@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

[Accueil] [Plan du site]

Une nouvelle plateforme est en cours de construction, avec de nouveaux documents et de nouvelles fonctionnalités, et dans laquelle les dysfonctionnements de la plateforme actuelle seront corrigés.

@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L979

Accueil de la correspondance | Retour aux résultats
lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr979.html

Index des noms de personnes

Couppier, Jean-Stanislas      à      Ampère, André-Marie


A Lyon, le 2 mai 1793.

Je ne sais, Monsieur, comment vous avez pu répondre à ma lettre aussi promptement que vous l'avez fait. J'aurais bien souhaité correspondre à votre exactitude, mais je n'ai pu me mettre à méditer votre lettre que quelques jours après l'avoir reçue, et comme mon esprit est lent dans ses opérations, je n'ai entrepris d'y répondre qu'après y avoir réfléchi quelque temps. Vous avez bien tort de me louer dans la solution des problèmes que vous m'avez proposé. Elle ne montre pas de trop grandes connaissances et s'il faut vous l'avouer franchement, je n'ai pas trop compris ce que j'ai fait, car ayant lu il y a quelque temps les premières pages de Bézout sur cette espèce de calcul et y ayant cru voir, faute d'application, des difficultés qui n'y étaient pas, j'en suis resté là de cette étude intéressante. Mais les formules ne m'en sont pas moins restées gravées dans l'esprit. C'est avec ces formules et sans avoir bien saisi les propositions qui les amenaient que j'ai résolu les problèmes dont vous me parlez, aussi n'est-ce pas sans travail. La remarque que vous me faites sur les puissances des termes à différentier simplifie bien le travail dans le cas où il s'y trouve des racines. Elle m'aurait bien aidé dans la solution de quelques problèmes dont je ne suis pas venu à bout, faute de cette idée, et elle me sera désormais d'une grande utilité.
Quant au problème du vase de la plus grande contenance, sans examiner encore quelle en doit être la solution, je crois pouvoir vous démontrer que ce n'est pas le vase sphérique qui remplit cet objet, comme vous l'aviez d'abord imaginé. En effet [voir figure sur fac-similé]
soit le vase abef, et supposons pour un moment qu'à la place de la calotte sphérique aeb, nous substituions la partie de cylindre acbd, qui a la même hauteur que la calotte, c'est-à-dire le rayon de la sphère. Nous aurons alors évidemment un vase plus grand et cependant il aura la même surface que le vase sphérique. Car s'il me souvient encore de la géométrie, la surface d'une calotte sphérique est égale au produit du grand cercle de la sphère par la hauteur de cette calotte. Il en est de même du cylindre, c'est-à-dire que sa surface latérale est égale au produit du cercle de sa base par sa hauteur. Donc les deux vases auront la même surface, or celui à qui nous substituons une portion de cylindre est d'une plus grande contenance. Dans cette démonstration je n'ai pas réfléchi qu'au lieu de convertir la moitié de la sphère en cylindre, je pouvais la convertir toute entière, elle aurait été plus simple encore.
Comme il me semble que la solidité d'une sphère est les deux tiers de celle du cylindre de même base et même hauteur, la contenance du premier vase sera à celle du second comme 4 est à 5. Quoique je crois avoir démontré que votre solution n'était pas juste, il y a cependant une supposition qui la rendrait telle : c'est celle où l'on voudrait envelopper entièrement la matière contenue. Quant au problème du vase cylindrique, je n'ai pas pu le résoudre et je vais vous montrer pourquoi. Appelant a la solidité [le volume], il faudra diviser a par la surface de la base pour avoir la hauteur du côté. Le diamètre de la base étant supposé égal à x, sa surface sera bx²/4 en appelant b la quantité par laquelle il faut multiplier le diamètre pour avoir la circonférence. Divisant donc a par bx²/4 , nous aurons 4a/bx² pour expression du côté c, c'est-à-dire de la hauteur du cylindre. Il faut multiplier ce même côté par bx, circonférence de la base, afin d'avoir la surface latérale qui est 4abx/bx². Y ajoutant la surface de la base que nous avons trouvée bx², nous aurions 4abx/bx² + bx²/4, qui doit être un minimum. Mais il se trouve dans l'expression de cette quantité, un b qui exprime le rapport du rayon à la circonférence. Ce rapport étant indéterminable, je n'ai pu différentier. La même difficulté m'a empêché de résoudre le problème du vase cônique.
