Note d'Albine Ampère à l'occasion de sa demande en séparation de biens et de corps en
1831 (a)
M. Ride commença vers la fin de la première année de notre mariage à me
porter des pistolets chargés au front et des poignards au coeur pour me rendre brave. Un jour du
mois de novembre 1828, en revenant dans un fiacre après avoir dîné aux environs du Champ-de-Mars,
il me tint, pendant plusieurs minutes, un pistolet chargé au front, en me disant qu'il voulait me
rendre aussi brave qu'un militaire.
Au mois de mars 1829, il entra une nuit dans une grande fureur
contre moi sans aucun sujet et me jeta la clef de son secrétaire, où étaient renfermées ses
armes, en me disant de la cacher parce qu'il était si furieux contre moi qu'il me tuerait si ce
n'était pas une lâcheté de tuer une femme.
Depuis cette époque, il m'a fait souvent des scènes
affreuses, me disant des injures et me menaçant de me frapper. Il me disait aussi très souvent
qu'il casserait la tête à mes parents. Les domestiques ont été quelquefois témoins de ces
scènes.
Le 30 janvier 1830, il devint si furieux que deux médecins, MM. Baron et Martin St-Ange,
décidèrent qu'il fallait absolument le saigner. Il s'en défendit et courut sur M. Martin et
d'autres personnes qui étaient dans la chambre au nombre de cinq, armé de ses rasoirs. Avant cette
saignée qu'on vint à bout d'effectuer en le faisant tenir par trois hommes, il voyait des hommes
monter le long du mur, des militaires qui voulaient m'enlever et il disait qu'il voulait me tuer
pour me soustraire à leurs poursuites et se tuer après. La nuit qui suivit, je fus obligée
d'avoir un homme pour le garder et, le lendemain, on le mena dans la maison de santé de M. Esquirol
où il se rétablit en peu de temps.
Au mois d'avril dernier, il reprit encore des accès de fureur
contre moi et, un jour, étant à table, il me menaça avec son couteau devant la portière qui
faisait dans ce temps-là mon ménage. M. Ride convint qu'il avait besoin de retourner dans la
maison de santé de M. Esquirol où il resta près d'un mois.
J'ai omis de dire que, depuis deux
ans, il prenait de temps en temps des frayeurs, disant qu'on voulait l'assassiner et, pour se
défendre, il mettait un poignard ou ses pistolets sous son oreiller.
J'ai habité presque tout
l'été à la Ferté-sous-Jouarre avec M. Ride et, depuis la fin de septembre, il avait de
fréquents accès de fureur contre moi. Une fois, il arma un pistolet chargé et vint sur moi en me
disant qu'il allait me tuer pour me débarrasser de la vie. Je fis appeler notre médecin, à qui je
le racontai. Il déchargea les pistolets et me fit enfermer ses autres armes dans une armoire. Le
sujet de ses fureurs contre moi était amené par les moyens que j'employais pour l'empêcher de
boire avec excès du vin et des liqueurs. N'ayant plus d'armes, il me menaça avec une pincette et
voulut me jeter une chaise à la
(a) LAUNAY, Louis de (ed.). Correspondance du Grand Ampère. Paris: Gauthier-Villars, 1936,
t. II, p. 741-742.
|