Couppier, Jean-Stanislas à Ampère, André-Marie
A Claveisolles,
ce jeudi 17 Xbre [1795] Je viens enfin de recevoir, Monsieur, cette lettre que j'attendais depuis si longtemps. Quel
plaisir elle m'a fait ! [Vous savez que] je n'en ai pas de plus grand en général
que de recevoir de vos lettres ; mais je crois que celle-ci m'en a fait plus qu'aucune autre.
Vous savez que pour sentir le plaisir, il faut y être préparé par la
privation ; celle que j'avais éprouvée était si longue que je n'en
espérais presque plus la fin, de sorte que j'ai eu hier une véritable surprise,
en apercevant votre écriture sur l'adresse. Je ne puis vous blâmer d'avoir
retardé de quelques jours la fin de mes peines, car j'avais eu tort de n'être pas
plus exact à votre égard. Mais maintenant que j'ai commencé à vous
faire preuve de mon exactitude par les deux lettres que vous devez recevoir avant celle-ci, je
compte parfaitement sur votre promesse. Je connais assez votre bonté pour moi, pour
être persuadé que vous ne me refuserez jamais cette satisfaction qui est
absolument nécessaire à ma tranquillité. De mon côté je
m'engage à ne jamais manquer l'occasion du dimanche pour vous écrire, et si nous
ne recevons pas exactement l'un et l'autre une lettre toutes les semaines, il faudra
l'attribuer au malheur des circonstances, qui retardent souvent nos envois. Et en effet votre
lettre [] qui aurait dû me parvenir le mercredi 7 ou au plus tard le samedi suivant,
puisque nous avons eu des occasions pour faire retirer les lettres ces jours-là, ne
m'est cependant parvenue que hier au soir. J'en serais moins étonné, si
c'était la première fois que cela m'arrivait, mais j'ai déjà
éprouvé ce malheur bien d'autres fois. Je ne sais si cela ne vient point de la
poste#. Vous ne me dites pas quels jours vous avez des occasions pour faire mettre
vos lettres à la poste et pour les faire prendre chez le C. Manin. Pour moi je continue
toujours à les expédier de manière qu'elles soient chez le C. Manin le
mardi ou mercredi au plus tard.
[verticalement dans la marge] #et j'en ai vu
l'éclaircissement dans votre dernière lettre
Avant d'entrer dans le détail des articles de votre lettre, il faut
que je vous parle un peu de ce que j'ai fait dans ces derniers jours où je
n'étais occupé que de l'ennui de ne pas pouvoir communiquer avec vous. J'ai
ouvert par désoeuvrement mon auteur de mécanique, Desaguliers , et quoique je n'y trouvasse plus de goût, je me suis mis à en
lire quelques pages pour me faire oublier mon ennui. Je suis tombé d'abord sur l'article
des roues à aubes et augets. J'ai eu un peu de plaisir à revoir cet article parce
qu'il m'a rappelé les conversations que nous avons eues ensemble sur cette
matière que nous avons si bien approfondie. Vous vous rappelez sans doute que nous
conclûmes que les roues à augets, c'est-à-dire celles où l'eau agit
par son poids, avaient un très grand avantage sur les autres. J'ai eu la satisfaction de
voir nos idées confirmées par Desaguliers. Il dit que l'expérience prouve
que dans les mêmes circonstances une roue à augets fait environ quatre fois plus
d'ouvrage qu'une roue à aubes, et que si Bélidor prétend le contraire,
c'est qu'il ne les connaissait point parce qu'il faisait presque toutes ses machines dans des
plaines. Quant à la hauteur, qu'il faut donner à la roue à augets
proportionnellement à la chute de l'eau, il dit qu'il n'a point assez examiné la
question, mais qu'il pense qu'il y a sans doute un maximum et qu'il faut peut-être que la
vitesse de la roue ne soit que le tiers de celle de l'eau, comme pour les roues à aubes.