Pour ce qui regarde le cerf-volant, je vous avouerai qu'en lisant votre lettre je n'ai pas d'abord été convaincu de ce que vous me disiez que le cerf-volant ne pouvait s'élever lorsque ses centres de figure et de gravité étant confondus, on attachait la ficelle au-dessus. Et j'étais sur le point de vous attaquer sur cet article une seconde fois, parce que je souffrais véritablement de ne pouvoir découvrir la vérité. Mais j'ai eu ensuite une véritable satisfaction de voir que vos raisons étaient évidentes. Ce qui me faisait illusion, c'est que voyant une force qui tendait à élever le cerf-volant dans ce cas, je ne faisais point attention que la pesanteur du cerf-volant y opposait une résistance précisément égale à cette force. Dans le problème du vent infini, pour vous dire franchement la vérité, je n'ai point saisi la théorie que vous avez eu la bonté de m'envoyer sur le cerf-volant, parce que l'ayant reçue dans un temps où je n'avais pas encore lu les premiers éléments du calcul différentiel, je n'ai fait aucune attention aux principes de cette théorie, je n'ai examiné que la seule équation qui renfermait la solution. Mais maintenant que je commence à comprendre quelque chose à ce calcul différentiel, je pourrai reprendre à loisir toute cette théorie, ainsi que celle des ailes de moulin à vent. Car je vous avouerai encore que c'est faute de l'avoir examinée, que je n'y ai pas vu la solution du cas où l'angle est déterminé et où l'on ne considère qu'un point de l'aile. Effarouché par ces différentielles que je ne connaissais pas encore, je n'avais fait attention qu'aux résultats. Ce qui m'a induit en erreur dans la fausse solution que je vous ai envoyée, c'est que sans l'avoir approfondi, je supposais qu'il fallait toujours pour le maximum que la vitesse du vent pour choquer fût les deux tiers de sa vitesse totale. Cela n'a lieu que lorsque le choc est direct et non point dans le cas des moulins à vent ordinaires que nous examinons. Ainsi je suis pleinement convaincu de mon erreur et je suis charmé que vous me l'ayez fait découvrir. Mais je n'ai pas eu moins de plaisir à voir que vous ameniez comme moi un résultat qui paraît absurde, ou du moins si singulier qu'on ne peut se déterminer à croire que ce soit là la vérité. D'autant qu'il paraît directement contraire à l'expérience, car quoiqu'on varie dans la pratique et même beaucoup, je ne crois pas qu'on ait fait de moulin dont les ailes fussent inclinées de plus de 75 degrés. Quant à ce [que] vous dites qu'il faudrait avoir égard au temps que l'aile emploie à acquérir toute sa vitesse, cela ne pourrait s'appliquer à l'usage ordinaire parce qu'en supposant l'angle d'inclinaison sinon de 90° du moins approchant qu'il n'en coûterait pas beaucoup au meunier pour mettre son moulin en mouvement et que lui ayant une fois procuré cette vitesse, le vent la maintiendrait. Cependant je ne regarde pas cette absurdité comme certaine. Il nous reste encore un moyen de faire cadrer notre théorie avec l'expérience ; car nous supposons pour avoir notre maximum que nous pouvons faire varier l'impulsion ainsi que la vitesse tant que nous voulons. Or cela n'est pas exactement vrai, car il y a une partie de la résistance qui ne peut changer, c'est le frottement qui vient des tourillons de l'arbre du moulin. Il est déterminé par le poids de cet arbre et des ailes, et par la grosseur même des tourillons. Ainsi il faut donc nécessairement supposer une petite partie de la résistance déterminée et le reste variable. Cela produira alors une nouvelle théorie, que je vous prie d'examiner, mais je ne la regarde pas encore comme bien certaine.
