Couppier, Jean-Stanislas à Ampère, André-Marie
A Lyon,
le 2 mai 1793. Je ne sais, Monsieur, comment vous avez pu répondre à ma lettre aussi
promptement que vous l'avez fait. J'aurais bien souhaité correspondre à votre
exactitude, mais je n'ai pu me mettre à méditer votre lettre que quelques jours
après l'avoir reçue, et comme mon esprit est lent dans ses opérations, je
n'ai entrepris d'y répondre qu'après y avoir réfléchi quelque
temps. Vous avez bien tort de me louer dans la solution des problèmes que vous m'avez
proposé. Elle ne montre pas de trop grandes connaissances et s'il faut vous l'avouer
franchement, je n'ai pas trop compris ce que j'ai fait, car ayant lu il y a quelque temps les
premières pages de Bézout sur cette espèce de calcul et y ayant cru voir,
faute d'application, des difficultés qui n'y étaient pas, j'en suis resté
là de cette étude intéressante. Mais les formules ne m'en sont pas moins
restées gravées dans l'esprit. C'est avec ces formules et sans avoir bien saisi
les propositions qui les amenaient que j'ai résolu les problèmes dont vous me
parlez, aussi n'est-ce pas sans travail. La remarque que vous me faites sur les puissances des
termes à différentier simplifie bien le travail dans le cas où il s'y
trouve des racines. Elle m'aurait bien aidé dans la solution de quelques
problèmes dont je ne suis pas venu à bout, faute de cette idée, et elle me
sera désormais d'une grande utilité. Quant au problème du vase de la
plus grande contenance, sans examiner encore quelle en doit être la solution, je crois
pouvoir vous démontrer que ce n'est pas le vase sphérique qui remplit cet objet,
comme vous l'aviez d'abord imaginé. En effet [voir figure sur fac-similé]
soit le vase abef, et supposons pour un moment qu'à la place de la calotte
sphérique aeb, nous substituions la partie de cylindre acbd, qui a la même hauteur
que la calotte, c'est-à-dire le rayon de la sphère. Nous aurons alors
évidemment un vase plus grand et cependant il aura la même surface que le vase
sphérique. Car s'il me souvient encore de la géométrie, la surface d'une
calotte sphérique est égale au produit du grand cercle de la sphère par la
hauteur de cette calotte. Il en est de même du cylindre, c'est-à-dire que sa
surface latérale est égale au produit du cercle de sa base par sa hauteur. Donc
les deux vases auront la même surface, or celui à qui nous substituons une portion
de cylindre est d'une plus grande contenance. Dans
cette démonstration je n'ai pas réfléchi qu'au lieu de convertir la
moitié de la sphère en cylindre, je pouvais la convertir toute entière,
elle aurait été plus simple encore. Comme il me semble que la
solidité d'une sphère est les deux tiers de celle du cylindre de même base
et même hauteur, la contenance du premier vase sera à celle du second comme 4 est
à 5. Quoique je crois avoir démontré que votre solution n'était pas
juste, il y a cependant une supposition qui la rendrait telle : c'est celle où l'on
voudrait envelopper entièrement la matière contenue. Quant au problème du
vase cylindrique, je n'ai pas pu le résoudre et je vais vous montrer pourquoi. Appelant
a la solidité [le volume], il faudra diviser a par la surface de la base pour avoir la
hauteur du côté. Le diamètre de la base étant supposé
égal à x, sa surface sera bx²/4 en appelant b la quantité par
laquelle il faut multiplier le diamètre pour avoir la circonférence. Divisant
donc a par bx²/4 , nous aurons 4a/bx² pour expression du côté c,
c'est-à-dire de la hauteur du cylindre. Il faut multiplier ce même
côté par bx, circonférence de la base, afin d'avoir la surface
latérale qui est 4abx/bx². Y ajoutant la surface de la base que nous avons
trouvée bx², nous aurions 4abx/bx² + bx²/4, qui doit être un
minimum. Mais il se trouve dans l'expression de cette quantité, un b qui exprime le