Vous savez que nos conclusions là-dessus ont été qu'il ne fallait donner
à l'eau que la vitesse nécessaire pour suivre les augets et par conséquent
faire sentir tout de suite son poids or cette vitesse est fort peu de choses. Je suis
passé à l'article des pompes. C'est avec un grand plaisir que j'y ai vu la
confirmation de ce que vous m'avez dit sur la force qu'il faut pour faire monter l'eau dans les
tuyaux de conduite. Je n'ai point oublié que vous m'avez tiré à cette
occasion d'une grande erreur sur la résistance qu'éprouve l'eau dans les
rétrécissements. Desaguliers est parfaitement d'accord avec nous
là-dessus, il dit que Bélidor s'est bien trompé, quand il a cru que la
force qu'il fallait pour faire passer l'eau dans un rétrécissement était
à celle qu'il fallait pour supporter seulement la colonne d'eau, comme le cube du
diamètre du tuyau rétréci est au cube du diamètre du corps de
pompe. Desaguliers dit positivement qu'il n'y a d'autre résistance à vaincre que
celle du frottement, et que pour l'éviter, il suffit dans les
rétrécissements courts comme dans ceux des soupapes, que l'eau n'y arrive pas
à plus de 4 pieds de vitesse par seconde et dans les rétrécissements d'une
certaine longueur comme ceux d'un tuyau de moindre diamètre que le corps de pompe, cette
vitesse ne doit pas passer 2 pieds par seconde. C'est le résultat de
l'expérience. Et en effet, j'ai vu que dans les proportions qu'il donne dans les jets
d'eau, pour que l'ajutage donne toute l'eau possible avec la plus grande hauteur où il
puisse parvenir, il proportionne toujours la grosseur de l'ajutage avec celle des cornets de
manière que l'eau ne courre dans ces derniers qu'avec environ 2 pieds de vitesse par
seconde, quelquefois moins. J'ai trouvé dans Desaguliers une machine de physique,
que je ne me rappelle pas d'avoir vue dans aucun cabinet de physique : [voir figure sur
fac-similé] defg est un cornet carré ouvert par le haut et qui se termine en bas
par les deux branches latérales fhk et gil. Il est traversé de haut en bas par
une barre perpendiculaire bc qui y est fortement attachée. Cette barre porte en C sur
une crapaudine et tourne en haut dans un collier, qui n'est pas marqué dans la figure.
L'eau du cornet a se jette dans celui que nous venons de décrire et sort par les trous
d'en bas m et n qui doivent être assez petits pour que le cornet reste toujours plein
jusqu'à la ligne de, c'est-à-dire presque jusqu'en haut. Vous voyez que le trou m
est sur la face ilhk, c'est-à-dire celle qui se présente à nous. Mais le
trou n qui n'est que ponctué ne doit point paraître de ce côté-ci, il
est sur la face opposée. Vous comprenez que l'eau qui sort par ces trous, n'y
éprouvant point de résistance, ne presse pas tandis qu'elle presse
également toutes les autres parties du tube. La machine doit donc être
sollicitée à tourner et le maximum de l'effet dans cette machine, comme dans
celles où l'eau agit par son choc est quand la vitesse de la machine n'est que le tiers
de celle de l'eau qui sort. On peut en l'exécutant en grand, faire aller un moulin,
comme vous le voyez dans la figure. Vous connaissez aussi bien que moi les moyens de
changer, dans les machines, le mouvement circulaire en mouvement alternatif. On a pour cela la
manivelle, la développante du cercle, la roue sinuée figure 1 [voir
fac-similé], la roue dentée dans la moitié de la circonférence
seulement ; enfin les colliers. J'ai cherché dans Desaguliers le moyen de faire
[courrir?] ces colliers. Mais comme cet ouvrage est traduit de l'anglais, il est un peu obscur,
de sorte que je n'ai pas pu comprendre ce qu'il en dit. D'ailleurs sa machine me paraît
assez compliquée. Je me suis mis à en chercher une plus simple, et voici ce que
j'ai trouvé. L'arbre acb [voir figure sur fac-similé] tourne dans cette direction
acb et porte un crampon a. Le collier efd peut tourner indépendamment de l'arbre acb
quand il n'est pas entraîné par son crampon a. Ce collier a un levier g contre
lequel appuie le crampon a. Ce levier est sollicité par le ressort i à reprendre
la position qu'il a dans la figure. Dans cette position, il appuie par son autre
extrémité sur le plus petit coude de la détente K. Cette détente K
est aussi sollicitée à rester dans cette position par le ressort h. Vous voyez
les points autours desquels tournent le levier et la détente. Vous comprenez que, tout
étant dans la position que je viens d'indiquer, l'arbre acb ne peut pas tourner sans
entraîner dans son mouvement le collier par le moyen du crampon. Mais lorsque le long
bras de la détente K passe sous l'arrêt l, elle est forcée de reculer
jusqu'à la position qui est marquée par des points, son petit bras échappe
le levier g et alors le crampon a n'éprouvant aucune résistance pour faire
tourner ce levier que celle que lui oppose son ressort, l'entraîne jusqu'à la
position marquée par des points et lui échappe. L'arbre peut alors tourner sans
entraîner le collier. Aussitôt que le crampon a passé au-delà du
levier g, ce levier reprend sa première position ainsi que la détente K qui n'est
plus retenue par l'arrêt, parce qu'on suppose que la résistance quelconque que le
collier doit mouvoir le fait rétrograder. Voilà toutes les parties qui
constituent ce collier, mais pour pouvoir l'appliquer à une machine quelconque, des
pompes par exemple, il faut accoupler ces colliers deux à deux, et voici comme on peut
s'y prendre. Les deux colliers a et b [voir figure sur fac-similé] sont
enveloppés en partie d'une chaîne qui passe autour de la poulie g et qui fait
