Ampère, André-Marie à Speyert van der Eyk, Simon
(1)
à Leyde, royaume des Pays-Bas
Paris,
15 août 1821 Monsieur, j'étais absent de Paris lorsque le mémoire que vous m'avez fait
l'honneur de m'envoyer et la lettre obligeante dont il était accompagné, sont
arrivés chez moi. N'en ayant eu connaissance qu'à mon retour, je n'ai pu vous en
faire plus tôt tous mes remerciements. J'ai lu avec beaucoup de plaisir ce
mémoire. Les faits que vous y décrivez ne peuvent manquer d'intéresser les
physiciens. Ils sont, au reste, comme vous me l'annoncez, une suite nécessaire de la
théorie que j'ai exposée, mais peut-être pas de la manière la plus
propre à la faire bien concevoir. Voici comme j'aurais dû la préciser. 1° Toute explication dans les sciences consiste à découvrir un fait
primitif exprimé par une loi générale et qui, une fois posé, serve
à en déduire tous les autres ; 2° Le fait primitif ne saurait
être ici l'action entre un conducteur voltaïque et un aimant, parce que, ces deux
choses étant hétérogènes, leur action mutuelle est
nécessairement plus compliquée que celle qui a lieu entre deux aimants, ou celle
que j'ai découverte entre deux fils conducteurs ; 3° Comme on n'a connu
d'abord que celle entre deux aimants, on l'a prise pour fait primitif, et l'on a pris pour la
loi générale à laquelle on a tâché de tout ramener, que les
extrémités de même nom d'un aimant se repoussent et que celles de nom
opposé s'attirent ; 4° Comme l'ordre dans lequel on a découvert les
faits ne fait rien à leur réalité dans la nature, j'ai pu prendre pour
fait primitif l'action mutuelle de deux fils conducteurs, telle que je l'ai établie par
des expériences multipliées, et pour loi générale que deux parties
de fils conducteurs s'attirent quand la direction de l'extrémité zinc à
l'extrémité cuivre, que j'ai nommée pour abréger direction du
courant électrique, est dans le même sens dans les deux portions qui agissent
l'une sur l'autre, et que ces deux portions se repoussent quand la direction de
l'extrémité zinc à l'extrémité cuivre est en sens contraire
dans ces mêmes portions ; 5° J'ai représenté par la formule
publiée dans le cahier de septembre 1820 du Journal de Physique, ce que devient
cette action dans toutes les positions que peuvent avoir l'une à l'égard de
l'autre les deux portions de fil conducteur ; 6° J'ai d'abord déduit de cette
loi toutes les circonstances de l'action mutuelle de deux conducteurs voltaïques, telles
qu'on les observe dans mes expériences où l'aimant n'est point employé.
J'ai montré par d'autres expériences qu'un circuit voltaïque mobile
était dirigé par le globe terrestre précisément comme il le serait
d'après les mêmes lois, par de l'électricité disposée et se
mouvant dans les régions équatoriales simplement comme
l'électricité est disposée et se meut dans le fil conducteur de
l'extrémité zinc à l'extrémité cuivre, ou bien dans la pile
de l'extrémité cuivre à l'extrémité zinc. J'en ai conclu,
comme je le devais, que la direction du circuit voltaïque mobile par le globe de la terre
devait être attribuée en effet à cette cause, et j'ai ajouté
à cette preuve directe plusieurs considérations qui en montrent toute la
probabilité ; 7° Puis, venant à l'action mutuelle d'un conducteur et
d'un aimant découverte par M. Œrsted, j'ai trouvé qu'elle était
précisément celle qui aurait lieu si l'aimant était un assemblage de
conducteurs ou de piles voltaïques dans des plans perpendiculaires à son axe ; 8° J'ai imité complètement tous les phénomènes que
présentent les aimants avec des conducteurs roulés en hélices et
disposés comme vous avez pu le voir dans mon mémoire ; 9° J'ai
montré que l'aiguille aimantée était dirigée par le globe
terrestre, précisément comme elle le devait être d'après les
courants électriques dont j'avais déjà établi l'existence dans le
globe, d'après la manière dont ces courants agissent sur un aimant dans les
expériences de M. Œrsted ; 10° Enfin j'ai montré qu'en attribuant
tous les effets des aimants à ce qu'il y existe, dans des courbes fermées, soit
autour de l'axe, soit autour de chaque molécule, la même disposition
d'électricité que dans les piles et les conducteurs voltaïques, toutes les
circonstances de leur action mutuelle, et celles en particulier de l'aimantation par simple et
double touche, s'expliquaient bien mieux que par l'ancienne théorie. J'ai même
montré qu'à l'égard de l'aimantation, cette théorie était en
contradiction manifeste avec plusieurs faits. Mais cet ensemble de preuves de
l'identité de l'électricité et de la cause des phénomènes
magnétiques n'a pas encore produit la conviction générale qu'on devait
naturellement en attendre. Je ne puis l'expliquer que par une circonstance dont je ne puis
d'ailleurs me rendre raison, c'est qu'on a partout répété les
expériences de M. Œrsted, et que les miennes sur l'action mutuelle de conducteurs
voltaïques ne l'ont été à ma connaissance qu'à Paris, à
Genève, et peut-être chez vous. Cependant elles sont bien aisées à
faire. M. Thillaye à Paris, M. de La Rive à Genève les ont
répétées avec tout le succès possible. Je les ai faites vingt fois
en présence d'un grand nombre de personnes, parmi lesquelles MM. de Humboldt, de
Bournon, Fourrier, Arago, Fresnel, Dulong, etc. Dernièrement j'en ai montré une
partie à M. le docteur Ure. Je reste convaincu que, partout où on les
répétera avec un peu de suite, on ne pourra se refuser à admettre les
conséquences que j'en ai tirées. Il s'en faut bien qu'on ait besoin pour
cela d'appareils dispendieux. M. Thillaye a réussi avec une pile de six couples de 4
pouces sur 6 de grandeur et avec de simples conducteurs de fils de laiton munis de pointes
d'acier pour qu'ils puissent se mouvoir librement en tournant dans de petites coupes pleines de
mercure qu'on peut faire de la substance qu'on veut. J'ai l'honneur d'être avec la
plus haute considération, Monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
A. AMPÈRE
(1) Lettre communiquée par M. Janet. Sept pages 20 x 25,5 et adresse sur la huitième.
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