Ampère, André-Marie à [Férussac, baron de]
s.d. [peu après la mort de Laplace, le 5 mars 1827]
[Ces deux brouillons, non achevés, ont été édités
solidairement puisqu'ils se rapportent au même projet de lettre.]
[Premier brouillonFac-similé : folios 1 et 2]
Monsieur le Baron,
Quels que soient les progrès qu’un génie supérieur ait fait faire
aux sciences, il est toujours permis à ceux qui n’adoptent pas ses idées de
combattre même les vérités les plus incontestables qu’il a
établies, mais lorsqu’il s’agit d’un de ces hommes dont les
immortelles découvertes ont reculé les limites de l’esprit humain, on ne
peut se défendre d’un mouvement de surprise quand on le voit attaquer, sans que
celui qui veut substituer ses idées aux siennes mette dans sa critique les égards
dont les savants aujourd’hui se dispensent rarement, et la surprise doit augmenter quand
ce manque d’égards a lieu envers un grand homme dans le moment où
déjà la mort plane sur sa tête, prête à le ravir à
l’admiration universelle de ses contemporains.
Déjà le savant illustre que la France s’enorgueillissait de pouvoir
présenter à l’Angleterre, comme le digne rival de ce Newton dont il a
achevé les découvertes encore imparfaites, était atteint de la maladie
à laquelle il vient de succomber, lorsque, dans le Bulletin des sciences
mathématiques, physiques et chimiques , où sous un titre trop modeste, ceux qui
s’occupent de ces sciences aiment à trouver le précis le plus complet et le
plus intéressant de tout ce qui s’y fait de nouveau, a paru un mémoire de
M. Cournot sur le choc de deux corps qui se cho…
[inachevé]
………
[Deuxième brouillonFac-similé : folios 3 à
10]
Monsieur le Baron,
Je sais que quels que soient les progrès qu’un génie supérieur ait
fait faire aux sciences, chacun est libre de combattre même les vérités les
plus incontestables qu’il a établies, mais il me semble que, surtout quand il
s’agit d’un de ces hommes dont les immortelles découvertes ont reculé
les limites de l’esprit humain [ici passage fortement raturé, illisible sur le
manuscrit].
En parcourant il y a peu de jours le n° de janvier du Bulletin des sciences
mathématiques, physiques et chimiques, ouvrage où sous un titre trop modeste ceux
qui cultivent des sciences aiment à trouver le précis le plus complet et le plus
intéressant de tout ce qui s’y fait de nouveau, je n’ai donc pas
été surpris de voir M. Cournot opposer ses idées à celles du savant
illustre que la France s’enorgueillissait de présenter à l’Angleterre
comme le digne rival de ce Newton qui a jeté les fondements de l’édifice
dont son successeur a construit le faîte, mais je n’ai pu me défendre
d’un mouvement de surprise lorsque j’ai vu la manière au moins inconvenante
dont, à l’instant où déjà la mort planait sur la tête
du grand homme que nous venons de perdre, M. Cournot rejette avec une sorte de dédain ce
que M. de Laplace a dit sur un sujet dont je crois qu’il s’est occupé plus
longtemps et surtout avec de plus profondes réflexions que son critique. Voici le
passage inséré dans le bulletin de janvier 1827, pages 9 et 10 :
« Certains géomètres soutiennent qu’on ne peut
établir nos équations (B) (celles du choc des corps), même dans le cas
d’un seul point de contact, qu’en supposant que les deux corps
s’éloignent de la rigidité parfaite ; que par conséquent, dans
l’hypothèse de cette rigidité, non seulement les valeurs des percussions,
mais les éléments du mouvement après le choc, seraient entièrement
indéterminés ; ce qui revient à dire que l’impulsion, telle que
Descartes et Leibnitz croyaient la concevoir si clairement, est une chose non seulement
dépourvue de réalité physique, mais mathématiquement impossible.