qu'ils ne peuvent pas tourner l'un sans l'autre. Je suppose donc dans le premier moment que le
collier b soit dégagé du crampon de l'arbre ih, de sorte qu'il puisse tourner
dans le sens opposé à cet arbre. L'autre collier a au contraire est encore
engagé dans le crampon, de sorte que l'arbre le fait tourner et, en tournant, il fait
rétrograder le collier b par le moyen de la chaîne qui les lie dans leurs
mouvements. Mais bientôt la détente d passant sous l'arrêt f dégagera
le collier, qui restera un instant sans bouger, jusqu'à ce que l'autre crampon rencontre
le levier de l'autre collier b et fasse tourner ce collier avec lui et par conséquent
rétrograder le collier a. Mais après un demi-tour environ la détente du
collier b passera aussi sous l'arrêt e et dégagera le collier. Voilà tout
le jeu de cette machine. On pourrait absolument se contenter d'un collier seul en disposant le
piston, si c'est une pompe, de manière qu'il retombe par son propre poids. Mais alors le
jeu de la machine n'est jamais aussi réglé. J'aurais bien pu me dispenser,
Monsieur, de vous détailler cette invention, qui est peut-être fort effectueuse
[sic] ; d'ailleurs je l'ai décrite d'une manière si obscure, qu'il est difficile
d'en comprendre l'effet. Mais je vous ai déjà dit que je ne trouvais de plaisir
dans mes recherches, qu'autant que je vous les communiquais ; permettez que j'en ajoute
d'autres dont je serai peut-être dans le cas de faire exécuter le
résultat. Mon père a à Claveisolles plusieurs moulins dont il y en a
un dont on trouve le mouvement trop lent. Il a consulté un de ces charpentiers dont le
métier est de faire des moulins, comme ils les ont toujours vu faire, sans y rien
retrancher ni ajouter. Il a dit à mon père qu'il croyait que pour le faire aller
plus vite il suffisait de diminuer le nombre des fuseaux de la lanterne de deux. Cette lanterne
en a dans l'état actuel 11. La roue dentée a 36 alluchons et la roue
extérieure est une roue à augets. Je doute fort de la réussite du moyen
proposé, mais je veux cependant examiner la chose de plus près. Il me
paraît que la question se réduit à savoir si le moulin fait autant
d'ouvrage qu'il est possible avec l'eau qu'il a, ou non. Dans le premier cas, il n'y avait
point de changement à y faire parce que, quoique le mouvement en soit lent, la meule ne
faisant que 45 révolutions par minute, cela suffit cependant pour que la farine ne reste
pas entre les meules, quand le grain est écrasé. Dans le second cas, je ne vois
pas trop ce qu'on pourrait gagner en augmentant le rapport entre le nombre des alluchons et
celui des fuseaux. Il faudrait nécessairement que les augets pussent se charger d'une
plus grande quantité d'eau pour pouvoir entraîner la meule et je doute qu'ils
soient assez grands. On pourrait cependant m'objecter que par ce changement la roue à
augets irait plus lentement et par conséquent perdrait moins l'eau de ses augets, qui en
perdent toujours une partie plus ou moins considérable par la force centrifuge, qui fait
que l'eau, au lieu d'avoir sa surface horizontale comme ab, l'a dans la situation ac. Mais
notre roue à augets ne me paraît point avoir cet inconvénient puisqu'elle
n'a que 7 pieds de diamètre et ne fait pas un tour en 4 secondes. Je crois que le
meilleur moyen pour faire mieux aller ce moulin serait d'y donner plus d'eau, ce qui est bien
aisé puisqu'il ne s'agit que d'élargir la base qui la conduit sur les augets.
Mais avant de rien proposer, il faudra je pense faire mesurer exactement la quantité
d'eau que fournit la buse, par le moyen du tube de Pitot, et faire prendre la mesure des augets
ainsi que des dimensions de la meule. Je ne puis pas faire cela par moi-même. Vous me
ferez plaisir de m'écrire ce que vous pensez là-dessus. Je me propose de
faire aussi bientôt une réforme qui ne me coûtera aucun calcul, c'est
à notre pendule, à laquelle je compte mettre une lentille beaucoup plus pesante
que celle qui y est actuellement. Je compte la porter à 5lb [?]. Elle n'en
pèse qu'une. C'est d'après votre conseil, aussi je ne doute guère de
réussir. Car souvent il m'arrive de trouver dans mes misérables inventions des
inconvénients qui les rendent absolument inexécutables. Croiriez-vous
qu'étant dans un pays aussi pauvre, et aussi solitaires que nous le sommes, nous
craignons cependant les excursions des brigands. Il y a une huitaine de jours qu'on nous fit
avertir qu'il y en avait une troupe rassemblée dans des bois qui sont à une lieue
d'ici. Ils avaient arrêté ce jour-là plusieurs voyageurs, non pour les
voler car c'était de pauvres gens de la campagne, mais pour s'informer quels
étaient les propriétaires riches du pays. Ils pouvaient être une vingtaine
au plus. Quelques uns étaient en habit de volontaires. On a fait aussitôt avertir
tout le monde de se tenir sur ses gardes. Je me suis mis à veiller une partie de la
nuit, mon fusil sur l'épaule sans sortir cependant de notre clos. Les gendarmes ont
aussi fait leur ronde, mais ils n'ont rien pu découvrir. Ils sont repartis ce matin et
nous sommes maintenant plus tranquilles, mais toujours bien armés. Ce
vendredi soir. Tous les plaisirs, Monsieur, me viennent à la fois. Je viens encore
de recevoir une lettre de vous, datée du 11 et du 13. J'avais été
privé si longtemps du plaisir d'en recevoir, que je le ressens bien vivement. Je ne
m'occupe plus que de vos lettres. Je vois avec une grande satisfaction que vous avez compris
combien il m'était fort agréable d'en recevoir souvent et de longues. Ne craignez
pas de passer jamais aucune mesure, je ne puis rien lire qui puisse me faire plus de plaisir.