Monsieur votre père s'est donné lui-même la peine de m'apporter votre lettre et, en me la remettant, il me demanda un échantillon de ficelle pour un cerf-volant. Je lui en remis un mais je crains bien de l'avoir induit en erreur, parce que je ne fis pas attention que c'était pour entrelacer avec des fils de métal, et pour ce cas-là il fallait simplement un certain nombre de fils [?ronds] ; 6 ou 8 peuvent suffire pour un cerf-volant de dix pieds de surface, car j'en ai élevé un d'un pied de surface à une très grande hauteur avec un seul fil et il avait de la force de reste lorsqu'il n'était pas usé. Quant aux expériences que vous comptez faire avec ce cerf-volant, je les crois un peu dangereuses car j'ai lu il y a quelques temps, je ne sais où, qu'un physicien ayant élevé un cerf-volant de cette espèce lorsqu'il passait un nuage très épais et l'ayant isolé avec des cordons de soie, lorsqu'il approchait du conducteur un corps électrique par communication seulement à la distance de 6 pieds il en tirait des étincellescolonnes de feu plus grosses que le pouce et qui faisaient le bruit d'un coup de pistolet. D'après cette expérience il me paraît qu'il est bien difficile de se garantir de ces feux et qu'il serait prudent de n'élever jamais le cerf-volant quand il tonne ou que le ciel est bien chargé de nuages.
Je me rappelle que dans votre première lettre vous me citiez un auteur qui prétendait qu'une queue plate ajoutée à un cerf-volant le faisait élever plus haut. Il m'est venu depuis une idée qui m'a convaincu du contraire. En effet si [cette queue] tendait à élever le cerf-volant, ce serait ou en lui procurant un angle plus favorable, ou bien par l'impulsion qu'elle reçoit du vent. Or ce ne peut pas être en faisant l'angle car, pourvu que le centre de gravité soit au-dessous de celui d'impulsion, le cerf-volant pendra toujours l'angle le plus favorable, donc en premier lieu etc. En second lieu ce n'est pas directement par l'impulsion qu'elle reçoit du vent, car cet auteur supposant que c'est une simple bande de toile rectangulaire, son centre de gravité est confondu avec le centre d'impulsion et comme elle est attachée par un point autour duquel elle est supposée pouvoir tourner, elle est précisément dans le cas du cerf-volant. Donc le vent, par son impulsion, ne tend point à la faire élever, donc en second lieu etc. Il doit arriver au contraire qu'elle [fasse] un petit obstacle à l'élévation du cerf-volant par son poids. Ce n'est pas que je ne crois une queue nécessaire à un cerf-volant, surtout lorsque le vent est violent, pour les empêcher de culbuter, mais c'est une queue faite comme on les fait ordinairement et qui empêche le cerf-volant de culbuter seulement. Car au lieu de l'élever, elle tend à l'abaisser, car les petits flocons de papier qui la composent présentant des surfaces dans tous les sens font l'effet d'une surface verticale. [voir figure sur fac-similé]. Par conséquent l'effort du vent qui les choque tire le cerf-volant dans la direction horizontale df qui, faisant un angle avec la direction cd de la ficelle, ne peut qu'abaisser le cerf-volant.
Je souhaiterais bien, Monsieur, pouvoir vous envoyer quelque problème bien compliqué, en revanche de ceux que vous avez eu la bonté de me communiquer. Mais, ceux que je pourrais trouver dans les auteurs que j'ai, vous sont connus ou sont de la dernière simplicité. Le traité même de Bélidor sur lequel je comptais pour cela ne contient pas même les éléments du calcul intégral qui n'était pas connu de son temps. Ainsi je vous prie de vouloir bien m'excuser et de n'en être pas moins persuadé du sincère attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,

Couppier.



  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 333


Voir le fac-similé :
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr979.html

© 2005 CRHST/CNRS, conditions d'utilisation. Directeur de publication : Christine Blondel. Responsable des développements informatiques : Stéphane Pouyllau ; hébergement Huma-Num-CNRS