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Correspondance d'Ampère, Lettre L977

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Index des noms de personnes

Couppier, Jean-Stanislas      à      Ampère, André-Marie


[Lyon], [courant avril 1793]

Monsieur,

J'ai reçu avec un bien vif intérêt votre lettre. J'ai bien admiré l'empressement que vous avez eu à résoudre le problème que nous nous étions proposé. Je ne m'attendais [pas] à en voir arriver aussi tôt la solution et une solution aussi claire que celle-là. Vous devez avoir éprouvé de la satisfaction à redresser Bézout et je suis bien convaincu comme vous qu'il était vraiment en erreur, quand il prétendait qu'il était une certaine longueur au-delà de laquelle l'aile [d'un moulin à vent] ne produisait plus un si grand effet. D'après les bonnes raisons que vous m'en avez données, il me parait clair qu'en supposant la longueur de l'aile infinie, l'effet en sera infini et qu'alors l'angle devra être de 90°. Cependant il y a une observation à faire, c'est que cet angle de 90° ne doit se trouver qu'à l'extrémité de l'aile et qu'il doit toujours diminuer en approchant de l'axe auprès duquel il doit être de 54°44'. Suivant la solution que vous m'avez donnée du cas où la roue est en repos, car la partie de l'aile qu'on supposera approcher infiniment de l'axe devra être considérée comme étant en repos, parce qu'elle n'a qu'un mouvement infiniment petit. J'ai vu en effet que Daniel Bernoulli dans la solution de ce problème démontre que pour avoir le plus grand effet, il faudrait que l'inclinaison de l'aile allât en augmentant de l'axe à l'extrémité. Jamais je n'ai tant regretté de ne pas posséder les mathématiques, que dans ce moment où elles me procureraient le plaisir de résoudre des problèmes avec vous. Mais malheureusement, outre que je n'y avais que de bien médiocres dispositions, et que je n'en saisissais les éléments mêmes qu'avec peine, je les ai entièrement négligées depuis trois ans que je les ai étudiées et comme j'ai la mémoire courte, toutes les fois qu'il se présente la question la plus simple, il faut que j'ai recours à mes auteurs pour me rappeler les premiers principes. N'ayant encore aucune connaissance du calcul différentiel, j'ai bien compris que je ne pourrais jamais résoudre la question dont nous nous sommes occupés, ou du moins que je ne pourrais avoir qu'une approximation, après des recherches très laborieuses par la voie du tâtonnement en supposant toutes les quantités connues et essayant pour chacune un grand nombre de valeurs, afin de découvrir par là quelle est celle qui approcherait le plus du maximum plus grand effet. Après bien du travail, je n'ai amené que des résultats absurdes. Mais on apprend toujours quelque chose en réfléchissant.
La première fois que je lus dans Bézout la solution de ce problème, comme je n'y comprenais rien, je ne me donnai point la peine de chercher par quelle voie il prétendait trouver le maximum. Mais depuis que vous avez eu la bonté de m'expliquer très clairement sa marche, il m'est venu quelques réflexions sur cette question que je soumets à votre jugement. Dans la manière dont cette question est proposée, il me paraît qu'on a cherché uniquement à produire le plus grand choc et comme il dépend relatif, c'est-à-dire la décomposition qui fait perdre la plus petite partie possible du choc direct ou absolu. Et dans cette idée, on a supposé que la vitesse de rotation était donnée. Mais il me semble qu'il s'agit au contraire de chercher quelle doit être cette vitesse car pour avoir la quantité de mouvement, il faut comme vous le savez multiplier la force par la vitesse. Or pour rendre ce problème complet il faudrait chercher le maximum de la quantité de mouvement ; il ne faudrait donc pas supposer connue la vitesse de rotation qui entre dans ce maximum. Et il ne faut pas croire que cette vitesse dépendra de la machine qu'on veut faire mouvoir ; car quelque vitesse qu'ait la roue d'un moulin à vent, on peut donner toutes les vitesses imaginables à la meule, il suffit pour cela de mettre un nombre proportionné de roues et de pignons entre la puissance et le mobile auquel on veut imprimer du mouvement. Or la vitesse de rotation ne doit point être prise, comme le suppose Bézout, sur un point pris indistinctement