Ce sont toujours des choses qui m'intéressent par elles-mêmes, mais encore plus
parce qu'elles vous regardent ou que vous vous en occupez. Vous voyez que, de mon
côté, je fais ce que je peux pour vous entretenir longtemps. Mais si quelquefois
je n'ai pas toujours autant de sujet que vous, ne me sachez pas mauvais gré de ma
brièveté. Je ne puis pas avoir autant de matière que vous puisque vous
avez la bonté de m'apprendre une multitude de connaissances, dont je n'avais presque
aucune idée, et que moi je puis à peine trouver un sujet où je puisse vous
être de la moindre utilité. Je commence à comprendre la cause des retards
de nos lettres et je vois avec peine que nous ne pouvons pas y remédier. Mais
j'espère que, comme vous me l'avez fait espérer, ils ne vous feront rien
retrancher de tout e que vous aurez à me dire, et que ce que vous ne pourrez pas
m'écrire en deux fois, vous me l'apprendrez en une. Je souhaiterais bien pouvoir
répondre à vos deux lettres par cette occasion, mais je ne sais si j'en aurai le
temps. Ce qui me restera à vous écrire sera pour le prochain courrier,
c'est-à-dire dans huit jours. Peut-être n'aurai-je point de lettre d'ici là
de vous, ainsi cela me servira de matière. Je réponds maintenant à votre
première lettre, mais avant de commencer je parlerai seulement d'un article de votre
dernière lettre qui est plus pressé que les autres, c'est celui de
l'échappement que vous comptez faire. Je ne vous conseille point d'essayer le mauvais
échappement dont je suis l'inventeur. Je ne crois pas qu'il soit propre à faire
une horloge bien réglée, mais je ne vois pas non plus pourquoi il aurait un
mouvement accéléré. Car, comme vous le savez, un échappement ne
doit avoir de force que pour rendre au pendule la partie du mouvement qu'il perd à
chaque vibration par différentes causes, par conséquent il ne fait varier n'altère l'isochronisme des
vibrations que d'une très petite quantité toutes les fois que ces vibrations
s'exécutent dans des arcs égaux. Or c'est précisément ce que fait
mon pendule puisque le pendule ne peut s'écarter du point de repos que de la longueur du
coude de la manivelle, mais je ne crois qu'il en vaille mieux pour cela. D'ailleurs il y a une
raison qui doit vous empêcher de l'entreprendre, c'est qu'il demande une beaucoup plus
grande quantité de roues pour faire aller aussi longtemps qu'un autre un mouvement
d'horlogerie. En effet chaque vibration du pendule fait faire un demi-tour à la roue
d'échappement, tandis qu'avec les échappements ordinaires une vibration ne laisse
avancer la même roue que de la moitié de l'intervalle d'une dent.
L'échappement qu'on appelle à roue de rencontre ou à palettes comme celui
des montres me paraît le plus simple. Vous me demandez comment j'ai fait mes dents
dans des roues de bois. Je vous dirai que quoique mes roues fussent de bois, j'en faisais les
dents de fer. [voir figure sur fac-similé] Pour cela je coupais de petits morceaux de
gros fil de fer, je les appointissais avec la lime par le bout que je voulais enfoncer dans le
bois. Je les enfonçais le plus droit possible et de manière que leurs distances
fussent à peu près égales. Ensuite je plaçais ma roue dans un
cadre. Je l'y faisais tourner sur ses tourillons et, en présentant un petit morceau de
bois ou de fer fixement contre les dents, je voyais celles qui étaient les plus longues
et je les limais toutes en les réduisant à la longueur des plus courtes. J'avais
ensuite une petite mesure de bois taillée comme la fourche de la figure 2 [voir
fac-similé] et en appuyant les fourchons bb contre les faces a et a des dents, je voyais
lorsque ses faces étaient à la distance que j'avais déterminée. Si
elles n'y étaient pas, je les limais. Je parcourais ainsi toute la circonférence
de la roue. Je faisais ensuite la même opération aux faces opposées c et c.
