Ampère, AndrĂ©-Marie à ?
Eaubonne près Paris,
le 7 7bre 1821 [Le correspondant, non identifié, se trouve à Göttingen]
Monsieur, J'étais ici par ordonnance de mon médecin pour me remettre
d'une affection de poitrine dont je craignais alors beaucoup les suites, mais qui paraît
à présent se dissiper, lorsque la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire est arrivée à Paris. Je ne sais comment on a
négligé de me la faire passer, et je n'en ai eu connaissance que dans un
séjour de quelques jours que je fis dernièrement à Paris. Revenu ici, je
m'empresse d'y répondre et je dois commencer par vous remercier de votre lettre et de la
promesse que vous me faites de m'envoyer le mémoire sur la vitesse du son dont vous me
parlez dans votre lettre. Quoiqu'on ait beaucoup travaillé sur ce sujet, il me semble
que la matière est loin d'être épuisée, et il en est peu d'aussi
intéressante, surtout depuis qu'on a prouvé que les phénomènes de
la lumière étaient aussi produits par les vibrations d'un fluide, et que les
recherches sur ces deux ordres de phénomènes qu'on croyait tout à fait
hétérogènes, et qui se trouvent si intimement liés aujourd'hui,
peuvent s'éclairer mutuellement. Je suis bien surpris de ce que vous me dites
qu'à Goettingue [Göttingen] on n'a pas réussi à répéter
mes expériences, car elles ne sont point difficiles en utilisant pour le mode de
suspension des conducteurs mobiles ce que j'en ai dit dans mon mémoire. D'autres
physiciens les ont faites en divers lieux avec tout le succès qu'on pouvait
désirer, dans votre pays même comme vous me le dites, à Genève,
à Grenoble, &c. d'après ce qu'on m'en a rapporté ou écrit. A
Paris je ne suis pas le seul, dès le commencement de cette année M. Dulong les
répéta toutes au cours de physique qu'il fait à l'Ecole polytechnique
devant tous les élèves, M. Thillaye professeur au Collège royal de
Louis-le-Grand à Paris, les a également répétées à
ses élèves, il a obtenu comme M. Dulong les attractions et répulsions
entre deux portions de fils conducteurs, et la direction d'une portion de circuit
voltaïque par l'action de la terre en employant une pile de dix couples seulement dont les
plaques n'avaient que 6 pouces de haut et 4 de large. Dès le mois de novembre 1820 je
répétai ces expériences plusieurs fois devant plusieurs membres de
l'Académie royale des sciences de Paris, de M.M. le baron de Humboldt, le comte de
[Bournon], et un grand nombre d'autres personnes, tous peuvent en rendre témoignage. M.
Fourier, de l'Institut, constata entre autres choses avec soin l'action du globe terrestre sur
le circuit voltaïque mobile, pour le diriger tant en déclinaison qu'en
inclinaison. M. Delambre fut également témoin de mes expériences, il
n'a inséré dans le compte qu'il a rendu des travaux de l'Académie des
sciences pendant l'année 1820, relativement à ces expériences, que ce
qu'il avait vu lui-même. La vérité des faits dont nous parlons a
tellement été constatée dans tous leurs détails, tels que je les ai
publiés, par des expériences si souvent répétées en
présence des personnes les plus faites pour en bien juger, me fait penser que le non
succès des expériences que vous me dites avoir été tentées
à [Göttingen] ne peut venir que d'une des deux causes suivantes : 1° que les
communications n'étaient pas bien établies, ayant remarqué que le contact
des fils ne suffit pas, et qu'il faut qu'ils soient soudés ou qu'on place du mercure aux
points où ils se touchent, encore en ayant soin que les fils ne soient pas
oxydés, surtout quand il n'y a qu'une tension faible à cause du petit nombre des
couples ; 2° que dans les appareils à rotation où deux pointes d'acier
situées dans une même verticale doivent, pour les communications, plonger dans
deux coupes de métal pleines de mercure, on aura fait toucher les deux pointes au fond
des deux coupes, tandis qu'il faut qu'une seule s'y appuie pour servir d'un pivot unique sur
lequel tourne l'appareil. Quand elles touchent toutes les deux le fond de leurs coupes