mais bien sur le centre de gravité de la surface choquée, et comme vous le savez dans un parallélogramme, ce point est le centre. Il faudrait donc supposer seulement la vitesse du vent donnée et avec cette seule donnée déterminer l'angle, et la vitesse que doit avoir le point où se rapporte tout le choc de l'aile entière. Mais il paraît que la vitesse de rotation même dépend entièrement de l'angle d'inclinaison. Car pour avoir la plus grande quantité de mouvement dans une machine qui est mue par un fluide, il faut toujours que la vitesse avec laquelle ce fluide choque soit les deux tiers de sa vitesse totale. Mais en laissant au fluide les deux tiers de sa vitesse totale, il ne faut pas croire pour cela que la vitesse de rotation soit réduite au tiers de celle du vent. Cela dépend de l'angle d'inclinaison et il faut pour cela que cet angle soit de 40°. Car alors l'aile fuit le vent avec la même vitesse avec laquelle elle tourne. Si l'on suppose l'angle plus grand, le vent pourra choquer avec les deux tiers de sa vitesse et l'aile avoir cependant beaucoup plus du tiers de la vitesse du vent, car dans la supposition que l'angle soit infiniment près de 90°, la vitesse de rotation serait infinie.
De tous ces raisonnements il me paraît qu'on doit conclure :
1° qu'il n'est point nécessaire de supposer une grandeur déterminée à l'aile, mais qu'au contraire il faut la considérer comme étant toute réunie en un point, ou, ce qui reviendrait au même la supposer infiniment petite ;
2° que l'angle le plus favorable étant une fois déterminé, la vitesse de rotation le serait par là même, car pour avoir le plus grand effet il faut qu'elle ait un certain rapport avec celle du vent et avec l'angle d'inclinaison or dans l'équation que vous avez eu la bonté de m'envoyer, je ne vois point de moyen de découvrir tout à la fois la valeur
3° qu'on n'a point besoin de connaître la distance de l'axe au point de rotation qui, dans ce cas, représente l'aile toute entière.
Pour vous faire connaître les tentatives que j'ai fait pour découvrir ce maximum, je vous dirai que j'ai cherché à découvrir une expression de la force qui fait mouvoir l'aile, et une de la vitesse de rotation comparée à celle du vent pour avoir la première expression. J'ai remarqué que, devant laisser au vent les deux tiers de sa vitesse totale pour choquer, la vitesse du choc sera (2/3)V, appelant V la vitesse totale. Pour avoir le choc il faut prendre le carré de la vitesse qui est (4/9)V² ; pour avoir ensuite égard à la décomposition des forces qui vient de l'obliquité, il faut multiplier cette quantité par [sin²y . cosy]/v3 et j'aurai alors pour expression de la force qui fait mouvoir l'aile (4/9)V²[(sin²y . cosy)/v3].
Mais pour avoir la quantité de mouvement, il faut multiplier cette force par la vitesse de rotation. J'ai donc cherché à découvrir cette vitesse de rotation, toujours dans la supposition qu'on ne retranchât qu'un tiers de la vitesse du vent qui choque et j'avais cru découvrir d'abord que le tiers de la vitesse du vent est à celle de rotation comme le rayon est à la tangente. L'expression de la vitesse de rotation devenait alors celle-ci : (1/3)V . (tany/v). Or pour avoir la quantité de mouvement, il faut multiplier la force par la vitesse, il faudrait donc multiplier la première expression par celle-ci et nous aurions (4/27)V3 [(sin²y . cosy . tany)/v4] pour expression de la quantité de mouvement, qui doit être un maximum.
Pour simplifier, il faut faire V = 1 et v = 1.
L'expression se réduit à celle-ci : (4/27)sin²y.cosy.tany.
J'ai cherché par le moyen des tables de sinus à donner différentes valeurs à l'angle y pour trouver quel est le cas où le produit de ces quantités se trouve le plus grand, mais je me suis bientôt aperçu que plus j'augmentais l'angle, plus ce produit devenait grand, tellement qu'à 90° il devenait infini, ce qui était absurde. J'ai bien compris alors que l'expression de la vitesse de rotation était fausse, parce que la tangente croissait dans un trop grand rapport, mais je n'ai jamais pu trouver une autre expression.
Les longueurs des raisonnements auxquels je me suis livré ont dû vous causer bien de l'ennui, surtout par leur obscurité, mais ayant éprouvé déjà votre complaisance à m'instruire, j'ai pensé que vous voudriez bien excuser le désir que j'ai eu de m'éclairer sur un objet qui m'occupe depuis bien longtemps.