Il ne me restait plus qu'à donner avec la lime, au coup d'œil seulement, une
courbure convenable au bout de la dent. Pour les pignons, je les faisais comme les lanternes
des moulins, avec des fuseaux de fer. Puisque vous vous occupez d'engrenage, n'en pourriez-vous
point trouver qui fît avancer la roue menée, de l'intervalle d'une dent seulement,
à chaque tour de la roue qui mène. Je crois cela impossible à faire par un
mouvement uniforme mais on peut le faire par des sauts et on l'emploie souvent dans
l'horlogerie. Mais ce que je ne crois pas qu'on ait trouvé, c'est le moyen de faire
faire un tour entier à la roue menée, tandis que celle qui mène
n'avancerait que de la distance d'une dent à l'autre. Cela serait cependant bien utile.
Je lis toujours les journaux, quand ce ne serait que pour y voir ce qui peut être
analogue aux sciences. Je viens de voir que l'Institut national, qui représente
l'ancienne Académie, a tenu sa première séance présidée par
le plus ancien d'âge, M. Daubenton. Je pense que c'est le coopérateur de Buffon.
M.M. de Lalande et de Lille de la Salle y prononcèrent chacun un discours. Ils
étaient en tout 48 membres et ils doivent s'en adjoindre encore 96. Je vais
enfin me mettre à répondre à votre lettre du 5. Il en est bien temps
après avoir griffonné plus de dix pages de papier. Je comprends ce que vous
me dites sur la voix moyenne, mais je ne suis pas étonné qu'on s'en passe dans
plusieurs langues, car il me paraît qu'on peu la remplacer par la passive. Au reste je
m'y connais fort peu en grammaire. Je trouve votre invention des participes bien
ingénieuse pour simplifier les conjugaisons. Par ce moyen il me semble qu'on peut
conjuguer tous les temps des verbes avec 6 mots qui forment pour ainsi dire un verbe
auxiliaire. Ces 6 mots remplaceraient ceux-ci : je suis, tu es, il est nous sommes, vous
êtes, ils sont, avec la différence que ceux-ci ne s'appliquent qu'au
présent, au lieu qu'il faudrait supposer que les autres ne fussent affectés
à aucun temps en particulier, de sorte qu'on pût dire je suis qui battra
etc. Mais peut-être ne sais-je ce que je dis, car je n'ai point étudié
cette matière et je ressemble à un ancien vicaire de notre paroisse de
Ste Croix nommé Dugarbi qui avait composé un ouvrage sur les
mathématiques. Il en avait donné des exemplaires à toutes les personnes de
sa connaissance, en particulier à ma tante la religieuse. Comme elle lui disait qu'elle
n'y comprenait rien, il lui répondit qu'il n'en était pas étonné,
puisqu'il n'y comprenait rien lui-même. Cela vous paraît sans doute singulier, mais
c'était un original. J'admire votre complaisance de vouloir vous occuper
d'astronomie, parce que vous voyez que c'est ce qui me plaît le plus depuis quelque
temps. J'avoue que je ne mérite guère cette bonté de votre part,
après avoir abandonné si lâchement les mathématiques qui faisaient
votre principale occupation. Je suis tout confus quand je pense que vous les avez
abandonnées à cause de moi. Mais vous savez qu'on y est quelquefois si mal
disposé qu'on ne peut rien approfondir. J'espère cependant que si quelque
problème vous occupait l'esprit, vous ne craindriez pas de m'en faire part. Je
trouverais toujours du plaisir à savoir ce qui vous a intéressé quelques
moments. Quelle bonté vous avez de bien vouloir m'indiquer toutes les étoiles de
seconde grandeur ainsi que celles qui ont des noms arabes. Je sens combien il est ennuyeux de
copier ainsi tous ces renseignements dans un livre. Je n'ai point encore pu en faire
l'application ; je n'ai eu pour cela que quelques moments dans la soirée d'hier. Je me
suis amusé d'abord à examiner les Pléiades et j'ai bien reconnu les trois
brillantes, Electra, Alcyone et Atlas. Je suis bien étonné de ce que vous me
dites qu'un grand nombre d'étoiles ont changé de grandeur ; je n'en avais point
ouï parler. Je ne connais point encore les lettres grecques par lesquelles vous me les
indiquez. Mais je crois que mon père a un alphabet grec qu'il me prêtera, et alors
j'aurais plus de facilité encore à reconnaître leur position ; surtout si
vous avez encore la bonté de me faire reconnaître chaque constellation en
particulier comme vous l'avez fait pour Pégase, Andromède, le Cygne et Hercule.
