Bredin, Claude-Julien à Ampère, André-Marie
29 décembre 1818 [...] Auras-tu songé à mes inquiétudes que tu peux seul calmer ? Mais
toi, cher ami, ne te livre pas sans défense à tes inquiétudes ! Songe que
Dieu est là, qui ne laisse pas la destinée humaine livrée à
l'aveugle destin. Bien que l'aveugle destin, et la raison humaine plus aveugle encore, ne
soient pas étrangers à la conduite de ce monde, la miséricorde de Dieu
reste cependant toujours le grand modérateur de tout. Il y a les lois du monde que Dieu
a voulues, quoiqu'il en eût d'abord institué d'autres. Il veut que leur action
continue telle quelle. Il permet les résultats de ces lois. Il a voulu la liberté
de l'homme. L'homme est tombé par le faux usage de sa liberté dans les sombres
labyrinthes de la raison [...] Car la raison, dont nous nous enorgueillissons tant, n'est
pourtant qu'un déplorable résultat de la chute d'Adam. Tu vois donc, bon ami, que
la sévérité des lois temporaires de ce monde et les tristes écarts
de la raison sont des maux réels, mais en quelque sorte inévitables, en quelque
sorte nécessaires. Mais l'amour est essentiellement réparateur ; il est
réparateur par une autre sorte de nécessité opposée à la
première. L'amour n'a qu'une seule occupation, toujours la même, incessamment la
même, quoique infiniment variée. Mais l'amour ne change pas les lois du monde.
Quoi que nous fassions, comment que nous nous y prenions, le bonheur ne sera jamais un fruit du
monde où nous sommes. Les hommes le désireront toujours, le chercheront toujours.
Mais ils ne le trouveront, ils ne l'obtiendront ; que dans la proportion qu'ils sortiront de ce
monde. Le chrétien, qui passe comme un voyageur, qui méprise les convoitises de
ce monde, qui ne respire que l'amour, la prière, qui n'a qu'un seul désir, une
seule crainte, n'est heureux dans ce monde que parce qu'il ne vit pas dans ce monde. Le bonheur
et le monde, c'est la nuit et le jour. Le chrétien qui vit dans ce monde est aussi
misérable qu'un païen. C'est un païen ; il ne lui en manque rien que le nom.
Quelle que soit la cause de ton chagrin, tu peux avoir confiance et prier ; la prière
est la vraie consolation. Adieu, cher ami, je partage ton ennui sans en connaître la
cause. Je sais par avance que ta douleur fait honneur à tes sentiments. Je prie
Notre-Seigneur de te consoler. Ouvre-lui ton coeur dans la prière ; ne le fais pas
languir dans son amour.
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Lettre publiée dans LAUNAY, Louis de. Lettres inédites de Claude-Julien Bredin. Lyon : Académie des sciences, belles-lettres et arts, 1936, p. 121-122
Source de l'édition électronique de la lettre : LAUNAY, Louis de. Lettres inédites de Claude-Julien Bredin. Lyon : Académie des sciences, belles-lettres et arts, 1936, p. 121-122
Autre source de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 334
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr923.html
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