respectives, cet appareil ne peut tourner qu'autour de la ligne qui passe par les deux points
de contact, et comme il est impossible dans la pratique de faire en sorte que cette ligne passe
exactement par le centre de gravité de l'appareil, la pesanteur de celui-ci le fait
rester immobile, malgré l'action électromagnétique de la terre, dans la
situation où son centre de gravité se trouve dans le plan vertical qui passe par
cette ligne, au-dessous d'elle, ce qui s'oppose absolument au succès de
l'expérience. Mes premiers travaux sur ce sujet avaient eu pour but de ramener
à deux règles générales toutes les circonstances des
phénomènes découverts par M. Oersted, à montrer que la pile
elle-même agit sur l'aimant comme le fil conducteur, sauf le sens opposé dans
lequel elle est parcourue par le courant électrique, cette action de la pile
était alors positivement niée par un habile physicien dans un mémoire lu
à l'Institut et plein d'ailleurs d'observations très intéressantes, enfin
de soustraire, ce qu'on avait point encore fait, l'aiguille aimantée à l'action
du globe terrestre, pour qu'elle ne fût plus soumise qu'à celle du conducteur
voltaïque, et prouver ainsi que cette dernière tend à la placer dans une
direction exactement perpendiculaire à la sienne. Je crois que ces
résultats n'étaient pas inutiles aux progrès de cette branche de la
physique, mais les expériences que je publiai le 25 septembre et le trente octobre 1820
étaient tout à fait différentes. Elles faisaient connaître un ordre
de faits nouveaux dont l'admirable découverte de M. Oersted n'a été que
l'occasion. Ce sont ceux qui montrent que les conducteurs voltaïques agissent les uns sur
les autres pour s'attirer, se repousser, se diriger, comme je l'ai exposé, et
vérifié nombre de fois, et que ces mêmes conducteurs sont dirigés de
l'est à l'ouest par l'action de la terre, sans que les aimants entrent pour rien dans
ces expériences. C'est par elles que je crois surtout avoir contribué aux
progrès de la physique, parce que je suis persuadé que toutes les fois qu'on
commencera par étudier les phénomènes qu'elles établissent, sans
s'occuper de l'action mutuelle des aimants et des conducteurs voltaïques, et de celle des
aimants entre eux, on verra ensuite que ces dernières actions se ramènent
à celle plus simple des fils conducteurs les uns sur les autres, comme je l'ai fait, et
qu'il n'y a là qu'un seul fait primitif, d'où il est aisé de
déduire tous les autres, savoir : l'attraction et la répulsion de deux petites
portions de courants électriques, suivant la distance qui se trouve entre elles et
suivant les angles qui déterminent leur position respective dans l'espace,
conformément à la formule représentant cette action que j'ai donnée
dans le cahier de septembre du Journal de physique. Tandis que quand on commence par
étudier l'action mutuelle des aimants, puis celle que M. Oersted a découverte,
l'esprit s'accoutume à partir des phénomènes qui en résultent,
quoique plus compliqués que ceux que présente l'action mutuelle de deux fils
conducteurs, 1° parce que l'on n'a aucune idée précise de la manière
dont les fluides différents de l'électricité, par lesquels on cherche
à expliquer les phénomènes magnétiques, doivent être
distribués dans un aimant de figure donnée, et qu'on a une idée bien plus
nette de ce qui arrive aux deux fluides électriques dans le conducteur ; 2° parce
que les deux corps qui agissent l'un sur l'autre dans les expériences de M. Oersted, ne
sont point identiques, et ont chacun une manière d'agir différente, en sorte que
leur action mutuelle dépend de deux causes également inconnues quand on n'admet
pas les courants électriques dont j'ai cherché à établir, par
l'ensemble des faits, l'existence dans les aimants. Une fois que l'esprit a pris cette
habitude, on n'examine plus l'action mutuelle des conducteurs en elle-même, mais
seulement comme un accessoire d'un ensemble de faits, dont, en suivant la marche que j'ai cru
devoir préférer, on verrait aisément qu'elle est au contraire le premier
principe. Mais je sens toute la difficulté que l'on éprouve à rompre