Mais je vous demande tant de choses que je crains de lasser enfin votre patience, aussi je ne
cesserai de vous recommander de n'en faire que ce qui ne vous ennuiera pas. La liste que
donne M. de Lalande des étoiles de 1ère
grandeur ne me paraît guère vraie. Mais je vous avouerai que je ne m'y connais
guère. Car souvent, après avoir examiné bien longtemps deux
étoiles, je prends pour la plus brillante celle que je trouve la moins claire un moment
après. Cependant, autant que j'en puis juger, Rigel est bien plus brillant
qu'Aldébaran. Je croyais aussi qu'Almerzamo (c'est vous qui m'avez appris ce joli nom)
était moins brillant que Rigel. Vous ne mettez point dans cette liste les étoiles
de première grandeur qui sont invisibles pour nous, comme les deux du Navire d'Argo dont
mon auteur en appelle une Canopus. Il en place une à l'extrémité
méridionale de l'Eridan et une sur la Croix. Vous me feriez plaisir de m'apprendre leur
nom et de me marquer l'asc. droite et la déclinaison de toutes les étoiles de
première grandeur, au moins de celles qui sont visibles, ainsi que de l'étoile
polaire, dont je voudrais pouvoir par là déterminer le passage au
méridien. Je ne me rappelle point d'avoir ouï parler de ces étoiles
changeantes anciennes qui étaient si brillantes. Je tâcherai de suivre les
variations de celle de la Baleine qui est la plus remarquable de celle qui nous reste. Pour
celle du Cygne que vous m'avez appris à connaître, je ne sais point quelles sont
ses variations. Je n'ai point encore pu examiner à loisir les nébuleuses
dont vous me parlez, la plus brillante sans comparaison me parait être celle d'Orion et
je serais étonné que vous ne la vissiez pas. Si toutefois je ne me suis pas
trompé, il y a déjà longtemps que je l'avais observé avec la
lunette sans pouvoir distinguer ce que c'était. Cela me paraissait une blancheur vive
avec des points éclatants. Elle est dans ce que les gens de la campagne appellent le
Râteau et voici, autant que je peux m'en rappeler, sa position [voir figure sur
fac-similé], si toutefois je ne renverse pas la figure. Cette étoile est pour le
moins aussi apparente qu'une de 3ème grandeur. Quand aux autres
nébuleuses, j'imaginais qu'il y en avait un plus grand nombre. Je croyais qu'on en
comptait 15 ou 16 et vous n'en comptez que 5 ou 6. Vous m'apprenez que les nuées
du cap Magellan sont des blancheurs, comme la Voie lactée. Je croyais qu'elles
étaient composées comme les autres constellations. Il faut que je vous demande
à cette occasion à propos de quoi mon auteur place ces nuages sur la Montagne de
la Table qui est je crois au cap de Bonne-Espérance. Je ne comprends pas ce que
vous me dites de Cerbère qui remplace le Chêne de Charles. Mon auteur dit au
contraire que Cerbère est composé de 4 étoiles sous la main d'Hercule et
il place le Cœur de Charles sous la queue de la Grande Ourse. Je vous prierais encore de
me dire ce qu'on entend par dessous comme quand on dit que le Lièvre est sous
Orion, car mon auteur le dit de même des choses qui n'ont ni dessus ni dessous, comme le
Triangle, le Fleuve du Jourdain, etc. Je ne comprends pas ce qu'il entend par là.
Vous me parlez du catalogue de M. de Lalande. Je serais curieux de savoir s'il comprend toutes
les étoiles même télescopiques et s'il détermine leur longitude et
latitude. Dans ce cas il doit être bien volumineux. Vous me feriez plaisir aussi de
m'apprendre combien M. de Lalande compte d'étoiles de 1ère grandeur,
combien de 2ème etc., enfin de télescopiques. Il me souvient d'avoir
soutenu à plusieurs jeunes gens qu'on n'apercevait jamais à la fois plus de 7
à 8 cent étoiles et personne ne voulait m'en croire. Je ne comprends pas
comment vous avez pu voir avec une mauvaise lunette l'anneau de Saturne. J'en ai une qui est
achromatique de Dollond et qui passe pour bonne, qui n'a à la vérité que
18 pouces. Mais elle ne peut pas me faire distinguer l'anneau ; j'ai même de la peine
à distinguer par son moyen une planète d'une étoile. A propos de
planètes, Jupiter nous échappera d'abord, il est vrai qu'il sera remplacé
par la belle Vénus ; mais il faut encore un peu de temps. Ce samedi.
Je viens enfin de revoir Mars à 4 heures du matin. Je ne me suis pas habillé pour
cela, je n'ai fait que mettre le nez à la fenêtre, et me recoucher parce que je
n'avais ni feu ni lumière. Mais [il] m'a paru avoir 7 à 8 degrés
d'ascension droite de plus que l'Epi [de la Vierge (symbole)]. Ce qui m'a étonné
c'est de le voir si peu apparent. Il l'est bien moins, autant que j'en puis juger, que Saturne.
