Ampère, André-Marie à Maine de Biran, Pierre
Paris,
17 7bre 1816
Mon excellent ami,
Vous voilà enfin de retour dans votre pays, mais au lieu du repos que vous deviez
naturellement y goûter, avant de revenir à Paris reprendre le fardeau des
affaires, à peine y êtes-vous arrivé qu'il faut vous consacrer aux
fonctions dont la confiance du roi vient de vous charger. Je sens d'un côté la
surcharge de travail qui en résulte pour vous, l'impossibilité de donner
même quelques moments à ces études chéries dont la
première des sciences attend tant de progrès, mais de l'autre je trouve cette
nouvelle mission si bien dans vos mains, je désirerais si ardemment que tous les
collèges électoraux fussent présidés par des chevaliers de
Biran, que j'éprouve une vive satisfaction de vous voir à la tête des
électeurs de votre département, et que je trouve qu'il faut bien se
consoler si la psychologie en souffre puisque c'est pour le bonheur de la France. C'est
elle et non pas vous qu'il faut en féliciter, mais cependant c'est vous aussi,
vous qui jouirez du bonheur de rendre de si éminents services à tous vos
concitoyens, en vous consacrant à celui du roi dans une si importante occasion. Mes yeux
ne laissent pas de jeter un regard à la dérobée sur le temps où un
peu de repos vous ramènera à ces pensées profondes qui contenaient tant de
découvertes dans une science que vous seul dans ce moment pouvez porter au degré
de perfection dont elle est susceptible, mais dont elle est encore si loin, du moins pour
ceux qui ne connaissent pas ce que vous avez fait. Nous en parlons quelquefois avec Mr Cousin
qui attend votre retour à Paris presqu'aussi impatiemment que moi. Nous sommes
assez d'accord sur presque tous les points. Nous nous préparons ainsi à mieux
profiter des conversations que nous espérons avoir cet hiver avec vous, et à
pouvoir entendre à demi-mot ce que les occupations de la Chambre vous laisseront le
temps de nous dire.
Que j'ai de remerciements à vous faire, cher ami, de la lettre que vous avez bien
voulu écrire en ma faveur au Ministre de l'Intérieur. Elle a sûrement
puissamment contribué à ce que je visse tous mes voeux comblés
relativement à l'Ecole polytechnique. Je vous aurais écrit plus tôt si
je n'avais craint qu'ayant déjà quitté St Sauveur et
parcourant plusieurs villes du midi, vous ne reçussiez pas ma lettre. Enfin Mr
Royer-Collard m'a annoncé avant-hier votre arrivée chez vous, et
j'espère que cette lettre vous y trouvera. Il me tarde, si vous avez un moment pour
m'écrire quelques lignes, de savoir que les eaux et le voyage ont entièrement
rétabli votre santé et celle de Madame de Biran, à qui je vous prie
d'offrir l'hommage de mon profond respect. Quant à vous, cher et excellent ami,
je suis heureux de ce qu'au plus tendre attachement, à une amitié qui
augmenterait toujours si elle n'était depuis longtemps dans
l'impossibilité de s'accroître, se joint à présent la plus
vive reconnaissance du service que vous venez de me rendre, et qui assure le repos et le
bonheur de ma vie. Vous savez si je vous aime et vous embrasse de toute mon âme, en
attendant le plaisir de vous voir que j'espère goûter d'ici à un
mois, car je prévois qu'à cette époque vous serez de nouveau questeur
de la Chambre.
A.M. Ampère
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