Couppier, Jean-Stanislas à Ampère, André-Marie
[Lyon],
[26 avril 1793] J'ai reçu, Monsieur, les deux lettres que vous avez eue la bonté de
m'écrire. Monsieur votre père s'est donné lui-même la peine de me
les apporter. J'ai admiré la manière dont vous avez résolu le
problème du cerf-volant en y faisant entrer le choc du vent contre la ficelle. J'en
aurais cru la solution bien plus compliquée ; ainsi que celle de la courbure de la
corde, les conclusions que vous en tirez sont intéressantes. Quant à celle que le
cerf-volant est à sa plus grande hauteur lorsque la partie inférieure de la corde
est horizontale, je l'avais soupçonné depuis longtemps, mais je n'avais pas
aperçu la raison simple que vous en donnez. Elle est certainement de la dernière
évidence et le calcul algébrique s'accorde parfaitement avec le raisonnement. En
ce point, d'après la théorie complète que vous avez donnée sur
toute cette matière, on peut faire servir le cerf-volant à mesurer exactement la
vitesse du vent à différentes hauteurs au-dessus de la Terre. En relisant
tout votre travail, je me suis arrêté sur un point sur lequel je ne me trouve pas
d'accord avec vous. Je pense que cela vient de ce que je ne l'ai pas compris, mais je prends la
hardiesse de vous faire mes observations là-dessus, dans l'espérance que vous
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=47&typeofbookDes=Manuscr
voudrez bien me tirer de l'incertitude où je suis. [voir figure sur
fac-similé] Soit le cerf-volant ; vous prétendez que si le point c, centre de
figure et par conséquent de choc, se trouvait confondu avec le point g centre de
gravité, l'impulsion du vent ferait tourner le cerf-volant autour du point d de
manière à le culbuter. Il me paraît au contraire que pourvu que le point d
soit plus près de la tête que le point c, le cerf-volant gardera toujours une
position moyenne entre la direction du vent, ou l'horizon, et la perpendiculaire. D'abord il ne
restera pas perpendiculaire à l'horizon, à cause de l'impulsion du vent dans la
direction cc qui tend à l'éloigner de la perpendiculaire. Il ne pourrait pas non
plus suivre la direction du vent, c'est-à-dire l'horizontale, car alors il ne serait
plus exposé à l'action du vent et par conséquent la force gg qui vient de
la pesanteur abaisserait la queue jusqu'à ce qu'elle se trouvât en
équilibre avec la force cc, donc etc. Il me paraît donc que quelque position
qu'aient entre eux les centres de gravité et de figure, il y a toujours un point ou en y
attachant la ficelle, le cerf-volant s'élèvera et s'élèvera
même le plus haut possible. Aussitôt votre lettre reçue, je me suis
occupé à résoudre les problèmes que vous avez eu la bonté de
m'y proposer. Je n'ai pas eu beaucoup de peine à résoudre les deux derniers, mais
j'ai échoué au premier parce qu'après avoir différencié, il
me restait une équation du second degré dont je n'ai pu venir à bout, tant
j'ai oublié les mathématiques, et je vous avouerai que je n'ai pas le courage de
les repasser, parce que je suis perpétuellement dérangé. Pour cela il
faudrait que je fus comme vous tranquille à la campagne ; je trouve l'air de la ville
mauvais pour les mathématiques. Solution du 2d
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=48&typeofbookDes=Manuscr
problème. [figure rayée, voir fac-similé]. [voir
figure sur fac-similé] Soit bc la hauteur du cylindre inscrit, égale
[à] x. Dans le triangle rectangle abc, nous aurons ab² = 1 – x²,
appelant 1 le diamètre. C'est donc le produit de x par (1-x²) qui doit
être un maximum, c'est-à-dire x – x3. La
différentielle est dx – 3x² dx qui égale 0. Effaçant dx,
nous aurons 1 – 3x² = 0 ou 1 = 3x², dégageant x, x = √(1/3).
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=49&typeofbookDes=Manuscr
Troisième problème. [voir
figure sur fac-similé] Soit ad la hauteur du cône que nous nommerons
algébriquement x. Dans le triangle rectangle cdf formé par le rayon = 1,
par dc moitié de la base, et par df différence dx au rayon = 1, nous aurons
dc² = 1 – le carré de df qui est x² - 2x + 1 , donc dc²
égale 1 – 1 – x² + 2x ou bien 2x – x², qui est l'expression
de la moitié de la base. Multipliant par x la hauteur, nous aurons 2x² -
x3 qui doit être un maximum ; par conséquent 4x.dx – 3x².dx
= 0 ; effaçant dx : 4x – 3x² = 0, ou 4x = 3x² ; faisant la
réduction il vient x = 4/3. Depuis que j'ai commencé ma lettre je
suis revenu à votre premier problème dont je crois avoir trouvé la
solution. Je ne la donne cependant qu'en tremblant car je suis si peu apprivoisé aux
différentielles, que je me suis égaré je ne sais combien de fois.