Je n'en avais pas cette idée autrefois, mais je crois qu'il varie beaucoup. En examinant
la Vierge, j'ai été surpris de lui trouver tant de déclinaison australe,
tandis que le Lion qui la précède en a une boréale. Je n'ai pas eu le
temps de faire d'autres observations si ce n'est une que j'ai déjà faite combien
de fois, c'est que les constellations paraissent beaucoup plus grandes près de l'horizon
qu'à une certaine hauteur. J'en ai été frappé par la Grande Ourse
que j'avais toujours vu près de l'horizon. Elle m'a paru singulièrement plus
petite. J'imagine que c'est la même raison qui fait paraître la Lune et le Soleil
beaucoup plus larges à leur lever et à leur coucher que dans le reste de leurs
cours. J'ai toujours des remerciements à vous faire. Vous venez encore d'avoir eu
la bonté de copier les origines fabuleuses des constellations. Je ne savais point que ce
fût une baleine qui fut sortie de la mer pour dévorer Andromède, mon auteur
de mythologie dit seulement que ce fut un monstre. Je ne savais pas non plus que le Grand Chien
eût été placé dans le ciel avec un Renard ; je ne connais même
aucune constellation qui porte le nom de Renard. Quant au Centaure, que vous me dites
être Chiron : quel est donc le Sagittaire dans cette supposition ? Je croyais qu'il
était le centaure Chiron. Je conserve toujours avec soin les lettres où
vous me parlez d'astronomie, ainsi que toutes les autres que je reçois de vous. Mais je
compte copier dans celles là tout ce qui y regarde cette science, pour en faire un petit
cahier à mon loisir, afin de pouvoir toujours repasser dans la suite ce que vous
m'apprenez. Je vois par ce que vous me dites d'Herschel [Uranus] que vous avez bien de la
patience et du courage car il me paraît bien difficile de la trouver sans savoir
positivement sa place, et quand nous la saurions parfaitement, je ne sais comment nous
pourrions la discerner des étoiles voisines, car je vois que pour les autres
planètes j'ai toujours un peu de peine à les distinguer des étoiles
à la vue simple, et je ne trouve pas que la lunette aide beaucoup à cela. Mais
enfin je veux cependant faire mes efforts pour la trouver. Pour vous aider dans cette
recherche, je vous dirai ce que m'en apprend mon almanach de 1789 intitulé
Calendrier de la Cour. Cette planète a été en opposition le 22
janvier 1789, ayant 4sig 3° de longitude. La durée de la
révolution est de 83 ans. Je vous demanderai à cette occasion si vous avez
ouï dire qu'on y eut découvert des satellites. Le même almanach dit
qu'Herschel en découvrit deux en 1787, mais il me semble d'avoir entendu contester la
vérité de cette découverte. Je vous prierai aussi de me dire si l'on ne
fait point pour cette année d'almanach où il y ait un peu d'astronomie comme le
lever et coucher du Soleil et de la Lune, leur longitude etc. Cela me rappelle une envie que
j'ai souvent, c'est d'avoir un livre qui apprenne toutes les nouvelles découvertes
faites dans les sciences depuis un certain temps. Je vois avec peine que vous me donnez
bien peu d'espérance de voir la comète, d'abord à cause de sa petitesse,
en second lieu à cause de sa position. Mais il me semble que pour la dernière
raison, elle est bien douteuse car la tête d'Hercule est encore visible le soir et il me
semble que, d'après les derniers renseignements que vous me donnez, ses pieds sont
encore plus au nord. Ainsi la constellation doit paraître toute entière. Vous
présumez qu'elle est peut-être près du Zodiaque, mais je n'en vois pas la
raison : les comètes, à ce qu'il me semble d'avoir ouï, n'ont aucune
direction affectée et leur cours est quelquefois bien éloigné du plan de
l'écliptique. En lisant et relisant vos lettres, j'y trouve toujours quelque chose
que je n'avais pas d'abord saisi. J'ai vu d'abord sur la position des étoiles, que vous
m'indiquez, que vous les avez placées dans l'ordre de leur ascension droite, ce qui me
donnera beaucoup de facilité pour les retrouver. De plus en comparant vos
différentes lettres j'ai cru comprendre que les premières lettres grecques se
suivent dans cet ordre : α, β, γ, δ, ε, ζ, η. J'ai
ensuite trouvé un alphabet de mon père, où elles sont si mal
formées que j'ai de la peine à les distinguer. J'ai vu dans votre lettre le nom
d'une constellation que je ne connais point, c'est Ophincus. Je vois bien que c'est le
Serpentaire, mais mon auteur l'appelle Ophincus. Mon auteur parle aussi d'une
constellation qui est entre la Grande Ourse et Cassiopée : il l'appelle Giraphe [sic].
Je ne sais point du tout quelle est cette grande bête et je n'en ai rien vu dans Buffon.
Est-ce un animal nouvellement découvert ? Je passe à la première
partie de votre seconde lettre datée du 11. Quant à la partie du 13 je n'aurai
jamais le temps d'y répondre par ce courrier, ce sera pour la semaine prochaine.
