Ampère, André-Marie à Maine de Biran, Pierre
Paris,
le 15 février [1815]
Mon cher ami ! vous devez m'en vouloir de mon silence, je me le reproche mille fois plus
vivement que vous ne pouvez me le reprocher. Mais si vous saviez comme mon temps, a
été absorbé vous me pardonneriez une chose tout à fait
involontaire, mon temps étant tellement pris que Mr. Davy m'ayant
écrit de Rome pour différents renseignements relatifs à la chimie, ma
réponse commencée le 25 janvier n'a pu être finie et partir
qu'hier. Vous savez que la fin de mon cours à l'école Polytechnique
s'est réunie pendant 15 jours aux fonctions de juré pour ne pas me laisser un
instant, et depuis que tout cela est fini, Mr. de Fontanes m'a choisi avec trois
autres inspecteurs pour faire la visite des lycées de Paris, ce qui a été
encore mille fois plus assujettissant, et je crois bien inutile puisqu'on attend de jour en
jour la nouvelle organisation de l'université. Toutes ces occupations ne m'ont
pas permis d'écrire un mot pour la société psychologique qui souffre
beaucoup de votre absence, Mr. Degérando y a fait néanmoins à
la dernière séance une lecture intéressante contenant une espèce de
tableau de la philosophie Grecque. Mais ce n'était qu'historique. Dans la
séance précédente qui a eu lieu peu de temps après votre
départ il n'y eut qu'une conversation ou je fis un exposé de votre
doctrine qui réussit d'abord assez bien à ce qu'il m'a semblé,
mais ensuite Mr. Royer-Collard fit quelques objections d'une manière
positive comme le prononcé d'un jugement, et cela fit passer la conversation
à d'autres sujets en sorte que je ne pus répondre. Je projette
d'écrire pour la prochaine séance un morceau sur le sujet qui semble
d'abord lié à cette doctrine d'une manière assez indirecte, mais
qui conduit néanmoins à établir des principes qui y conduisent
nécessairement. Il serait intitulé des sensations considérées
comme des signes. De même que les autres psychologues je distinguerai des signes
naturels et des signes de convention, mais en établissant que les premiers ne
diffèrent des seconds qu'en ce que la simultanéité du signe et de
la chose signifiée résulte des lois ordinaires de la nature ou de celles de
l'organisation, mais que dans l'un et l'autre cas il n'y a que
simultanéité, en sorte que la sensation-signe, ne peut jamais, faire
connaître la chose signifiée, comme Reid l'admet pour les signes
naturels, mais seulement en faire reconnaître l'existence, quand elle a
été connue au préalable d'une autre manière à
l'époque où l'association s'est faite. Mr. de Tracy offre
ici un bon exemple à discuter d'abord, quand il a admit qu'une sensation
musculaire faisait primitivement connaître le déplacement du membre, tandis
qu'elle n'en est qu'un signe naturel qui suppose ce déplacement
déjà connu, et son association avec lui par simple
simultanéité.
Je me suis proposé presque tous les jour depuis votre départ de voir
monsieur votre fils.Je vous ai dit quelles occupations multiples m'en on
empêché jusqu'à présent.J'espère m'en
dédommager bientôt. C'est un grand malheur pour moi que vous ne soyez pas ici
à l'époque extrêmement prochaine où l'on fera tous les
changements dans l'Université. Je ne vous cache pas que malgré
l'influence qu'auront sûrement nos amis dans les nouveaux choix, j'ai les
plus grandes craintes de n'être pas conservé, parce qu'on dit qu'on
diminuera beaucoup le nombre des personnes employées, et qu'on en nommera qui
jusqu'à présent ont été étranger à
l'Université; d'après ceux qu'on annonce
devoir être choisis, je pense que vous auriez peut-être été
nommé conseiller si vous vous étiez trouvé ici lorsqu'on
s'occupera définitivement des choix. Quel bonheur c'eut été pour
la philosophie ! Mais il semble que toutes les circonstances les plus accidentelles tournent
contre elle. Si je sors, personne dans l'Université n'y prendra plus
intérêt à moins que Mr. Royer-Collard ne soit conseiller comme
plusieurs personnes l'espèrent. Je n'ai au reste fait aucune démarche
pour rester, quoique bien d'autres en fassent, je me le reproche presque, mais les uns ne
prennent aucun intérêt à moi, et je leur en parlerais inutilement, un ou
deux autres en prennent peut-être mais il me semble qu'en les allant voir à ce
sujet je ne ferais que leur dire que je me défie de ce qu'ils devraient
naturellement dire pour moi, comme le plus ancien des inspecteurs pour les sciences, et celui
qui peut-être chargé des choses relatives à un plus grand nombre des
diverses connaissances.
Adieu cher ami, je vous aime et vous embrasse de toute mon âme, et j'attend une
lettre de vous avec une vive impatience, puisse-t-elle m'annoncer à peu près
l'époque de votre retour à Paris! Je vous prie d'offrir à Madame
de Biran l'hommage de mon profond respect, et de m'aimer toujours comme je vous
aimerai toute ma vie.
A.AMPERE
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