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=49&typeofbookDes=Manuscr
Solution du 1er problème. [voir
figure sur fac-similé] Soit abc le cône, df le plan coupant dont nous
appellerons la longueur x algébriquement, c'est-à-dire la ligne df. A
cause des triangles semblables abc, cdf, nous aurons ab : ac :: df : fc . Appelant h la
ligne ab, et faisant ac égale à 2 à cause du rayon que nous faisons
égal à 1, notre proportion deviendra h : 2 [::] x : 2x/h. Or dans la
seconde figure qui représente la base du cône, nous avons le triangle rectangle
formé par le rayon og = 1, la ligne fc = 2x/h – 1 et la ligne fg dont le
carré égale og² - fc² c'est-à-dire 1 – 4x²/h² +
4x/h – 1 = 4x/h – 4x²/h², donc fg = √[(4x/h) –
(4x²/h²)] . Pour avoir le maximum que nous cherchons, il faut multiplier cette
valeur par x et nous aurons x √ [4x/h – 4x²/h²] [En]
différentiant : (x/2)[4x/h – 4x²/h²]-½.d[4x/h
– 4x²/h²] + dx√[4x/h – 4x²/h²] =
{4x/2h√[(4x/h) – (4x²/h²)]}dx – {8x²/[2h²√[4x/h
– 4x²/h²]}dx + dx√[4x/h – 4x²/h²] = 0 En
réduisant, il vient 4x/2h – 8x²/2h² - 4x/h – 4x²/h² =
6x/h – 8x²/h² ou 6hx = 8x² ou 6h = 8x ou x = 6h/8 = 3h/4.
C'est-à-dire que la ligne fd est les trois quarts de la ligne ab. Il en est de
même de la ligne fc par rapport à ac. En parlant de problèmes,
il m'en est venu un dans l'esprit dont je suis bien aise de vous faire part. La figure suivante
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=50&typeofbookDes=Manuscr
[voir fac-similé] représente une section verticale d'un vase
rectangulaire. Or il s'agit de savoir quelle proportion il faut mettre entre les
côtés et le fond pour qu'il tienne la plus grande quantité de liquide sous
la plus petite surface. J'ai essayé pour cela un grand nombre de moyens qui m'ont
amené à des résultats absurdes, sans doute parce qu'au lieu de maximum,
j'amenais des minimum, et vice-versa. Enfin je crois l'avoir résolu de cette
manière. Appelant [a] la solidité [le volume] de l'intérieur du vase abcd,
c'est-à-dire le produit du carré de la base que j'appelle x par la hauteur,
l'expression de cette hauteur sera a/x. Puisque la solidité est
déterminée, il s'agit de faire un minimum de la surface. Or la surface du fond
est x², celle des quatre côtés est 4x multipliant a/x². Donc la
surface totale est x² + 4ax/x² = x² + 4a/x = x² + 4ax-1
différentiant on a 2x dx – 4ax-2 dx = 0 effaçant dx et
transposant 2x = 4ax-2 ou 2x = 4a/x² ou 2x3 = 4a ou x =
3√(2a). C'est là l'expression de la ligne bc. Pour avoir
celle de la hauteur ab, il n'y a qu'à diviser a par le carré de cette
expression. Un problème de ce genre qui serait sans doute plus intéressant
serait de ne supposer aucune forme déterminée et de chercher par le calcul quelle
est celle que doit avoir le vase pour contenir le plus de fluide sous la plus petite surface.
Je suis bien fâché, Monsieur, de ne pas pouvoir vous proposer des problèmes
comme vous avez eu la bonté de le faire pour moi, mais malheureusement j'ai très
peu de livres de mathématiques qui en contiennent d'intéressants et je ne suis
point en état d'en tirer de mon propre fond. Excusez-moi donc si j'entretiens avec vous
un commerce de lettres dont je retire seul les avantages et permettez que je vous fasse encore
quelques questions sur des objets sur lesquels je vous ai déjà peut-être
ennuyé. Je me rappelle que dans le commencement que j'étais occupé des
ailes de moulin à vent, j'avais trouvé une expression pour la quantité de
mouvement qui était fausse, mais j'ai beau eu l'examiner depuis, je n'ai jamais pu en
découvrir la raison, et comme je n'aime point à rester dans l'erreur,
j'espère que vous voudrez bien me montrer en quoi je me suis trompé. Je supposais
pour cela toute l'aile réunie en un point afin de n'avoir point à
considérer les différentes vitesses de rotation aux différents points de
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=52&typeofbookDes=Manuscr
l'aile. Tel serait le cas d'une aile dont la longueur ab [voir
figure sur fac-similé] serait infiniment petite, mais qui serait placée
à une certaine distance du centre c de rotation, distance qu'il n'est point
nécessaire de supposer donnée dans ce cas parce qu'elle est indifférente
au maximum que nous cherchons. Quoique cette supposition d'une aile infiniment petite vous
paraisse absurde, elle simplifierait beaucoup la solution de notre problème et
peut-être pourrait-on l'appliquer à la pratique en déterminant, suivant la
forme de l'aile, un point dans lequel on peut considérer l'aile toute réunie. Je
sais bien que le résultat de l'expérience serait au-dessous du résultat du
calcul fait pour ce point, parce que tous les autres points sont placés moins