L'invention de votre instrument me plaît singulièrement. Je n'aurais jamais cru
qu'avec des moyens aussi simples on pût faire des observations aussi exactes. Je lui
trouve toutes sortes de mérite. Elle a d'abord celui de la simplicité, car je
sens que je pourrais absolument l'exécuter moi-même. Vos méthodes pour
vérifier la position des supports et de la lunette sont faciles et très exactes,
mais ce qu'il y a encore de mieux trouvé, c'est de pouvoir se passer de toute correction
pour les réfractions et même de pendule. Il me semble cependant qu'il faut
toujours un échappement qui aille quelques heures de suite. Car il faut mesurer le temps
que la planète ainsi que l'étoile mettent à aller du vertical au
méridien, qui peut aller jusqu'à 2 ou 3 heures. Dans cette supposition, je
comprends parfaitement comment vous pouvez déterminer la déclinaison. Mais il me
vient une autre idée. Peut-être entendez-vous qu'il suffit d'observer l'intervalle
de temps qui s'écoule entre le passage d'une étoile et d'une planète par
le même méridien. Il me semble en effet que connaissant l'ascension droite de la
planète par le moyen de son passage au méridien, la différence des
instants du passage de la planète et de l'étoile par le vertical doit
déterminer la déclinaison. Et alors comme vous le dites il n'y a pas besoin de
mesurer un temps plus long que de ½ heure. Mais peut-être ne sais-je ce que je
dis, car je n'ai presque point d'idée de la trigonométrie sphérique.
La beauté de votre invention me donne un bien grand regret, c'est celui de ne pouvoir
peut-être pas exécuter un si beau plan. J'y pense continuellement, mais il se
présente tant d'obstacles que je ne crois pas de pouvoir y réussir. 1°. Je
n'ai plus le charpentier. 2°. Je ne puis pas sortir et par conséquent difficilement
faire les vérifications et même construire la machine. 3°. J'ai
éprouvé que j'ai beaucoup de peine à voir les fils de la lunette et je ne
puis point faire de trous pour les éclairer. 4°. Ma soi-disant pendule n'est qu'une
mauvaise horloge qui ne marque pas les minutes et dont les heures ne sont pas bien
égales parce que c'est la roue des heures qui soulève la détente de la
sonnerie, au lieu que ce devrait être une roue des minutes. D'ailleurs elle ne peut pas
se transporter dans mon observatoire qui est le jardin. C'est pour moi un véritable
chagrin de ne pouvoir pas exécuter ce projet, qui m'aurait procuré le plaisir de
travailler avec vous. J'oublie toujours une partie de ce que j'ai à vous dire. Je
voulais vous demander par exemple pourquoi vous avez marqué pour étoiles de
2ème grandeur dans la Grande Ourse ε, β, ζ, α,
γ, μ, tandis que vous n'y avez pas mis δ ? Cette étoile aurait-elle
changé de grandeur ? J'ai remarqué la même chose dans le Lion : vous avez
marqué pour 2ème grandeur β et pour douteuse δ et je ne
vois point γ qui cependant doit passer avant δ. Je vois cependant dans mon auteur
que le Lion a 3 étoiles de 2ème grandeur. Serait-il survenu des
changements considérables à ces étoiles ? Je ne sais quand je
pourrai me remettre à observer les astres. Mais d'un côté le temps se
barbouille et de l'autre la Lune va toujours en agrandissant. Autant je l'aimais autrefois,
autant je la redoute depuis que je cherche les étoiles. Vous ne me parlez point de
vos vers dans vos deux dernières lettres ; vous savez cependant que j'ai toujours
beaucoup de plaisir à en voir. Si vous n'avez pas entièrement abandonné
les muses, faites-moi toujours part de ce qu'elles vous inspirent j'y prends beaucoup
d'intérêt et je lis toujours vos vers avec beaucoup de plaisir, d'autant que je
n'y ai jamais eu la moindre disposition et je suis bien aise de trouver en vous ce qui me
manque. Mon frère en avait un peu plus que moi, mais il n'en faisait pas davantage parce
que cela l'ennuyait. Il me souvient toujours que les veilles de Ste Catherine
[25 novembre] mes sœurs le tourmentaient pour leur en faire, et elles exigeaient cela
d'avance comme le prix de la fête qu'elles nous donnaient ces jours-là. Un soir
qu'on l'avait menacé de retrancher la fête s'il ne trouvait rien à dire en
vers, il leur dit ceux-ci impromptu en jouant au reversi : Demain nous mangerons du
bon café au lait, De nos charmantes sœurs ce sera le bienfait ; Mais
rien n'égalerait notre bonheur extrême, Si le soir à souper nous
avions de la crème. Vous jugez si cela était propre à contenter
nos sœurs. Elles dissimulèrent cependant parfaitement leur mécontentement,
nous régalèrent bien fort le jour, mais le soir elles nous donnèrent pour
crème de la farine jaune dans laquelle il y avait de la coloquinte. Je ne sais,
Monsieur, comment j'ai pu vous écrire toute cette folie, tandis que j'ai encore à
répondre à une de vos lettres. Mais je n'ai pas voulu l'entreprendre parce que je
savais que je n'aurais pas le temps de pousser cette réponse bien loin. Je vous prie de
m'excuser et d'être persuadé que c'est mon attachement pour vous qui est cause que
je vous ennuie par mes questions ; à cause du grand plaisir que j'ai toujours à
prendre des leçons de vous. Je vous embrasse de tout mon cœur.
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Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Bibliothèque de l'Institut de France, MS 3349 (3)
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr995.html
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