AIMANT, s. m. pierre ferrugineuse assez semblable en poids &
en couleur à l'espèce de mine de fer qu'on appelle en roche.
Elle contient du fer en une quantité plus ou moins considérable, &
c'est dans ce métal uni au sel & à l'huile, que réside la vertu
magnétique plutôt que dans la substance pierreuse. Cette pierre fameuse
a été connue des anciens ; car nous savons sur le témoignage
d'Aristote, que Thalès, le plus ancien philosophe de la Grèce, a parlé
de l'aimant : mais il n'est pas certain que le nom employé par Aristote
soit celui dont Thalès s'est servi. Onomacrite qui vivait dans la LX.
Olympiade, & dont il nous reste quelques poésies sous le nom d'Orphée,
est celui qui nous fournit le plus ancien nom de l'aimant ; il
l'appelle μαγνήτης..Hippocrate (lib.de
sterilib. mulier.) a désigné l'aimant sous la périphrase de
la pierre qui attire le fer
λίθός΄ήτιςτόν
σίδήρον ΄άρπαξίς.
Les Arabes & les Portugais se servent de la même périphrase, que
Sextus Empiricus a exprimée en un seul
mot, σιδηραγωγός. Sophocle,dans une
de ses pièces qui n'est pas venue jusqu'à nous, avait nommé
l'aimant Λυδία λίθος, pierre de Lydie.
Hesychius nous a
conservé ce mot aussi bien que Λυδική
λίθος, qui en est une variation.
Platon, dans le Timée, appelle l'aimant Ήρακλεία ;
λίθος, pierre d'Héraclée, nom qui est un des plus
usités parmi les Grecs.
Aristote a fait plus d'honneur que personne à l'aimant, en ne lui
donnant point de nom ; il l'appelle ΄η λίθος, la pierre par
excellence. Themipius s'exprime de même. Théophraste avec la
plupart des anciens, a suivi l'appellation déjà établie de λίθος
Ήρακλεία.
Pline, sur un passage mal entendu de ce philosophe, a cru que la pierre
de touche, coticula, qui entre ses autres noms a celui de Λυδία
λίθος, avait de plus celui
d'ΉρακλεΙα, commun avec l'aimant : les Grecs
& les Latins se sont aussi servis du mot
σιδηρίτις, tiré de
λίθος, fer, d'où est venu le vieux nom français pierre
ferrière. Enfin les Grecs ont diversifié le nom de
μαγνήτης en
diverses façons : on trouve dans Tzetzès μαγνήδδα
λίθος; dans Achilles
Tatius μαγνήσια ;
μαγνητις dans la plupart des auteurs ;
μαγνιτις dans
quelques-uns, aussi bien qu'ολίθος
μαγνίτης par la permutation de υ
en ι, familière aux Grecs dès les premiers temps ; μαγνής, qui
n'est pas de tous ces noms le plus usité parmi eux, est presque le seul
qui soit passé aux Latins.
Pour ce qui est de l'origine de cette dénomination de l'aimant, elle
vient manifestement du lieu où l'aimant a d'abord été découvert. Il y
avait dans l'Asie mineure deux villes appelées Magnésie : l'une
auprès du Méandre, l'autre sous le mont Sipyle. Cette dernière qui
appartenait particulièrement à la Lydie, & qu'on appelait aussi Héraclée,
selon le témoignage d'Aelius Dionysius dans Eustathe, était la vraie
patrie de l'aimant. Le mont Sipyle était sans doute fécond en métaux,
& en aimant par conséquent ; ainsi l'aimant appelé magnes
du premier lieu de sa découverte, a conservé son ancien nom, comme il
est arrivé à l'acier & au cuivre, qui portent le nom des lieux où
ils ont été découverts : ce qu'il y a de singulier, c'est que le plus
mauvais aimant des cinq espèces que rapporte Pline, était celui de la
Magnésie d'Asie mineure, première patrie de l'aimant, comme le meilleur
de tous était celui d'Ethiopie.
Marbodaeus dit que l'aimant a été trouvé chez les Troglodytes, &
que cette pierre vient aussi des Indes. Isidore de Séville dit que les
Indiens l'ont connu les premiers ; & après lui, la plupart des
auteurs du Moyen & bas âge appellent l'aimant lapis Indicus,
donnant la patrie de l'espèce à tout le genre.
Les anciens n'ont guère connu de l'aimant que sa propriété d'attirer le
fer ; c'était le sujet principal de leur admiration, comme l'on peut
voir par ce beau passage de Pline : Quid lapidis rigore pigrius ?
Ecce sensus manusque tribuit illi natura. Quid ferri duritie pugnacius
? Sed cedit & patitur mores : Trahitur namque à magnete lapide,
domitrixque illa rerum omnium materia ad inane nescio quid currit,
atque ut propiùs venit, assistit teneturque, & complexu hoeret.
Plin. liv. XXXVI. cap. xvj.
Cependant il paraît qu'ils ont connu quelque chose de sa vertu
communicative ; Platon en donne un exemple dans l'Ion, où il décrit
cette fameuse chaîne d'anneaux de fer suspendus les uns aux autres,
& dont le premier tient à l'aimant. Lucrèce, Philon, Pline, Galien,
Némesius, rapportent le même phénomène ; & Lucrèce fait de plus
mention de la propagation de la vertu magnétique au travers des corps
les plus durs, comme il paraît dans ces vers :
Exultare etiam Samothracia ferrea
vidi,
Et ramenta simul ferri furere intus ahenis
In scaphiis, lapis hic magnes cum subditus esset.
Mais on ne voit par aucun passage de leurs écrits qu'ils aient rien
connu de la vertu directive de l'aimant ; on ignore absolument dans
quel temps on a fait cette découverte, & on ne sait pas même au
juste quand est-ce qu'on l'a appliquée aux usages de la navigation.
Il y a toute apparence que le hasard a fait découvrir à quelqu'un que
l'aimant mis sur l'eau dans un petit bateau, se dirigeait constamment
nord & sud ; & qu'un morceau de fer aimanté avait la même
propriété : qu'on mit ce fer aimanté sur un pivot afin qu'il pût se
mouvoir plus librement : qu'ensuite on imagina que cette découverte
pourrait bien être utile aux navigateurs pour connaître le midi &
le septentrion lorsque le temps serait couvert, & qu'on ne verrait
aucun astre ; enfin qu'on substitua la boussole ordinaire à l'aiguille
aimantée pour remédier aux
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