Ampère, André-Marie à ?
Paris,
6 février 1835.
[plusieurs brouillons]
Monsieur le Directeur général,
J’ai reçu avec reconnaissance la lettre en date du 15 de ce mois dont vous avez
bien voulu m’honorer, elle doit m’en inspirer d’autant plus que vous
m’y donnez l’espoir lorsque l’occasion s’en présentera, de
recouvrer une place à laquelle des circonstances qui n’existent plus
m’avaient forcé de renoncer, que j’ai souvent regrettée et dans
laquelle j’espère pouvoir être d’autant plus utile que je me suis
longtemps et spécialement occupé des études dont elle réclame
l’application. M. le Directeur général, je vos prie d’agréer
tous mes remerciements de la bienveillance que vous avez la bonté de me
témoigner, et l’hommage de mon profond respect.
J’ai l’honneur d’être, M. le Directeur général, votre
très humble et très obéissant serviteur,
[Ampère]
M. Ampère était en membre du Bureau consultatif
des arts et manufactures au Ministère de l’Intérieur, quand il fut
nommé inspecteur général des études et bientôt après,
professeur d’analyse à l’École polytechnique. La place
d’inspecteur général l’obligeait chaque année à des
absences de quelques mois, mais toujours à une époque où le cours
d’analyse de l’École polytechnique qui n’a lieu que du mois de
novembre au mois de mars se trouve terminé ; mais il craignit que ces absences ne
nuisissent au travail qu’il devait faire au bureau consultatif et voyant que M.
Thénard avec qui il était lié de la plus tendre amitié,
n’avait alors qu’une place tandis qu’il en avait trois et persuadé que
M. Thénard serait éminemment utile
M. Ampère était membre du bureau comité consultatif des arts et
manufactures lorsqu’il fur nommé en 1808 inspecteur général des
études et l’année suivante professeur d’analyse à
l’École polytechnique. À cette époque ces deux fonctions se
conciliaient parfaitement parce que le cours dont M. Ampère était chargé
à l’École polytechnique finissait au mois de mars et que les
tournées des inspecteurs généraux des études n’avaient lieu
qu’en été. M. Ampère se voyant trois places tandis qu’un des
hommes qui avaient rendu les plus éminents services aux sciences, M. Thénard
n’en avait alors qu’une et craignant que les tournées qu’il devait
faire chaque année dans les établissements d’instruction publiques ne
nuisissent aux travaux dont il était chargé au bureau consultatif, se
décida en décembre 1819, à donner sa démission des fonctions
qu’il y remplissait, après que M. de Montalivet, alors ministre de
l’Intérieur eût promis qu’il serait remplacé par M.
Thénard, ce qui eut lieu en effet. M. Ampère resta membre honoraire du Bureau
consultatif des arts et manufactures et depuis 14 ans, il a cherché à s’y
rendre utile en assistant de temps en temps aux séances, surtout quand on devait
délibérer sur des sujets de quelque importance et qu’il était
prévenu. Jusqu’à la réorganisation de l’Ecole polytechnique en
1817, M. Ampère satisfait de l’existence que lui donnaient les deux emplois
d’inspecteur général et de professeur d’analyse, bornait tous ses
vœux à les conserver, mais lors de cette réorganisation, on diminua le
nombre des professeurs, plusieurs d’entre eux furent en conséquence obligés
de faire deux cours. M. Ampère ne put y rester professeur qu’en se chargeant
à la fois du cours d’analyse et de celui de mécanique. Les leçons
qu’il y donna depuis cette époque, au lieu de finir au mois de mars, se
prolongèrent jusqu’au mois de juillet, dés lors cette place ne fut plus
compatible avec celle d’inspecteur général des études, et la
perspective la plus pénible se présenta à lui et à ses enfants,
puisque la mort de son père, condamné par le tribunal révolutionnaire de
Lyon pour avoir été favorable à la plus sainte des causes l’avait
privé de toute fortune personnelle. Vu la situation où il se trouvait, il obtint
de conserver ses deux emplois en se faisant passagèrement remplacer, tantôt dans
l’un, tantôt dans l’autre, jusqu’à ce qu’obtenant quelque
autre moyen d’existence, il put, sans se trouver dans une position trop fâcheuse,
quitter une de ces places incompatibles. C’est ce qui est arrivé cette
année par sa nomination à la chaire de professeur de physique du Collège
royal de France et il n’a pu rester professeur à l’Ecole polytechnique
qu’en renonçant à la place d’inspecteur général des
études. Ce changement n’a pu se faire sans une diminution d’appointements
puisque le traitement des professeurs au Collège de France est inférieur à
celui des inspecteurs des études. Arrivé à 50 ans et père de
famille, obligé par les leçons même dont il est chargé de ne plus
s’absenter de Paris, il se croit fondé à solliciter dans le cas d’une
vacance au comité bureau consultatif, ou d’une nouvelle organisation de ce bureau
qui augmenterait le nombre de ses membres, d’y être de nouveau employé avec
le traitement d’activité attaché à ces fonctions. Lorsque M.
