Couppier, Jean-Stanislas à Ampère, André-Marie
Au Citoyen Manin, rue Puits du Sel, maison Valton, n° 65, pour remettre au C. Ampère. A Lyon.
[Claveisolles],
Ce mardi 28 7bre [1795] Je suis charmé, Monsieur, de l'exactitude que vous mettez à notre
correspondance. A peine recevez-vous mes lettres que vous vous mettez à y
répondre. Il s'en faut de beaucoup que je sois aussi ponctuel, mais puisque vous voulez
bien vous contenter de ce que je vous envoie, je vais me mettre tout de suite à
répondre à votre dernière lettre, au risque d'avoir bien peu de choses
à vous répondre. Vous me dites dans votre lettre que vous n'avez jamais vu
de balance hydrostatique. J'en puis dire autant que vous là-dessus. Aussi la balance
dont je me sers n'est-elle point hydrostatique ; c'est une balance ordinaire. Je suspens
à l'un des bassins les pierres dont je veux éprouver la pesanteur pour pouvoir
les peser dans l'eau. Je me sers pour cela d'un crin. Je regrette bien que vous ne
puissiez pas travailler à votre poème. J'espère toujours qu'il viendra un
moment plus favorable. En attendant, je suis persuadé que vous avez une idée
beaucoup trop désavantageuse de vous-même et je ne m'en reporte point à
votre jugement là-dessus. Quant au travail que vous avez fait succéder à
la poésie, il n'est point ridicule, comme vous voudriez le faire croire. Ce serait
vraiment une chose bien intéressante qu'une langue de cette nature. Il est fâcheux
qu'il soit si difficile de faire accorder les hommes, même les savants, pour les choses
qui leur seraient si utiles. Quant au ballon que vous m'avez dit avoir vu élever,
il fallait que son enveloppe fût bien légère. J'ai calculé qu'elle
ne devait pas peser plus [d’une] demi livre avec le réchaud et les combustibles.
Au reste, je sais bien qu'on en a souvent élevé d'aussi petits. Je n'ose
cependant pas en entreprendre un pareil, parce que je ne sais où trouver du papier assez
léger pour cela. Je suis charmé, Monsieur, de m'être trouvé
d'accord avec vous sur la manière d'entendre la méthode de M. Deluc. En finissant
mon avant-dernière lettre, il me vint l'idée de voir si M. de Saussure n'aurait
point pris un moyen proportionnel arithmétique entre les hauteurs du thermomètre
dans les deux stations, et je fus bien content de voir que, par ce moyen, j'amenais le
même résultat que M. de Saussure. Je crois comme vous que ce n'est pas le
hasard qui m'a donné le même
ce résultat. Quant à la correction à faire aux observations du
baromètre à cause de la dilatation du mercure par la chaleur, je suis
étonné que vous n'ayez pas trouvé l'expérience que je vous ai
citée dans l'Encyclopédie. Je l'ai vue en deux endroits, à l'article
Balance hydrostatique, ou à celui Pesanteur spécifique et au
mot Mercure. A la vérité je n'ai pas à la Terrière la
même édition de l'Encyclopédie que vous avez et que j'avais à Lyon ;
mais je crois qu'elle ne contient à peu près que les mêmes choses.
Quant à la résistance des bois, il me semble que la conséquence que vous
tirez de l'expérience de la pièce de bois à laquelle on donne un trait de
scie n'est pas exacte. Car j'ai cru comprendre que, dans votre théorie, vous supposiez
que l'allongement des fibres était proportionnel à leur distance au point b [voir
figure sur fac-similé], de sorte que vous considérez le point b comme le centre
du mouvement des parties des fibres. Mais je doute fort qu'il en soit ainsi. Je croirais au
contraire que le centre de mouvement est entre b et c. En effet l'expérience apprend que
la fibre qui correspond au point b se raccourcit. Elle ne peut donc pas être le centre de
mouvement, ce doit être celle qui ne se raccourcit ni ne s'allonge. Or cette fibre doit
être entre c et b. Pour vous faire comprendre mon idée, supposez la pièce
de bois à laquelle on n'a point donné de coup de scie. Il doit s'y trouver un
point quelconque c autour duquel se fait tout le mouvement, de sorte que toutes les fibres
entre a et c s'allongent, tandis que celles entre b et c se raccourcissent. De sorte que
l'allongement des fibres supérieures est proportionnel à leurs distances du point
e. Mais il n'y a que l'expérience qui puisse apprendre la position du point c. En
lisant les expériences de Buffon, j'avais d'abord pensé comme vous que la
différence de la théorie à ses expériences pouvait venir de ce
qu'il n'avait point égard au poids des pièces de bois. Mais j'ai vu le contraire,
[car] quoiqu'il ne fasse point entrer le poids des pièces dans ses calculs, il le met
cependant en note, et j'ai vu qu'en l'ajoutant aux charges qu'il donne, cela ne rend les
résultats guère plus conformes à la théorie.
