Bredin, Claude-Julien à Ampère, André-Marie
Octobre 1825 [...] Cher ami, tu me plains et cependant tu n'as point d'idée du martyre que
j'endure [...] Je ne peux ni lire ni écrire. La tristesse m'anéantit. Oh, si la
tristesse pouvait tuer ! [...] Je te le répète. J'ai manqué toute ma vie.
J'ai fait une bêtise. Je n'ai pas suivi mon instinct. Je me suis laissé
entraîner dans une carrière qui n'était pas la mienne. Je devais être
musicien ou au moins peintre. Je devais résister aux volontés qui ont
forcé ma volonté ; mais j'ai cru devoir céder. Faiblesse impardonnable,
bêtise inouie qui m'a perdu. ! Je ne suis qu'un lâche. Mais je t'expliquerai cela
un jour. Je ne fais rien, je ne saurais fixer mon attention sur rien. Crois-tu que je fasse ma
place ? Non, je ne fais rien ; tout va en dépit, du sens commun. Je n'ai le courage ni
de travailler, ni de donner ma démission. Il y a un mois ou deux que cette idée
m'a saisi un peu plus fort qu'à l'ordinaire. Mais je suis découragé pour
cela comme pour le reste. Je retombe toujours dans une question qui, me paralyse : " Cela en
vaut-il la peine ? Y a-t-il au monde quelque chose qui vaille la peine qu'on prenne une
détermination ? " Ai-je besoin d'un livre, d'un papier ou de quoi que ce soit ? Il
faudrait me lever de dessus ma chaise pour le prendre. Je reste en disant en dedans de moi :
« A quoi cela me mènera-t-il ?» Tel est l'état de stupide
désespoir où je me sens descendre tous les jours. J'ai bien quelques moments de
réveil ; mais quel réveil. ! Ce sont des moments de désespoir, pendant
lesquels il m'est bien difficile d'étouffer en moi les cris, les hurlements de la rage.
Je résiste à la tentation et je retombe dans ma douloureuse léthargie.
Quant aux Grecs, c'est aussi un poids énorme qui m'accable. Mais, et les Grecs, et nous,
et tout, tout n'est-il pas sous la protection de la toute-puissante et toute bonne Providence ?
Oh, que l'épreuve est dure et que d'amertume dans ce calice ! Le sujet de la Juive
promet beaucoup. On conçoit là de très belles situations dramatiques. Le
caractère du ministre me semble très difficile. Est-ce un imposteur ou un
fanatique ? D'après ta lettre, ce serait l'un et l'autre (1). Ballanche m'a dit que ton
avis avait été, comme le sien, de ne pas vendre. J'ai eu à cette
occasion-là des scènes effroyables. Maman paraît avoir renoncé
à vendre la totalité ; elle ne veut plus vendre qu'un quart, elle qui voulait
tout vendre, non seulement sans mon consentement, mais encore malgré moi ; elle ne veut
plus vendre ce quart, (qui cependant est bien à elle) sans mon consentement, sans un
acte notarié. Elle est devenue on ne peut plus amicale. Elle me fait des propositions
très avantageuses. Les trois quarts restants seront affermés et j'aurai la
moitié du produit net [...]
(1) Le 16 décembre, Bredin développe la même idée à Ballanche.
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Lettre publiée dans LAUNAY, Louis de. Lettres inédites de Claude-Julien Bredin. Lyon : Académie des sciences, belles-lettres et arts, 1936, p. 178-180
Source de l'édition électronique de la lettre : LAUNAY, Louis de. Lettres inédites de Claude-Julien Bredin. Lyon : Académie des sciences, belles-lettres et arts, 1936, p. 178-180
Autre source de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 334
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr934.html
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