@. Ampère et l'histoire de l'électricité |
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LE JEUNE AMPÈRE ET LE ROMANTISMEpar Dolores Martín André-Marie Ampère fut une des gloires des mathématiques et de la physique française du début du 19e siècle. Il a souvent été caractérisé comme un homme appartenant au monde des Lumières, le mouvement culturel qui a traversé le 18e siècle et qui se fondait sur la raison, lobjectivité et la science. Mais cette image est un peu superficielle. Si on regarde de plus près la vie dAmpère, on voit quil ne fut pas seulement un mathématicien et un héritier de lesprit de lEncyclopédie de Diderot et dAlembert, mais aussi un personnage passionné et inspiré par les nouveaux idéaux romantiques de la Nature. Ces idéaux commençaient à être influents dès la fin du 18e siècle dans toute lEurope. Tout dabord, on peut déceler le caractère romantique d'Ampère dans sa vision de la connaissance comme un tout, qui unit parfaitement chacune de ses parties. A la différence des philosophes des Lumières, les philosophes romantiques ou "philosophes de la nature" comme Hans-Christian Oersted, Humphry Davy ou Michael Faraday ont essayé dunifier différentes branches du savoir qui, à l'époque, étaient indépendantes : lélectricité, le magnétisme, les affinités chimiques, la lumière ou la chaleur. Ampère sest intéressé à toutes ces sciences auxquelles il faut ajouter lhistoire naturelle, la botanique, la poésie ou la métaphysique. Il poursuivait, avec un état dâme souvent exalté et romantique, la recherche d'une vérité qui engloberait tous les savoirs. Cette perspective, qui a marqué l'ensemble de son uvre, s´est cristallisée dans ses recherches philosophiques qui ont abouti à son Essai sur la philosophie des sciences ou Exposition analytique dune classification naturelle de toutes les connaissances humaines (1834-1843), ou il prétend offrir une classification naturelle de toutes les sciences de la nature, en y incluant les techniques, et les sciences de l'homme. On y voit un homme intéressé par la totalité des connaissances humaines et même par les frontières de ces connaissances au travers de courants intellectuels peu orthodoxes, comme le mesmérisme. Pour mieux comprendre l'influence romantique sur l'uvre d'Ampère, nous allons nous centrer sur trois aspects de sa jeunesse. L'influence de la pensée de Jean-Jacques Rousseau sur son éducation, la nature de ses premiers apprentissages avec la bibliothèque de son père et enfin l'influence de la Révolution française pendant laquelle son père fut guillotiné, éclairent la facette indiscutablement romantique mais fréquemment oubliée de ce savant. 1. Léducation rousseauiste à Poleymieux-au-Mont dOrAndré-Marie était le fils dun négociant en soies, Jean-Jacques Ampère, qui appartenait à la haute bourgeoisie lyonnaise. Son père était un personnage passionné par la littérature et il a lui-même écrit une tragédie. Il faut aussi souligner linfluence des écrits de Rousseau sur Jean-Jacques Ampère qui décide en 1782 de se retirer à la campagne, dans une maison à Poleymieux-au-Mont-dOr, pour élever lui-même ses deux enfants, en contact avec la Nature. Dans LEmile ou de lEducation (1762), Rousseau présente l'éducation dun enfant comme très fortement liée à l'épanouissement de ses sentiments et pas seulement à sa formation intellectuelle. Le père dAndré-Marie est resté fasciné par cette lecture et il souhaite appliquer cette vision de l'éducation à son fils pour faire de lui non l'homme d'un métier, mais un être humain, comme le préconisait Rousseau : "Vivre est le métier que je veux lui apprendre. En sortant de mes mains il ne sera, jen conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre : il sera premièrement homme"1. André-Marie et sa sur aînée, Antoinette, ont grandi dans un petit village des Monts dOr, Poleymieux, à 15 km de Lyon en longeant la vallée de la Saône. Depuis le village, on voit au nord le Mont Verdun et au sud le Mont Thoux Le climat local favorise une riche végétation et la formation de belles forêts. Cétait un endroit idéal pour se promener, faire des herborisations et se laisser aller aux rêveries sur la nature. Les années de formation du jeune Ampère à Poleymieux ont été profondément marquées par le sentiment romantique de la Nature du penseur genevois, comme lui-même le reconnait dans son autobiographie : "De retour à la campagne [il] lut quelques ouvrages de physique et, quelque temps après, la lecture des lettres de Rousseau sur la botanique lui ayant inspiré une grande ardeur pour létude de cette science, il partagea son temps entre les herborisations et les calculs"2.
![]() Jean-Jacques Rousseau, Lettres élémentaires sur la botanique. Paris, 1789 C'est dans ce cadre rural qu'Ampère a vécu ses années de jeunesse. Un de ses voisins décrivait un jeune homme "toujours distrait et rêveur, [il] passait dans tout le village pour un illuminé [ ]. Il sautait à cloche-pied dans les chemins, allait au hasard, tandis que son esprit travaillait intérieurement"3.
