@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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Correspondance d'Ampère, Lettre L959

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Index des noms de personnes

La Rive, Auguste de      à      Ampère, André-Marie

Monsieur Ampère, Membre de l'Académie des sciences, rue des Fossés-Saint-Victor n°19, Paris
Genève, le 5 janvier 1828

Monsieur,

Je ne veux pas laisser partir mon frère pour Paris sans lui remettre pour vous quelques lignes, qui me rappelleront, j'espère, à votre souvenir et qui lui serviront d'introduction auprès de vous. Il y a longtemps que je n'ai eu de vos nouvelles, ni directement ni indirectement : j'espère que vous êtes bien portant et que vous continuez à travailler aux progrès de la Science et en particulier de celle que vous avez créée. Qu'il me tarde d'en causer avec vous et de discuter quelques points sur lesquels j'ai des doutes à lever et des éclaircissements à demander. J'espère avoir ce plaisir le printemps prochain ; car mon projet est d'aller à cette époque passer deux mois à Paris pour y voir les savants de cette ville, leur demander des conseils et y finir quelques travaux commencés qui ont besoin pour être achevés des secours intellectuels et matériels que Paris seul peut offrir. C'est sur vous en particulier que je compte et j'espère, Monsieur, que vous me permettrez de profiter de temps à autres de vos moments de loisir, pour vous consulter et même, si vous le pouvez, pour travailler un peu avec vous.
Je donne en ce moment un cours spécial sur l'électricité ; vous comprenez que l'électrodynamique y joue un grand rôle. Je compte en effet y insister beaucoup et en particulier y démontrer votre formule et ses conséquences telles qu'elles sont contenues dans votre dernier ouvrage in-4° que vous avez bien voulu m'envoyer. On dit que vous avez encore simplifié et augmenté vos calculs (et c'est, je crois, de M. Maurice que je le tiens) ; il me semble cependant que votre dernière méthode est très brève et claire ; je me trouve seulement obligé de retrancher quelques détails dans les conséquences, vu le temps qu'exigerait leur entier développement. Néanmoins, comme je n'ai que l'électricité et le magnétisme à traiter dans ce cours, je puis m'étendre assez au long sur les diverses parties que renferment ces deux branches de la physique si intéressantes et si importantes actuellement.
Je viens d'achever un travail qui m'a occupé tout l'été et que je vais envoyer à M. Arago pour les Annales ; il a pour objet : l'analyse des circonstances qui déterminent le sens et l'intensité du courant électrique dans un élément voltaïque. Vous verrez qu'il me semble résulter des diverses expériences que j'ai faites deux conséquences de quelque importance ; la première, qu'il n'y a point pour les corps un état électrique qui leur soit propre et que la production de l'électricité est due à une action et non pas seulement mise en évidence par cette action ; la seconde, que certains phénomènes ne me paraissent explicables que dans le système des vibrations et difficiles à concilier avec la supposition d'un ou de deux fluides électriques mis en mouvement. Je ne dis point que ces conséquences sont rigoureuses ; mais elles me paraissent découler naturellement de quelques unes de mes expériences. En particulier j'avoue que la théorie électrochimique telle qu'on la conçoit est absolument inadmissible pour moi d'après ces recherches ; mais il ne suffit pas d'avancer, il faut prouver, et c'est de la force de ces preuves dont vous voudrez bien juger dans mon mémoire, si vous daignez y jeter les yeux.
Permettez-moi, en attendant qu'il soit imprimé, de vous communiquer un seul fait qui me paraît assez singulier. En comparant la conductibilité électrique de divers systèmes de conducteurs, j'ai trouvé plusieurs exemples d'une anomalie remarquable : savoir, que deux systèmes de conducteurs étant donnés, celui qui sera meilleur pour une électricité faible sera moins bon que l'autre pour une intensité forte, quoique l'un et l'autre soient exactement semblables dans le second cas à ce qu'ils étaient dans le premier ; il y a même pour ces deux conducteurs considérés l'un par rapport à l'autre, une certaine intensité de l'électricité pour laquelle ils sont également conducteurs. Mais à partir de ce cas d'équilibre, l'un devient meilleur conducteur si l'intensité diminue ; c'est au contraire l'autre qui conduit mieux si l'intensité augmente. Il ne s'agit ici que des conducteurs du courant électrique produit par la pile ; quant à ceux de l'électricité produite par les machines, il y a des circonstances encore plus singulières dans les phénomènes qu'ils présentent. Je ne veux pas vous ennuyer de tous ces détails que vous retrouverez au reste dans mon mémoire si vous en êtes curieux. J'ai voulu seulement vous faire part du fait simple que je viens de vous exposer, comme offrant un exemple des erreurs que l'on peut commettre en généralisant trop vite et en regardant comme un fait général ce qui n'a lieu que dans un cas particulier.
C'est ce qui serait arrivé si j'avais regardé comme suffisantes pour établir les rapports de conductibilité entre les différents systèmes que je voulais éprouver, les expériences faites pour une seule intensité du courant électrique. Combien je voudrais pouvoir causer avec vous de ce fait et de tant d'autres, entendre votre opinion sur ce sujet, recueillir vos idées et faire les expériences que vous me conseilleriez. J'attends d'être près de vous pour cela ; mais en attendant, si vous aviez un moment, il me serait bien agréable de connaître quelques unes de vos idées à cet égard, par écrit.
Je viens de parcourir la seconde édition du traité de physique de Despretz ; il me paraît que c'est un bon traité élémentaire et qu'il est surtout assez complet sur l'électrodynamique, du moins le moins incomplet de tous les traités que je connais. Je lui en veux cependant un peu pour avoir copié textuellement les figures et le texte de mon mémoire sur l'action de la Terre que vous voulûtes bien insérer dans votre recueil, sans m'avoir nommé une seule fois. Je crois cependant mériter la justice que vous avez bien voulu me rendre, d'avoir découvert l'action simple de la Terre sur les conducteurs rectilignes. M. Despretz, il me [mot manquant], aurait bien pu sans beaucoup se compromettre me rendre la même justice que m'a rendue un savant tellement supérieur à lui, et qui me semblait légitimement due. Je n'[accorde] pas à ces omissions plus d'importance qu'elles n'en méritent ; mais il me sera facile dans peu de temps de montrer à M. Despretz que je m'en suis aperçu ; j'ai découvert un mémoire de lui sur un sujet dont je m'occupe qui renferme des expériences facilement contestables quant à leur exactitude et aux résultats qu'il en tire ; je n'en aurais point parlé si lui-même ne m'avait un peu provoqué par cette omission injuste.
Mon frère qui vous remettra cette lettre pourra vous donner de nos nouvelles et de celles de tous vos amis de Genève qui ne vous ont point oublié. Veuillez en particulier recevoir l'expression de l'attachement respectueux de votre tout dévoué

Aug. de la Rive.



Lettre inédite
  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton IX, chemise 182, f. 51-52.

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