L'expérience à faire sur une poulie qu'on tirerait par les deux bouts pour la
casser n'est pas possible à la vérité sur une grosse pièce. Mais
elle est bien facile sur une petite. Il suffit pour cela d'attacher avec une grosse corde un
petit morceau de bois dont on peut laisser les bouts tant gros qu'on veut afin que la corde ne
glisse pas. Je compte faire cette expérience et pour cela j'attacherai la corde ba [voir
figure sur le fac-similé] à un point fixe, tel que a. J'attacherai le bout de
l'autre corde au crochet d d'une [balance] romaine. J'attacherai à un point fixe f, une
corde dont l'autre bout sera attaché au crochet e. Le point où il faudra porter
le poids p indiquera le nombre de livres la
force avec laquelle la pièce de bois est tirée, en y ajoutant cependant le poids
entier de la romaine. Vous avez bien de la bonté, Monsieur, de vouloir me
prêter votre ouvrage de botanique. Je reconnais bien là votre attention à
tout ce qui peut me faire plaisir. Je ne suis pas dans le cas de profiter de votre complaisance
parce que je ne pourrais guère me servir à présent de cet ouvrage.
Lorsque je vous en parlai, mon intention était plutôt d'avoir un livre de plus
dans ma bibliothèque que de m'en servir beaucoup dans le moment, car il y a bien peu de
plantes en fleurs dans cette saison. Depuis ce temps-là, M. [Meda] médecin est
retourné à Lyon et je compte sur lui pour m'aider à reconnaître les
plantes qui ne sont pas en fleur. Ainsi, vous voyez que cet ouvrage ne me serait pas d'une
grande utilité. Je vous prie de croire que j'aurai cependant la même
reconnaissance de votre bonne volonté. Vous m'avez appris bien des choses sur la
réfraction terrestre, que je ne connaissais point. La méthode que vous me donnez
pour calculer la réfraction me paraît exacte, en supposant que la courbe
décrite dans l'atmosphère soit un arc de cercle, comme M. de Lalande le suppose, quand il dit qu'il faut diminuer d'1/7 les différences de
niveau vrai au niveau apparent. Il me paraît cependant que cette courbe ne doit
guère être régulière, vu la multitude de circonstances qui font
varier la densité de l'atmosphère. Peut-être que, sur une grande hauteur,
il en naîtrait une erreur considérable. Ce qui me manque pour faire usage de votre
méthode, c'est une table des réfractions célestes. Vous me rendriez bien
service, si vous pouviez m'envoyer un petit extrait de celle de M. de Lalande ou d'un autre
auteur. C'est bien abuser de votre complaisance que de vous demander une chose aussi ennuyeuse,
qu'une table à copier. Mais pour ne pas vous donner une peine inutile, vous pourriez la
mettre fort abrégée, comme de 2 en 2 ou de 3 en 3 degrés et pas
au-delà de 30 ou 40 degrés. Comme je désirerais me former une petite
bibliothèque de livres de science, vous me feriez plaisir de m'envoyer par écrit
le titre de l'Astronomie de M. de Lalande que vous avez, de me marquer le nombre des volumes,
l'année où elle a été imprimée, et si c'est la meilleure
édition. Je compte faire faire au plus tôt un quart de cercle en bois
couvert de papier d'un pied de rayon pour mesurer différentes hauteurs. Je ne compte pas
assez sur l'exactitude d'un graphomètre en cuivre que j'ai, pour faire ces
observations. Vous voyez, Monsieur, que quand je vous écris c'est toujours pour
vous ennuyer par une multitude de demandes, mais je sais que votre amitié pour moi
excusera mon indiscrétion. Mon chagrin est de ne pas pouvoir vous être utile, mais
je vous prie de croire que ce n'est que [les] occasions qui me manquent pour vous prouver mon
[coupure] et que rien ne pourra jamais diminuer l'attachement que j'ai pour vous. Il me
vient dans l'esprit une question à vous faire. Sauriez-vous me dire pourquoi la
Convention a préféré faire de l'an 3 une année sextile en ajoutant
un jour aux 5 complémentaires, au lieu d'attendre à l'année prochaine ?
Quant à moi, je ne vois pas plus de raison pour l'un que pour l'autre. Comme je
m'occupe un peu dans ce moment d'astronomie, c'est-à-dire que je cherche à
reconnaître les constellations, je serais bien aise de savoir d'où l'on compte
l'ascension droite. Vous savez mieux que moi que l'équinoxe du printemps
correspondait autrefois à la première étoile du Bélier. Maintenant
elle ne répond plus qu'au commencement de la constellation du Taureau. Je voudrais
savoir si l'on compte maintenant l'ascension droite du point où l'écliptique
coupe l'équateur, c'est-à-dire du 1er degré du Taureau, ou comme autrefois
de la première étoile du Bélier. J'ai une occasion pour faire partir
cette lettre dans le moment. Au lieu de vous écrire plus longuement j'en profiterai pour
vous faire parvenir ma lettre plus tôt. Daignez faire agréer l'assurance de
mes respects à Made votre mère. Mon adresse est toujours la même.
Ce vendredi 2 8bre.
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Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Bibliothèque de l'Institut de France, MS 3349 (3) [Traces de tampon : "Beaujeu" (-en-Beaujolais).]
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr988.html
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