ainsi la marche à laquelle on s'est accoutumé, d'après l'ordre où
les faits ont été découverts, quoique cet ordre ne fasse réellement
rien à leur mutuelle dépendance. Le hasard aurait pu faire qu'on
découvrît l'action que les conducteurs voltaïques exercent les uns sur les
autres avant celle qu'ils exercent sur les aimants, et alors on aurait naturellement
considéré la première comme le principe de la seconde, et on serait
arrivé immédiatement à ma manière de voir sur ce sujet, ou du moins
on aurait éprouvé moins de peine à l'admettre. Encore à
présent je n'espère la voir adopter que par ceux qui étudieront,
abstraction faite des phénomènes que présentent les aimants, les nouvelles
propriétés que j'ai reconnues dans les conducteurs voltaïques, mais aussi je
ne doute guère que les physiciens qui s'occuperont d'abord de ces
propriétés, et qui suivront avec attention les circonstances qu'offre l'action
des fils conducteurs pliés en hélice et en spirale, ne finissent par être
presque aussi frappés que moi de leur identité parfaite avec les circonstances
qui accompagnent l'action de deux aimants ou d'un conducteur et d'un aimant, et n'en tirent les
mêmes conséquences que moi. Je n'ai jamais prétendu expliquer le fait
primitif de l'attraction et de la répulsion de deux petites portions de courants
électriques, conformément à ma formule, quelque explication qu'on en
donne, tout ce que j'ai fait reste le même, comme les diverses tentatives qu'on pourrait
faire pour assigner une cause physique à l'attraction newtonienne, ne font rien au
système du monde. Mais prenant ces attractions et répulsions comme des faits
donnés par l'expérience, je me suis attaché à montrer qu'en en
partant on trouvait que tous les phénomènes magnétiques, anciennement
connus ou découverts par M. Oersted, en étaient des conséquences
immédiates, dès qu'on admettait, d'après les analogies les plus sensibles
et les plus multipliées, que la même disposition, quelle qu'elle soit, des deux
fluides électriques dans la pile ou le fil conducteur, existait aussi dans notre globe,
de l'est à l'ouest, avec d'autant plus d'intensité que les lieux où elle
est établie sont plus voisins de l'équateur, et dans des plans perpendiculaires
à l'axe des aimants, suivant la direction que je lui ai assignée, soit autour de
cet axe, soit autour de chaque particule de l'acier aimanté. Cette manière de
ramener une multitude de faits à un fait unique constaté par l'expérience,
et dont la loi mathématique se trouve vérifiée par son accord avec
l'ensemble des phénomènes, est ce que j'appelle expliquer, quand
même la cause du fait primitif d'où l'on part est absolument inconnue.
J'écrivis il y a environ un mois au savant professeur à la faculté de
Leyde, monsieur Speyert van der Eyk, qui m'avait envoyé un mémoire où se
trouvaient des faits très intéressants, qu'il a observés le premier et qui
ont été publiés dans le Journal de physique. Expériences dont les
résultats sont d'ailleurs les conséquences nécessaires de ma
théorie, comme M. van Eyk m'en prévenait lui-même dans sa lettre. Ma
réponse contenait un précis des faits sur lesquels repose cette théorie,
dans l'ordre où il me paraît qu'il convient de les ranger, tandis que dans le
mémoire que j'ai publié ils se succèdent à peu près au
hasard, ce qui rend plus difficiles à saisir les conséquences que j'en ai
déduites. Je crois ce précis très propre à servir à la fois
de résumé et de complément à ce que je viens de décrire, et
c'est ce qui m'engage à l'insérer ici, voici les réflexions dont il se
composait. [Le manuscrit s'achève ici]
if ($lang=="fr" AND $val['bookId'] < '834') { print "Lettre publiée dans "; } ?>
if ($lang=="en" AND $val['bookId'] < '834') { print "Publish in :"; } ?>
Lettre inédite
Source de l'édition électronique de la lettre : brouillon manuscrit Paris, Archives de l'AcadĂ©mie des sciences, fonds Ampère, carton X, chemise 201 [Brouillon inachevĂ©]
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr970.html
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