Aussitôt que j'ai eu reçu votre lettre, je me suis occupé à résoudre le problème que vous m'y proposez, et je ne l'ai quitté que quand j'ai cru en être venu à bout.
Dans cette figure [voir fac-similé], soit a le côté choqué par le courant pour déterminer le bac à aller vers f.
Nous appellerons S sa surface et s la surface du côté b qui est fort inclinée pour diminuer la résistance.
c sera l'angle formé par le côté b et la direction de l'eau.
d sera l'angle formé par le dessous du bac pour diminuer la résistance vers f.
V sera la vitesse de la rivière et v celle du bac.
Lorsque le bac a acquis toute la vitesse dont il est susceptible, il éprouve un choc sur la grande surface pour le porter vers f qui est égal à celui qu'il éprouve sur la petite pour l'en éloigner. Cherchons l'expression de ces deux chocs. Le choc de la rivière sur la grande surface S serait V²S sans l'obliquité. Mais dans la position où il est, pour avoir la force qui le pousse vers f, il faut multiplier cette valeur par le carré du sinus, multipliant le cosinus, le tout divisé par le cube du rayon ce qui donne : (V²S.sin²c.cosc)/v3.
Mais comme le bac a une certaine vitesse, il faut retrancher de cette impulsion une partie dont l'expression (v²S.cos3c)/v3.
La force qui retient le bac peut être considérée comme composée de deux autres. La première est celle qu'il éprouverait sur la surface b s'il était en repos. L'expression en est [(V²s.cosc.sinc)/v3] x (sin²d/v²).
Le dernier facteur de ce produit est, comme vous le voyez, pour avoir égard à la diminution de résistance qui vient de ce que le côté b n'est pas perpendiculaire. C'est là l'expression que vous m'en avez donné, mais je doute qu'elle soit exacte car outre les deux décompositions qui sont exprimées par sin²d/v², la résistance diminue encore à raison de ce [que] la surface se présentant obliquement rencontre un moindre nombre de parties de fluide et il faudrait, je crois, pour y avoir égard, mettre (sin3d/v3).
Le produit deviendrait alors (V²s.cosc.sin3d.sin²c)/v6.
Ou bien il faudra prendre pour surface choquée une section du bac faite dans le milieu et c'est ce que j'ai supposé dans cette solution. A cette expression il faut ajouter la résistance qui naît du mouvement du bac, dont l'expression est (v²s.sin²c.cosc)/v3.
L'équation totale est donc :
[(V²S.sin²c.cosc)/v3] – [(v²S.cos3c)/v3] = [(V²s.cosc.sinc)/v3] x (sin²d/v²) + [(v²s.sin3c.sin²d)/v6]
En supposant le rayon égal à 1 on pourra effacer tous les v et cherchant la valeur v c'est-à-dire la vitesse du bac, on aura :
v = V²s.cosc.sinc.sin²d)/(s.sin3c.sin&sup √[(V²S.sin²c.cosc – 2;d + S.cos3c)]
Telle est l'équation que j'ai amenée pour déterminer la vitesse d'un bac quelconque. Pour ce qui est de l'angle qu'il doit faire, je ne l'a point cherché parce qu'il ne pourrait se résoudre que par le calcul différentiel. Mais sur cette solution comme sur toutes les autres, j'espère que vous voudrez bien avoir la bonté de me redresser si je me trompais, ce qui m'arrive souvent faute d'être assez exercé à l'algèbre.
Je profite avec bien du plaisir de la complaisance que vous voulez bien avoir de résoudre les problèmes dont la solution m'embarrasse, pour vous en proposer un dont je crois vous avoir déjà parlé. Sa solution serait d'une grande utilité dans la pratique. Il s'agit toujours des fluides. Ce qui fait que je ne vous le propose qu'avec crainte, c'est que la théorie en est peu brillante ; et je crois même que dans la plupart des cas, il ne peut se résoudre que par un tâtonnement bien ennuyeux.
Il s'agit de savoir quel est le nombre d'aube qu'on doit donner à une roue mue par l'eau, pour produire le plus grand effet en supposant qu'on ait déterminé la partie du rayon de la roue qu'on veut couvrir d'aubes. Bélidor et Desaguliers prétendent que ce nombre doit être tel que lorsqu'une des aubes est verticale, celle qui la précède soit prête à entrer dans l'eau. D'autres auteurs prétendent que le nombre doit en être infini. Je n'ai pu jusqu'à présent déterminer ce nombre que dans un cas et je me suis trouvé d'accord avec ces derniers. Il s'agit de celui où les aubes n'occupent qu'une partie infiniment petite du rayon. En effet si dans la figure [voir fac-similé] qui