rapport du rayon à la circonférence. Ce rapport étant
indéterminable, je n'ai pu différentier. La même difficulté m'a
empêché de résoudre le problème du vase cônique. Pour ce
qui regarde le cerf-volant, je vous avouerai qu'en lisant votre lettre je n'ai pas d'abord
été convaincu de ce que vous me disiez que le cerf-volant ne pouvait
s'élever lorsque ses centres de figure et de gravité étant confondus, on
attachait la ficelle au-dessus. Et j'étais sur le point de vous attaquer sur cet article
une seconde fois, parce que je souffrais véritablement de ne pouvoir découvrir la
vérité. Mais j'ai eu ensuite une véritable satisfaction de voir que vos
raisons étaient évidentes. Ce qui me faisait illusion, c'est que voyant une force
qui tendait à élever le cerf-volant dans ce cas, je ne faisais point attention
que la pesanteur du cerf-volant y opposait une résistance précisément
égale à cette force. Dans le problème du vent infini, pour vous dire
franchement la vérité, je n'ai point saisi la théorie que vous avez eu la
bonté de m'envoyer sur le cerf-volant, parce que l'ayant reçue dans un temps
où je n'avais pas encore lu les premiers éléments du calcul
différentiel, je n'ai fait aucune attention aux principes de cette théorie, je
n'ai examiné que la seule équation qui renfermait la solution. Mais maintenant
que je commence à comprendre quelque chose à ce calcul différentiel, je
pourrai reprendre à loisir toute cette théorie, ainsi que celle des ailes de
moulin à vent. Car je vous avouerai encore que c'est faute de l'avoir examinée,
que je n'y ai pas vu la solution du cas où l'angle est déterminé et
où l'on ne considère qu'un point de l'aile. Effarouché par ces
différentielles que je ne connaissais pas encore, je n'avais fait attention qu'aux
résultats. Ce qui m'a induit en erreur dans la fausse solution que je vous ai
envoyée, c'est que sans l'avoir approfondi, je supposais qu'il fallait toujours pour le
maximum que la vitesse du vent pour choquer fût les deux tiers de sa vitesse totale. Cela
n'a lieu que lorsque le choc est direct et non point dans le cas des moulins à vent
ordinaires que nous examinons. Ainsi je suis pleinement convaincu de mon erreur et je suis
charmé que vous me l'ayez fait découvrir. Mais je n'ai pas eu moins de plaisir
à voir que vous ameniez comme moi un résultat qui paraît absurde, ou du
moins si singulier qu'on ne peut se déterminer à croire que ce soit là la
vérité. D'autant qu'il paraît directement contraire à
l'expérience, car quoiqu'on varie dans la pratique et même beaucoup, je ne crois
pas qu'on ait fait de moulin dont les ailes fussent inclinées de plus de 75
degrés. Quant à ce [que] vous dites qu'il faudrait avoir égard au temps
que l'aile emploie à acquérir toute sa vitesse, cela ne pourrait s'appliquer
à l'usage ordinaire parce qu'en supposant
l'angle d'inclinaison sinon de 90° du moins approchant qu'il n'en coûterait
pas beaucoup au meunier pour mettre son moulin en mouvement et que lui ayant une fois
procuré cette vitesse, le vent la maintiendrait. Cependant je ne regarde pas cette
absurdité comme certaine. Il nous reste encore un moyen de faire cadrer notre
théorie avec l'expérience ; car nous supposons pour avoir notre maximum que nous
pouvons faire varier l'impulsion ainsi que la vitesse tant que nous voulons. Or cela n'est pas
exactement vrai, car il y a une partie de la résistance qui ne peut changer, c'est le
frottement qui vient des tourillons de l'arbre du moulin. Il est déterminé par le
poids de cet arbre et des ailes, et par la grosseur même des tourillons. Ainsi il faut
donc nécessairement supposer une petite partie de la résistance
déterminée et le reste variable. Cela produira alors une nouvelle théorie,
que je vous prie d'examiner, mais je ne la regarde pas encore comme bien certaine.