»
Voici maintenant le passage de l’Exposition du système du monde auquel M. Cournot conviendra qu’il fait allusion,
à moins qu’il ne prétende n’avoir pas lu cet ouvrage, ce qui serait
assez singulier de la part d’un auteur qui veut substituer une mécanique
forgée dans son imagination à celle de la nature :
[L’extrait du passage en question, c’est-à-dire le paragraphe suivant, a
été recopié par une autre main sur un papier collé sur le
manuscrit]
« La démonstration précédente suppose qu’après le
choc, les deux corps doivent avoir la même vitesse. On conçoit que cela doit
être pour les corps mous dans lesquels la communication du mouvement a lieu
successivement et par nuances insensibles. Car il est visible que dès l’instant
où le corps choqué a la même vitesse que le corps choquant, toute action
cesse entre eux. Mais entre deux corps d’une dureté absolue, le choc est
instantané et il ne paraît pas nécessaire qu’après, leur
vitesse soit la même. Leur impénétrabilité mutuelle exige seulement
que la vitesse du corps choquant soit la plus petite ; d’ailleurs elle est
indéterminée. Cette indétermination prouve
l’absurdité de l’hypothèse d’une dureté
absolue. En effet, dans la nature, les corps les plus durs, s’ils ne sont pas
élastiques, ont une mollesse imperceptible qui rend leur action mutuelle successive,
quoique sa durée soit insensible. »
[de nouveau de la main d’Ampère] (Exposition du système du monde, page
172 de la 5ème édition, c’est page 179 dans la quatrième).
Quand on compare ces deux passages, j’avoue qu’il n’y a pas besoin de
recourir à l’autorité d’un des noms les plus illustres dans les
sciences pour juger qui a mieux vu, de M. de Laplace ou de M. Cournot, sur le sujet dont il est
ici question. Ce dernier finit à la vérité par convenir que la supposition
de ce qu’on appelle un corps dur est une limite dont s’approchent plus ou moins les
corps qu’on désigne ordinairement sous ce nom, mais comme on le voit
d’après le passage de l’Exposition du système du monde que je viens
de citer, il n’ya a pas plus de raison de prendre pour ce qui doit résulter du
choc de deux corps supposés parfaitement durs, la limite de ce qui arrive dans celui des
corps mous, plutôt que la limite de ce qui a lieu dans le choc des corps
élastiques, à élasticité parfaite ou imparfaite, corps que
l’on désigne ordinairement sous le nom de corps durs quand ils ont une grande
force élastique, tandis que personne ne s’avise de définir un corps dur
la limite d’un corps mou.
Ce que dit M. Cournot au sujet de Descartes et de Leibnitz est peut-être encore plus
singulier que l’a manière dont il parle de la théorie de M. de Laplace sur
le choc. Il semblerait que les physiciens modernes qui savent que tous les corps sont
compressibles, et qui emploient tous les jours le mot de force d’impulsion ou de
percussion pour désigner cette force avec laquelle chacun des deux corps presse
l’autre pendant toute la durée du choc, c'est-à-dire pendant le temps
très court que ces corps emploient à changer de forme, ils ont de cette impulsion
une idée bien différente de celle qu’avaient Descartes et Leibnitz. Qui ne
voit que c’est au fond la même idée, seulement elle est éclaircie et
rectifiée, si l’on veut, par cette vérité, due aux progrès
que la physique a fait depuis l’époque où Descartes et Leibnitz ont
écrit, qu’il n’y a point de corps qui ne soit compressible,
vérité non seulement confirmée par les belles expériences des
physiciens modernes, surtout par celles d’Oersted sur la compressibilité des
liquides, et de Reichenbach sur celle des solides les plus durs, mais qui est encore une suite
nécessaire de ce que les atomes dont se composent les dernières particules des
corps n’étant unies entre elles que par des forces attractives et
répulsives en équilibre, ne peuvent manquer de se rapprocher quand le corps qui
résulte de leur réunion est pressé à un ou plusieurs points de sa
surface par des forces quelconques, et surtout par des forces qui, comme celles de
l’impulsion, sont pour des masses égales et de changements de vitesses
égaux, d’autant plus grandes à chaque instant, que ces changements
s’opèrent dans un temps plus court.
[ici passage fortement raturé, illisible sur le manuscrit].
Je m’étais d’abord proposé de joindre à cette lettre
quelques considérations sur la nature de ces forces d’impulsions produites par les
changements de vitesses et de direction dans un corps en mouvement pour servir de
développement au passage de l’Exposition du système du monde où M.
de Laplace a établi les lois du choc des corps tels qu’ils existent
réellement, et a établi l’impossibilité de déterminer ce qui
arriverait dans la supposition de corps mathématiquement incompressibles qui viendraient
à se rencontrer.
[inachevé]
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if ($lang=="en" AND $val['bookId'] < '834') { print "Publish in :"; } ?>
Source de l'édition électronique de la lettre : brouillon manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXV, chemise 375. [Deux brouillons de lettre, non datés, non adressés.]
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr1061.html
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