![]() Vue de Poleymieux au Mont-dOr (Mairie de Poleymieux) 2. La source de son apprentissage : la bibliothèque de Jean-Jacques AmpèreAmpère raconte encore dans son autobiographie qu'avant même de savoir lire, il jouait à apprendre les noms des oiseaux, en les associant avec les illustrations de LHistoire Naturelle de Buffon. Son étonnante passion pour tous les domaines du savoir remonte à l'enfance. Dès qu'il sait lire, il parcourt les livres de la bibliothèque bien fournie que son père a constituée à Poleymieux. Il apprend par cur des tragédies de Racine et Voltaire, et se met au latin avec les uvres de Virgile. À treize ans, Les éléments de mathématiques de Rivard (1772) tombent entre ses mains et louvrage le séduit tant, quil laisse de côté tout le reste et se passionne pour lalgèbre et les côniques. Bientôt, son père se sent complètement dépassé par les exigences intellectuelles de son fils et il demande de laide à plusieurs professeurs lyonnais pour continuer la formation scientifique de son fils. Lintérêt dAmpère pour le calcul infinitésimal et différentiel commence avec sa lecture de lEncyclopédie de Diderot et d'Alembert (17511780). Il prend plaisir à apprendre par coeur plusieurs passages de ce grand ouvrage, composé de 35 volumes, qui présente les connaissances par ordre alphabétique mais propose dans son introduction une classification des différentes branches du savoir. LEncyclopédie constitue un des projets les plus remarquables de conjonction entre les sciences, les arts et la philosophie au 18e siècle, et a marqué les savants français de la fin du siècle. LEncyclopédie a influencé la pensée dAmpère jusquà la fin de sa vie, et elle a inspiré sa propre classification des sciences quil considérait, à la différence de toutes les autres, comme une classification "naturelle", cest-à-dire, correspondant à lordre de la pensée et de la réalité du monde. Son propre fils, baptisé Jean-Jacques comme son grand père, racontera plus tard que les trois événements les plus influents dans la jeunesse de son père furent sa première communion pour sa foi chrétienne, la lecture de l'Eloge de Descartes pour son amour de la science et la prise de la Bastille pour son aspiration à la liberté. Dans son Eloge de René Descartes, Antoine-Léonard Thomas décrit Descartes comme une sorte de génie, incompris en son temps. La science y apparaît comme une aventure intellectuelle démesurée, une quête de la vérité qui doit être guidée non par un esprit analytique mais par des suppositions métaphysiques, voire par les sentiments : "un sentiment extraordinaire; cet enthousiasme sacré, cest un sentiment religieux qui élève et remplit son âme"4. LEloge de René Descartes est dune importance capitale dans l'apprentissage du jeune Ampère, car il lui inspire une forte passion pour la science. Mais la vérité dans lordre de la connaissance doit être complétée par la vérité dans lordre religieux et enfin la vérité dans lordre politique, pour reprendre les trois vérités que Chateaubriand mentionne dans son fameux Génie du Christianisme (1801) et qui se complètent chez les romantiques pour parfaire l'unité de l'esprit humain. 3. Les conséquences inattendues de la Révolution française : la mort du père dAndré-MarieLes années de jeunesse dAmpère se terminent brutalement. Tout dabord sa soeur Antoinette succombe à la maladie, puis son père est exécuté par les troupes de la Convention pendant la Révolution française lors du siège de Lyon. Ce terrible évènement fait tomber Ampère dans une crise profonde, dont il ne sort qu'au bout d'un an. Son père avait toujours défendu les idéaux de la Révolution, la liberté, légalité et la fraternité, et pourtant il fut emporté par cette même Révolution. Cet événement fait prendre ses distances à Ampère vis-à-vis des idéaux politiques des Lumières. Il va partager ces sentiments et ces réflexions avec ses amis les plus chers, dont plusieurs ont vu leur famille souffrir également de la Révolution, et qui composeront le groupe appelé plus tard lEcole mystique de Lyon5.
La Rue Ménestrier et le lycée de Lyon où Ampère enseigna entre 1803 et 1804. Sa famille ayant perdu une bonne partie de ses biens avec la Révolution, Ampère, âgé d'une vingtaine d'années, s'installe à Lyon en 1797 pour donner des leçons de mathématiques, de physique et de chimie à une dizaine délèves. Cest à Lyon quil commence à se réunir avec un groupe de jeunes gens, tous catholiques, pour discuter de multiples sujets : la philosophie, lhistoire naturelle, la littérature ou la religion. Ses amis Pierre-Simon Ballanche, Claude-Julien Bredin et Jacques Roux-Bordier sont des esprits inquiets comme André-Marie, partageant un sentiment de désillusion envers la Révolution, leurs familles ayant appartenu à la résistance lyonnaise. Ce sont des personnalités révoltées, complexes et intéressées par tous les domaines de la connaissance. Ils sont sensibles à des courants intellectuels aux marges de la science à la fin du 18e siècle comme le mesmérisme, la phrénologie ou le somnambulisme, particulièrement influents dans la vie intellectuelle du Lyon de lépoque. "Ils croient fortement à lunité du dessin du monde, à la présence de lesprit ( ) dans la moindre parcelle de matière, à lanalogie des lois de lhomme (le microcosme) et de lunivers (le macrocosme). Un immense désir de synthèse et duniverselle harmonie dirige toute leur existence"6 Le mesmérisme provenait des thèses de Franz Anton Mesmer, un médecin autrichien qui avait fait fortune à Paris avec ses cures magnétiques qu'il appliquait en particulier aux femmes souffrant de troubles nerveux.
Le salon de Mesmer. Au centre le baquet autour duquel se tiennent les patients, à gauche, Mesmer magnétisant une patiente. À lépoque la médecine explorait les effets thérapeutiques de lélectricité. Mesmer affirme que le magnétisme peut, lui aussi, avoir une action thérapeutique. Ampère sest intéressé à ces applications médicales de l'électricité et du magnétisme qui étaient souvent traitées ensemble dans la littérature, en supposant une cause commune aux phénomènes électriques et magnétiques. Ce caractère interdisciplinaire et parfois peu orthodoxe, partagé par Ampère avec ses compagnons de lEcole mystique de Lyon, a continué de marquer les recherches d'Ampère au cours de sa vie. 1 ROUSSEAU, Jean-Jacques. LEmile ou lEducation, Paris : Gallimard, 1969, p. 88. |
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