Ampère en était chargé, il a fait une étude particulière des
applications de la mécanique rationnelle aux machines et aux procédés
usités dans les arts, les lois relatives à l’industrie, les avantages et
les inconvénients qui peuvent résulter des mesures que prendrait le gouvernement,
et de la législation des brevets d’inventions, il a rédigé des
rapports sur quelques uns de ces objets, qui, à la vérité, n’eurent
pas de suite, à cette époque, mais qui tendaient à ce qu’on
adoptât dès lors des mesures dont le temps a depuis montré la
nécessité puisqu’elles l’ont été récemment.
C’est donc la persuasion où est M. Ampère qu’il pourrait
peut-être se rendre plus utile qu’un autre au comité consultatif des arts et
manufactures, par la nature des travaux de toute sa vie, et par le zèle qu’il
mettrait à remplir les fonctions auxquelles il désire être rendu, et
à seconder de tout son pouvoir les vues bienfaisantes du gouvernement, qu’il
espère de voir accueillie avec bienveillance la demande qu’il serait dans le cas
de faire de la place qu’il a déjà remplie pendant quelque temps au
comité consultatif. Cette demande lui semble d’ailleurs fondée sur
d’anciens services et de longs travaux dans les sciences qui comme les
mathématiques, la physique et la chimie sont spécialement applicables aux
fonctions des membres du comité consultatif. Il croit devoir joindre à cette note
la copie littérale de la lettre qu’il reçut du Ministre de
l’Intérieur d’alors en réponse à celle qui contenait sa
démission.
[d'une autre main]
Lorsqu’il fut question, à la Société philomatique, de la
dénomination à donner aux deux grandes sections entre lesquelles ses membres
devaient être répartis, M. Ampère proposa celle de Section des Sciences
relatives, les unes, au monde inorganique, et, les autres, aux êtres vivants ; et il
ajouta qu’on devait comprendre dans le monde inorganique les débris des corps
organisés, tels que les végétaux et les animaux fossiles et le
matériaux homogènes dont ils sont composés et dont s’occupe la
chimie qui doit appartenir à la première section. Il se fondait
précisément sur ce que la note du (n°115, dimanche 1er février 1835,
feuilleton) l’accuse d’avoir oublié : que l’ammoniaque et le sucre
sont des substances inorganiques, tandis que (comme il l’avait dit p 222 de son Essai sur
la philosophie des sciences), un grain de fécule, un globule de fibrine ou de tissu
cellulaire sont des corps organisés, qui sont du ressort de l’anatomie, science de
la seconde section et dont la chimie n’a point à s’occuper dans cet
état. Un membre ayant dit alors qu’il était contre l’usage
d’appeler le sucre une matière inorganique et tout le monde étant
d’ailleurs d’accord que l’analyse chimique du sucre appartenait à
cette science de la première section, on proposa d’employer l’expression de
corps inorganisés au lieu de celle de monde inorganique. M. Ampère
acquiesça à cette dénomination, parce qu’il ne s’agissait que
d’une question de mot et qu’il était bien reconnu que, pour ne pas sortir de
l’exemple cité, l’analyse du sucre appartenait aux sciences de la
première section, et que l’anatomie d’un grain de fécule appartenait
à celles de la seconde.
Voici le passage entier de l’ouvrage que nous venons de citer qui montre que M.
Ampère est parti de la découverte de M. Raspail sur la fécule, pour
trouver à l’égard des matières retirées des
végétaux et des animaux, la ligne de démarcation qu’il a
établie entre les sciences dont il composent ses deux règnes :
« p.222 C’est surtout à l’égard de l’anatomie et de la
physiologie végétales et animales, de l’agriculture comparée et de
la zootechnie comparée, que l’on peut éprouver des difficultés de ce
genre. J’ai fait remarquer, page 87, que tant que les matériaux des terrains
qu’on étudie dans la géologie, sont composés de plusieurs substances
qu’on peut séparer mécaniquement, c’est à la
minéralogie à en opérer la séparation, tandis que c’est
à la chimie qu’il appartient d’analyser les substances minérales
homogènes. Je pense qu’on doit en dire autant relativement à la limite
à établir entre l’anatomie végétale ou animale et la chimie ;
et, en cela, je ne fais que me conformer à l’opinion d’un homme, dont les
vues profondes et les découvertes importantes ont fait faire tant de progrès
à cette science. Si une anatomie délicate reconnaît dans les organes les
plus ténus des végétaux ou des animaux, les différentes parties
dont ils sont composés, n’est-ce pas à elle qu’il convient de
séparer, dans un grain de fécule, dans un globule de fibrine ou de tissu
cellulaire, le tégument de la matière qu’il renferme ? Et le rôle de
la chimie ne doit-il pas se borner ici à analyser ultérieurement ces corps,
après que l’anatomie les a isolés ; comme lorsqu’il s’agit des
substances inorganiques, elle ne doit décomposer que celles qui sont homogènes.
»
Paris, 6 février 1835.
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Source de l'édition électronique de la lettre : brouillon manuscrit Archives de l'Académie des sciences, chemise 155
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Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr1171.html
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