poids &
en couleur à l'espèce de mine de fer qu'on appelle en roche.
Elle contient du fer en une quantité plus ou moins considérable, &
c'est dans ce métal uni au sel & à l'huile, que réside la vertu
magnétique plutôt que dans la substance pierreuse. Cette pierre fameuse
a été connue des anciens ; car nous savons sur le témoignage
d'Aristote, que Thalès, le plus ancien philosophe de la Grèce, a parlé
de l'aimant : mais il n'est pas certain que le nom employé par Aristote
soit celui dont Thalès s'est servi. Onomacrite qui vivait dans la LX.
Olympiade, & dont il nous reste quelques poésies sous le nom d'Orphée,
est celui qui nous fournit le plus ancien nom de l'aimant ; il
l'appelle μαγνήτης..Hippocrate (lib.de
sterilib. mulier.) a désigné l'aimant sous la périphrase de
la pierre qui attire le fer 
λίθός΄ήτιςτόν 
σίδήρον ΄άρπαξίς. 

Les Arabes & les Portugais se servent de la même périphrase, que Sextus Empiricus a exprimée en un seul mot, σιδηραγωγός. Sophocle,dans une de ses pièces qui n'est pas venue jusqu'à nous, avait nommé l'aimant Λυδία λίθος, pierre de Lydie. Hesychius nous a conservé ce mot aussi bien que Λυδική λίθος, qui en est une variation. Platon, dans le Timée, appelle l'aimant Ήρακλεία ; λίθος, pierre d'Héraclée, nom qui est un des plus usités parmi les Grecs.
 Aristote a fait plus d'honneur que personne à l'aimant, en ne lui donnant point de nom ; il l'appelle ΄η λίθος, la pierre par excellence. Themipius s'exprime de même. Théophraste avec la plupart des anciens, a suivi l'appellation déjà établie de λίθος Ήρακλεία.
Pline, sur un passage mal entendu de ce philosophe, a cru que la pierre de touche, coticula, qui entre ses autres noms a celui de Λυδία λίθος, avait de plus celui d'ΉρακλεΙα, commun avec l'aimant : les Grecs & les Latins se sont aussi servis du mot σιδηρίτις, tiré de λίθος, fer, d'où est venu le vieux nom français pierre ferrière. Enfin les Grecs ont diversifié le nom de μαγνήτης en diverses façons : on trouve dans Tzetzès μαγνήδδα λίθος; dans Achilles Tatius μαγνήσια ; μαγνητις dans la plupart des auteurs ; μαγνιτις dans quelques-uns, aussi bien qu'ολίθος μαγνίτης par la permutation de υ en ι, familière aux Grecs dès les premiers temps ; μαγνής, qui n'est pas de tous ces noms le plus usité parmi eux, est presque le seul qui soit passé aux Latins.
Pour ce qui est de l'origine de cette dénomination de l'aimant, elle vient manifestement du lieu où l'aimant a d'abord été découvert. Il y avait dans l'Asie mineure deux villes appelées Magnésie : l'une auprès du Méandre, l'autre sous le mont Sipyle. Cette dernière qui appartenait particulièrement à la Lydie, & qu'on appelait aussi Héraclée, selon le témoignage d'Aelius Dionysius dans Eustathe, était la vraie patrie de l'aimant. Le mont Sipyle était sans doute fécond en métaux, & en aimant par conséquent ; ainsi l'aimant appelé magnes du premier lieu de sa découverte, a conservé son ancien nom, comme il est arrivé à l'acier & au cuivre, qui portent le nom des lieux où ils ont été découverts : ce qu'il y a de singulier, c'est que le plus mauvais aimant des cinq espèces que rapporte Pline, était celui de la Magnésie d'Asie mineure, première patrie de l'aimant, comme le meilleur de tous était celui d'Ethiopie.
Marbodaeus dit que l'aimant a été trouvé chez les Troglodytes, & que cette pierre vient aussi des Indes. Isidore de Séville dit que les Indiens l'ont connu les premiers ; & après lui, la plupart des auteurs du Moyen & bas âge appellent l'aimant lapis Indicus, donnant la patrie de l'espèce à tout le genre.
Les anciens n'ont guère connu de l'aimant que sa propriété d'attirer le fer ; c'était le sujet principal de leur admiration, comme l'on peut voir par ce beau passage de Pline : Quid lapidis rigore pigrius ? Ecce sensus manusque tribuit illi natura. Quid ferri duritie pugnacius ? Sed cedit & patitur mores : Trahitur namque à magnete lapide, domitrixque illa rerum omnium materia ad inane nescio quid currit, atque ut propiùs venit, assistit teneturque, & complexu hoeret. Plin. liv. XXXVI. cap. xvj.
Cependant il paraît qu'ils ont connu quelque chose de sa vertu communicative ; Platon en donne un exemple dans l'Ion, où il décrit cette fameuse chaîne d'anneaux de fer suspendus les uns aux autres, & dont le premier tient à l'aimant. Lucrèce, Philon, Pline, Galien, Némesius, rapportent le même phénomène ; & Lucrèce fait de plus mention de la propagation de la vertu magnétique au travers des corps les plus durs, comme il paraît dans ces vers :
Exultare etiam Samothracia ferrea vidi,
Et ramenta simul ferri furere intus ahenis
In scaphiis, lapis hic magnes cum subditus esset.
Mais on ne voit par aucun passage de leurs écrits qu'ils aient rien connu de la vertu directive de l'aimant ; on ignore absolument dans quel temps on a fait cette découverte, & on ne sait pas même au juste quand est-ce qu'on l'a appliquée aux usages de la navigation.
Il y a toute apparence que le hasard a fait découvrir à quelqu'un que l'aimant mis sur l'eau dans un petit bateau, se dirigeait constamment nord & sud ; & qu'un morceau de fer aimanté avait la même propriété : qu'on mit ce fer aimanté sur un pivot afin qu'il pût se mouvoir plus librement : qu'ensuite on imagina que cette découverte pourrait bien être utile aux navigateurs pour connaître le midi & le septentrion lorsque le temps serait couvert, & qu'on ne verrait aucun astre ; enfin qu'on substitua la boussole ordinaire à l'aiguille aimantée pour remédier aux
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