avantageusement que celui-là, ayant ou une trop grande vitesse de rotation, ou une trop
petite pour avoir le maximum de quantité de mouvement. Mais peut-être viendrait-on
à bout de déterminer l'impulsion des autres points. Quoiqu'il en soit de ces
suppositions que je soumets à votre jugement, en cherchant l'expression de la
quantité de mouvement pour ce cas, je vis qu'il fallait chercher l'expression de
l'impulsion tendant à faire tourner l'aile et la multiplier par celle de la vitesse pour
avoir la quantité de mouvement. Ce produit devait être un maximum. Pour qu'il soit
un maximum, il faut qu'il y ait les deux tiers de la vitesse du vent occupée à
choquer. Faisant cette vitesse = 1, nous aurons à cause de l'obliquité de l'aile
(2/3)siny pour l'expression de la vitesse choquante prise dans une direction
perpendiculaire à la surface de l'aile, et comme les chocs suivent la proportion du
carré des vitesses, l'expression du choc sera [(2/3) siny]² = (4/9)
sin²y. Telle est l'impulsion perpendiculaire à sa surface que
reçoit l'aile. Mais pour avoir égard à la 2ème
décomposition, il faut multiplier cette expression par cosy. Nous aurons (4/9)
sin²y.cosy. Telle est donc l'impulsion tendant à faire tourner
l'aile. Il ne reste qu'à la multiplier par la vitesse. Or dans la figure suivante abc
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=53&typeofbookDes=Manuscr
[voir fac-similé] bd représentant l'aile dont on ne voit que
l'épaisseur, ab représente la direction du vent, par conséquent l'angle
abc est l'angle d'incidence. Supposons que la longueur ab soit la quantité dont l'aile
fuit le vent, c'est-à-dire que pendant un temps déterminé le point b se
soit transporté de a en b, puisque suivant notre hypothèse la vitesse du vent
pour choquer n'est que les deux tiers de la vitesse totale. La longueur ab sera donc = 1/3 de
l'espace parcouru par le vent pendant le même temps. Or la ligne ab est à la ligne
ac comme le rayon est à la tangente, c'est-à-dire algébriquement 1/3 : x
:: 1 : tany, en appelant x la ligne ac. Donc x = 1/3(tany/1) =
(tany/3)y qui est l'expression de la vitesse de rotation, c'est-à-dire l'espace
parcouru par l'aile pendant que le vent parcourt un espace = 1. Il ne s'agit donc plus que de
multiplier cette vitesse par la force que nous avons trouvée être
(4/9)sin²y.cosy [erreur sur le manuscrit : cos²y]. Nous aurons 4/27
sin²y.cosy.tany pour l'expression de la quantité de
mouvement qui doit être un maximum. J'ai vu du premier coup d'œil qu'il y avait une
erreur et qu'avec cette expression le maximum se trouvait à 90 degrés ce qui
serait absurde. Je me suis encore assuré de cette erreur par le calcul
différentiel, mais je n'ai jamais pu découvrir d'où elle provenait. C'est
pourquoi je serais charmé que vous voulussiez bien relever mes inepties sur ce point et
me donner la solution du problème dans cette hypothèse qui le rend beaucoup plus
simple. Il m'est venu un scrupule sur l'expression de la résistance qu'on trouve
à tirer un bateau directement, c'est-à-dire dans le sens de la quille. Supposant
pour plus de simplicité que les côtés ca et cb forment une ligne droite et
appelant y l'angle acf ou bcf, égal à l'angle d'incidence, il me paraît
qu'il faut multiplier le choc qu'éprouverait la surface af par sin²y, ce
href="http://www.ampere.cnrs.fr/ice-manuscrits/ice_page_detail.php?lang=fr&type=img&bd
d=koyre_ampere&table=ampere_mats&bookId=333&pageOrder=54&typeofbookDes=Manuscr
qui revient au même [voir
figure sur fac-similé]. En effet dans cette dernière supposition la ligne af
qui est véritablement le siny exprime la largeur de la partie de la
rivière qui choque. Il ne reste plus qu'à avoir égard aux deux
décompositions qui diminuent chacune l'effet de l'impulsion dans le rapport du rayon au
sinus y, donc etc. Ce qui m'avait fait douter que cette expression fût la
véritable, c'est que dans le cas où l'angle d'incidence est très petit,
l'expérience ne s'accorde point avec la théorie, mais j'ai pensé depuis
que la résistance qu'on éprouve dans ce cas vient du frottement. J'aurais
voulu pouvoir faire partir cette lettre plus tôt mais j'ai demeuré très
longtemps à l'écrire parce que je suis perpétuellement
détourné. Je vous prie d'excuser le peu de suite qui y règne, et de
vouloir bien agréer l'assurance du sincère attachement avec lequel j'ai l'honneur
d'être, Monsieur, Votre très humble et très obéissant
serviteur. J. S. Couppier Finie le 26 avril.
if ($lang=="fr" AND $val['bookId'] < '834') { print "Lettre publiée dans "; } ?>
if ($lang=="en" AND $val['bookId'] < '834') { print "Publish in :"; } ?>
Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 333
|
Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr978.html
|
|