? à Ampère, André-Marie
Paris,
s.d. [Le dénommé Painparé a écrit à Ampère au sujet de
sa méthode d'écriture rapide , voir L1001]
Monsieur, Votre nom apposé sur une affiche annonçant un cours de
typophonie par M.M. Painparé et Lupin était une recommandation assez puissante
pour que je dusse, en ma qualité de praticien, me rendre à cette
séance. Notre siècle abonde en intrigants qui veulent tirer argent de tout
et qui pour en venir à cette fin ont assez d'impudeur pour oser quémander le
suffrage d'hommes dont le nom, comme le vôtre, est une bannière sous laquelle se
range aveuglément le public qu'on abuse et dont on met à contribution l'ignorance
et la crédulité. Le plus innocent et cependant le plus
répréhensible en ceci, est, vous n'en ignorez pas, l'homme
considéré qui, cédant aux instances de l'amitié ou de simples
connaissances, se prononce sans examen, et sur la bonne foi que tout homme impartial et bon
suppose dans celui qui le sollicite, se prononce, dis-je, de manière à devenir,
à son insu, le complice de l'intrigue et de l'ineptie, du plagiat et de la
rapacité. En captant ainsi votre approbation, Monsieur, on s'est sans doute bien
gardé d'éclairer votre jugement et de vous soumettre la comparaison de la
typophonie avec les ouvrages du même genre, dont la supériorité vous aurait
étonné. La partie saine du public sait sans doute à quoi s'en tenir sur
ces suffrages de complaisance. Elle sait que personne, dans l'état d'agrandissement de
nos connaissances, ne peut être universel ; elle ne vous fera pas un reproche de
n'être point sténographe et d'avoir cru vous rendre utile en couvrant de votre
égide une production qu'on vous a vantée, et dont vous n'avez pu apprécier
par vous-même la juste valeur ; mais le public qui ignore et qui ne voit l'abus que quand
il a été victime de la duplicité, donne de confiance dans l'appât
qu'on lui présente, et c'est là qu'est le mal, monsieur. Le mal n'est pas
seulement là encore, en honorant de votre recommandation un ouvrage qui en est indigne,
vous dépopularisez votre nom, désormais le public devient incrédule et
défiant sur vos jugements, alors, que ferez-vous en faveur du mérite réel
? l'intrigant aura usé votre crédit et le talent restera sans appui. La
tachygraphie, malgré la sanction méritée de toutes les illustrations de
son temps, malgré la publication de plus de vingt mille exemplaires, est tombée
faute de brièveté suffisante, et on ne lui a jamais rien reproché autre ;
après un exemple semblable, Monsieur, quelle sanction deviez-vous accorder à la
typophonie, qui est encore de moitié moins brève, il fallait lui laisser subir le
jugement du temps qui ne se laissera pas attendre. C'est une erreur chez les uns, et une
cupidité chez les manipulateurs de la typophonie, de croire que cette absurde
écriture, puisse jamais remplacer l'écriture usuelle, qui a passé par la
filière de milliers d'années. Les progrès qu'a [sic] fait faire à
l'enseignement de l'écriture les nouvelles méthodes calligraphiques, ne laissent
pas même entrevoir le besoin d'une plus grande perfection, s'il était possible de
porter plus loin la diversité, la simplicité et l'admirable harmonie de nos
lettres. Tout le monde peut aujourd'hui savoir écrire lisiblement en 25 ou 30
leçons ; tous nos enfants dès l'âge de six à sept ans savent lire.
Que peut-on donc de plus, sinon de multiplier les maîtres et de protéger
l'instruction primaire ? Quant à l'orthographe, si elle est évidemment une
superfluité dans certains mots, elle est en général d'une
nécessité absolue, notre langue fourmille d'équivoques qu'elle seule peut
éclaircir ; Figaro a gagné son procès pour un accent omis sur la particule
où ; et nos bons paysans n'ont pas besoin d'apprendre la sténographie pour mettre
l'orthographe à l'Index. La sténographie ne peut donc jamais être autre
chose que l'auxiliaire de l'écriture usuelle, qu'un art d'agrément et
d'utilité de plus ; et tant que la brièveté manquera à la
sténographie, on pourra dire que le fruit n'est pas mûr. Monsieur Lupin a
beaucoup vanté l'habileté de sa fille dans la pratique de la typophonie ; c'est
un éloge direct à sa capacité et non pas à l'ouvrage, et cela
prouve seulement que si elle eût appliqué son talent à une meilleure
méthode, elle aurait fait en sténographie un sujet très rare. Enfin,
Monsieur, si la typophonie renfermait une seule idée neuve, s'il était possible
de la critiquer sans attaquer tous les autres ouvrages desquels elle a tiré par
lambeaux sa pitoyable existence, je vous en entretiendrais plus longuement, mais en parler de
nom, seulement, est déjà donner à ses auteurs trop d'importance et du reste je m'en réfère à la
justice que le public en a faite à sa première apparition. Du reste,
Monsieur, croyez que l'inconséquence ave laquelle vous vous êtes laissé
immiscer dans un tripotage de coterie, de gens qui ne savent que trop qu'avec des protecteurs
et de l'audace on parvient toujours à faire des dupes, n'altère en rien la
parfaite considération et la haute estime, avec laquelle j'ai l'honneur d'être,
Monsieur, votre très humble serviteur. Un rédacteur
sténographe près les tribunaux.
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Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXV, chemise 372
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