social et économique, mais le mariage semble impossible. A 22 ans, Ampère ne possède qu'un petit
patrimoine et aucune qualification particulière. En outre c'est un homme simple et de style
campagnard, caractéristiques peu susceptibles d'attirer une jeune femme habituée à la société
et aux usages de la ville de Lyon. La cour menée par Ampère auprès de Julie, détaillée avec
soin dans son journal, révèle un aspect essentiel de sa personnalité : ce fut un incorrigible
romantique avec une vie affective à la fois intense et entière. Ayant consacré son cœur à
Julie, il la poursuit jusqu'à ce qu'elle accepte finalement de l'épouser. Sa joie, à l'instar de
sa détresse à la mort de son père, fut immodérée. Dans l'exercice de la science, de la même
façon, Ampère fut guidé par son enthousiasme personnel. Il ne planifiait jamais un programme
d'expériences ou un raisonnement suivi, poursuivant fiévreusement des intuitions fulgurantes
jusqu'à leur conclusion.
Le mariage entre Ampère et Julie est célébré le 7 août 1799. Les quatre années qui suivent
furent les plus heureuses de la vie d'Ampère. Au début, il s'assure une existence modeste comme
professeur particulier de mathématiques à Lyon, où naît son fils Jean-Jacques le 12 août 1800.
En février 1802, Ampère quitte Lyon pour devenir professeur de physique et de chimie à l'École
centrale de Bourg-en-Bresse, situation qui améliore sa situation financière et, surtout, facilite
sa candidature ultérieure à un poste de professeur au lycée que Napoléon est en train de créer
à Lyon. En avril de la même année, il commence à travailler à un mémoire sur la théorie des
probabilités qui, pensait-il, assurerait sa réputation en mathématiques. De la sorte, tout
concoure à faire de lui le plus heureux des hommes. C'est alors que le drame se produit. Julie,
malade depuis la naissance de leur fils, meurt le 13 juillet 1803. Ampère est inconsolable, et
commence à chercher désespérément un moyen de quitter Lyon et tous ses souvenirs.
Grâce à son mémoire sur les probabilités, il est nommé répétiteur en mathématiques à
l'École polytechnique. Mais une fois encore, il est victime de la fragilité de son état
psychologique. Ennuyé par son travail à l'École polytechnique, solitaire dans une capitale
étrange et raffinée, Ampère recherche la compagnie et est introduit dans une famille qui semble
lui offrir la chaleur affective dont il manque si désespérément. Le 1er août 1806, il épouse
Jeanne Potot. L'union commence dans de fâcheuses circonstances : son beau-père escroque son
patrimoine et son épouse déclare ne pas vouloir d'enfants. Le mariage fut catastrophique dès le
départ. Après la naissance de sa fille Albine, sa femme et sa belle-mère lui rendent la vie si
insupportable qu'il juge le divorce inévitable. Albine rejoint Jean-Jacques dans le foyer
d'Ampère, désormais tenu par sa mère et sa tante, venues à Paris de Poleymieux.
En 1808, Ampère est nommé inspecteur général dans le nouveau système universitaire, et le
reste jusqu'à sa mort, hormis une courte période dans les années 1820. Le 28 novembre 1814, il
est élu membre de la Classe de mathématiques à l'Institut impérial. En septembre 1819, il est
autorisé à donner un cours de philosophie à l'Université de Paris, et en 1820, il est nommé
professeur suppléant d'astronomie à la Sorbonne. En août 1824 Ampère est élu à la chaire de
physique expérimentale au Collège de France.
Durant ces années, la vie domestique d'Ampère reste tourmentée. Son fils, sur lequel il fondait
de grands espoirs, succombe aux charmes de Mme Récamier, l'une des grandes beautés de l'Empire, et
suit son cénacle pendant vingt ans. Sa fille, Albine, épouse un officier de l'armée qui se
révéla être un ivrogne et un demi fou. A cela s'ajoutent de constants soucis d'argent. En 1836,
la santé d'Ampère se dégrade et il meurt à Marseille, seul, durant une tournée d'inspection.
Les difficultés de la vie privée d'Ampère ne furent pas sans conséquences sur sa vie
intellectuelle. Sa foi, profonde, fut indéniablement renforcée par la succession
quasi-ininterrompue de catastrophes qui s'abattirent sur lui. Chacun de ces drames successifs
accrût également sa soif de certitudes absolues dans divers domaines de son existence. Plus tard,
son fils souligne cette caractéristique de son père: il ne se satisfaisait jamais des
probabilités mais recherchait toujours la Vérité. Ce n'est pas un hasard si son premier article
mathématique, "Des considérations sur la théorie mathématique du jeu" (1802), prouve qu'un
joueur individuel perd inévitablement dans un jeu de hasard s'il est opposé à un groupe disposant
de ressources financières infiniment plus large que les siennes. Le résultat est assuré.
Dans le domaine scientifique, la quête de certitudes d'Ampère et les exigences de sa foi le
conduisent à forger une philosophie qui détermina la structure de ses recherches. Au tout début
du XIXe siècle règne en France la philosophie de l'Abbé de Condillac et de ses disciples, que
Napoléon avait surnommés les Idéologues. Ces philosophes soutiennent que seules les sensations
sont réelles, et que l'existence de Dieu ainsi que celle d'un monde concret peuvent être mises en
doute. Une telle opinion faisait horreur à Ampère, et il rechercha une perspective alternative. Il
fut l'un des premiers Français à découvrir les œuvres d'Emmanuel Kant. Bien que la philosophie
de Kant puisse se concilier avec la foi religieuse, Ampère considère que son traitement de
l'espace, du temps et de la causalité met en doute l'existence d'une réalité objective au niveau
fondamental.
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