représente un petit arc de cette roue vous examinez quel doit être le choc de l'eau dans les différentes positions, vous verrez qu'il est le plus grand possible, lorsqu'une des aubes est verticales. Mais si vous supposez que l'aube a ait fait la moitié du chemin de a à b, c'est-à-dire qu'elle soit en d, vous trouverez son choc diminué d'un quart. Comme nous avons supposé la roue infiniment grande par rapport à la largeur des aubes, elles feront entre elles un angle infiniment petit, par conséquent il n'y aura point de décomposition. Mais dans cette position, cette aube a qui reçoit seule le choc ne trempera que des trois quarts de la largeur, comme il sera facile de vous en convaincre. Donc il y aura un quart de la force de l'eau perdue. Si au contraire vous supposez le nombre des aubes infini, elles présenteront entre elles toutes à l'eau une surface égale à celle de b et comme nous avons supposé que les aubes a et b faisaient entre elles un angle infiniment petit, il en sera de même de toutes les intermédiaires. Donc il n'y aura point de décomposition de force, donc le choc qu'elles éprouveront sera égal à celui de la surface b, c'est-à-dire le plus grand possible, donc etc. Voilà la seule supposition dans laquelle j'ai résolu ce problème jusqu'à présent.
Je me rappelle que quand j'étais encore enfant, il se présenta à moi l'idée d'un problème dont la solution était beaucoup au-dessus de mes forces, comme elle l'est, je crois, bien encore. Il s'agissait d'un cerf-volant qui faisait mes plaisirs ; je l'avais si bien perfectionné qu'avec une corde de 1500 pieds, il s'élevait perpendiculairement à 700. Mais j'avais remarqué que lorsque je lui en lâchais davantage, il baissait. On pourrait se proposer deux questions sur sa théorie. La première : quel angle doit faire un cerf-volant donné pour s'élever au plus haut possible. La seconde : quelle est la hauteur à laquelle ce cerf-volant peut s'élever. J'ai trouvé pour réponse à la première question dans quelque auteur, l'angle de 54°44'. Mais cela est faux, car l'angle dépend du poids du cerf-volant, de celui de la corde, de la vitesse du vent, etc. Et en effet, un cerf-volant qui ferait avec la direction de l'air l'angle de 54°44' aurait la plus grande force possible pour s'élever en partant ; mais cette force croît toujours en diminuant [sic] jusqu'à ce que la ficelle qui le retient fît avec l'horizon l'angle de 35°16', complément de 54°44'. Alors il cesserait de monter ; encore faudrait-il pour cela le supposer sans pesanteur ainsi que la ficelle. Tandis qu'un cerf-volant sans pesanteur et dont l'angle serait presque nul avec le vent, s'élèverait presque perpendiculairement à l'horizon. Plus j'examine cette question, plus je la trouve compliquée, surtout si l'on a égard à la courbe que forme la ficelle. Quant à la seconde question, il faut absolument avoir égard à cette courbe, parce que dès qu'on suppose qu'on donne au cerf-volant le plus de corde possible, son poids la fait plier très considérablement. Il y a une résistance qui vient du choc du vent sur la ficelle, choc qui tend à abaisser le cerf-volant ; mais on pourrait bien la négliger en tout. Cette théorie me paraît fort compliquée, mais elle vous paraîtra sans doute plus intéressante que celle des aubes.
Le plaisir de m'entretenir avec vous m'a fait abuser de votre complaisance, et j'ai honte de vous envoyer cette lettre que vous trouverez pleine de répétitions et de ratures. Ayant été obligé de la quitter perpétuellement, elle se trouve avoir bien peu de suite, mais je vous prie de m'excuser pour cette fois ; une autre fois je serai plus concis. En attendant je vous prie de vouloir bien agréer le respectueux sincère attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,

Couppier.

J'oubliais de vous faire des remerciements de la bonté que vous avez eue de m'envoyer l'ouvrage de Cousin . Je ne sais comment je ne m'aperçus pas que vous me l'aviez apporté, le jour où vous êtes venu me voir, et j'ai été très surpris de le trouver par hasard dans ma chambre ; je crains bien qu'il ne soit beaucoup au-dessus de mes forces, je n'en ai pas moins de reconnaissance pour votre complaisance à me le prêter.



  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 333


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