Monsieur votre père s'est donné lui-même la peine de m'apporter votre
lettre et, en me la remettant, il me demanda un échantillon de ficelle pour un
cerf-volant. Je lui en remis un mais je crains bien de l'avoir induit en erreur, parce que je
ne fis pas attention que c'était pour entrelacer avec des fils de métal, et pour
ce cas-là il fallait simplement un certain nombre de fils [?ronds] ; 6 ou 8 peuvent
suffire pour un cerf-volant de dix pieds de surface, car j'en ai élevé un d'un
pied de surface à une très grande hauteur avec un seul fil et il avait de la
force de reste lorsqu'il n'était pas usé. Quant aux expériences que vous
comptez faire avec ce cerf-volant, je les crois un peu dangereuses car j'ai lu il y a quelques
temps, je ne sais où, qu'un physicien ayant élevé un cerf-volant de cette
espèce lorsqu'il passait un nuage très épais et l'ayant isolé avec
des cordons de soie, lorsqu'il approchait du conducteur un corps électrique par
communication seulement à la distance de 6 pieds il en tirait des étincellescolonnes de feu plus grosses que
le pouce et qui faisaient le bruit d'un coup de pistolet. D'après cette
expérience il me paraît qu'il est bien difficile de se garantir de ces feux et
qu'il serait prudent de n'élever jamais le cerf-volant quand il tonne ou que le ciel est
bien chargé de nuages. Je me rappelle que dans votre première lettre vous
me citiez un auteur qui prétendait qu'une queue plate ajoutée à un
cerf-volant le faisait élever plus haut. Il m'est venu depuis une idée qui m'a
convaincu du contraire. En effet si [cette queue] tendait à élever le
cerf-volant, ce serait ou en lui procurant un angle plus favorable, ou bien par l'impulsion
qu'elle reçoit du vent. Or ce ne peut pas être en faisant l'angle car, pourvu que
le centre de gravité soit au-dessous de celui d'impulsion, le cerf-volant pendra
toujours l'angle le plus favorable, donc en premier lieu etc. En second lieu ce n'est pas
directement par l'impulsion qu'elle reçoit du vent, car cet auteur supposant que c'est
une simple bande de toile rectangulaire, son centre de gravité est confondu avec le
centre d'impulsion et comme elle est attachée par un point autour duquel elle est
supposée pouvoir tourner, elle est précisément dans le cas du cerf-volant.
Donc le vent, par son impulsion, ne tend point à la faire élever, donc en second
lieu etc. Il doit arriver au contraire qu'elle [fasse] un petit obstacle à
l'élévation du cerf-volant par son poids. Ce n'est pas que je ne crois une queue
nécessaire à un cerf-volant, surtout lorsque le vent est violent, pour les
empêcher de culbuter, mais c'est une queue faite comme on les fait ordinairement et qui
empêche le cerf-volant de culbuter seulement. Car au lieu de l'élever, elle tend
à l'abaisser, car les petits flocons de papier qui la composent présentant des
surfaces dans tous les sens font l'effet d'une surface verticale. [voir figure sur
fac-similé]. Par conséquent l'effort du vent qui les choque tire le cerf-volant
dans la direction horizontale df qui, faisant un angle avec la direction cd de la ficelle, ne
peut qu'abaisser le cerf-volant. Je souhaiterais bien, Monsieur, pouvoir vous envoyer
quelque problème bien compliqué, en revanche de ceux que vous avez eu la
bonté de me communiquer. Mais, ceux que je pourrais trouver dans les auteurs que j'ai,
vous sont connus ou sont de la dernière simplicité. Le traité même
de Bélidor sur lequel je comptais pour cela ne contient
pas même les éléments du calcul intégral qui n'était pas
connu de son temps. Ainsi je vous prie de vouloir bien m'excuser et de n'en être pas
moins persuadé du sincère attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur,
Couppier.
if ($lang=="fr" AND $val['bookId'] < '834') { print "Lettre publiée dans "; } ?>
if ($lang=="en" AND $val['bookId'] < '834') { print "Publish in :"; } ?>
Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 333
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr979.html
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