@. Ampère et l'histoire de l'électricité 

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@.ampère

Correspondance d'Ampère, Lettre L992

Présentation de la Correspondance

Couppier, Jean-Stanislas      à      Ampère, André-Marie

Au citoyen Manin, rue Puits-du-Sel, maison Valton n° 65, pour remettre au C. Ampère, à Lyon
[La Terrière ?], Ce vendredi 27 9bre [1795]

Je ne saurais vous peindre, Monsieur, l'état où j'ai été soit en attendant vos lettres, soit en les recevant. Vous devez jugez par vous-même de ce que j'ai dû ressentir d'abord avant de les avoir reçues. Le grand désir que j'en avais me faisait sans doute illusion sur le temps où je devais recevoir la réponse à la mienne de 16 pages. Et, soit que je ne me sois pas donné la peine de compter le temps qu'il fallait pour cela, soit qu'en effet nos lettres aient éprouvé de part et d'autre des retards inattendus, plusieurs jours avant de recevoir votre lettre du 10 9bre je me tourmentais de ce que je ne recevais point de réponse. Toutes sortes de craintes se présentèrent alors à mon esprit. Tantôt je m'imaginais que vous n'étiez plus à Poleymieux ni aux environs, tantôt je me figurais des malheurs beaucoup plus grands. Vous jugez quel plaisir j'eus dans cette situation à recevoir votre première lettre. J'étais alors à la Terrière, de sorte que la lettre ne me parvint que samedi 21. Outre qu'elle me rassurait sur toutes mes craintes, j'avais encore le plaisir d'y voir l'assurance que vous trouviez toujours du plaisir à notre correspondance, qui est pour moi le plus grand plaisir que je puisse goûter, surtout dans la retraite où je suis obligé de vivre. J'aurais sans doute dû y répondre tout de suite et j'en eu d'abord bien envie, mais je pensai que je devais aller le lundi suivant à Claveisolles et que j'y recevrais une réponse à ma première lettre d'abord après mon arrivée, connaissant votre exactitude. D'ailleurs je savais que vous aviez deux lettres à recevoir avant celle que j'allais vous écrire. Deux jours après que je fus arrivé à Claveisolles, c'est-à-dire mercredi passé, je reçus en effet votre lettre du 15. Quoique je n'eus plus d'inquiétude sur votre compte, je fus d'un entrain en la recevant que je ne saurais vous dépeindre. Mais il est temps de me mettre à répondre à ce que vous me dites dans vos deux lettres.
Je commence par la première. Ne croyez pas, Monsieur, quelque chagrin que j'aie éprouvé en attendant vos lettres, que j'ai été tenté d'attribuer tous ces retards à votre négligence, encore moins à une altération dans votre amitié. Je crois trop bien connaître la solidité de vos sentiments, pour qu'il puisse me venir dans l'esprit la moindre inquiétude à ce sujet, et c'est précisément parce que je comptais parfaitement sur vous que j'ai eu tout de suite l'appréhension que quelque malheur ne vous eût empêché de suivre les impulsions de votre amitié pour moi.
Vous me proposiez dans votre première lettre de nous attacher à quelque étude. Mais je serais bien embarrassé dans le choix. Je serais bien charmé d'en trouver quelqu'une où je pus, non pas être votre maître, comme vous me le proposez, mais seulement vous y être de quelque utilité. Car à peine sais-je les premiers éléments de la plupart des sciences que j'ai étudiées, et je croirais volontiers que je ne sais de rien parce que j'ai voulu apprendre un peu de tout. Quoiqu'il en soit, puisque vous voulez bien prendre la peine de me donner des leçons d'astronomie, j'en profiterai avec bien du plaisir, mais ce n'est pas sans regret que je vois l'ennui que doivent vous causer toutes mes questions, tandis que je ne puis pas vous être utile pour la moindre chose.
Je passe à votre seconde lettre. Vous ne sauriez croire le plaisir que vous me faites en m'annonçant que vous consentez à m'écrire toutes les semaines. Je suis si inquiet et si ennuyé lorsque je ne reçois pas de vos lettres les jours où j'en attends, que je puis dire qu'elles sont vraiment de première nécessité pour moi. En effet outre les preuves de votre attachement dont je n'ai pas besoin pour en être convaincu, mais que je vois cependant toujours avec beaucoup de plaisir, j'ai encore celui d'y trouver des éclaircissements sur tout ce qui m'occupe et m'intéresse dans le moment. De mon côté je n'ai jamais rien d'utile ni d'intéressant pour vous à vous écrire, mais puisque vous paraissez cependant désirer que je vous écrive souvent, je vous promets d'être toujours exact à vous écrire toutes les semaines, à moins que je ne sois dans l'impossibilité de vous faire parvenir ma lettre. Celle-ci par exemple ne pourra partir que lundi pour Lyon. Vous me ferez plaisir de me marquer les jours où vous les auriez reçues afin que je puisse juger du temps qu'elles mettent en route et de m'apprendre aussi quels sont les jours où vous avez ordinairement des occasions pour retirer vos lettres de Lyon, afin que je puisse m'y conformer.
Vous avez bien tort de traiter d'extravagance la traduction en vers que vous avez faite des odes d'Horace. Car la tournure poétique, ayant bien du rapport dans toutes les langues, les odes d'Horace sont certainement fort propres à être mises en vers français. D'ailleurs il paraît que vous avez bien senti ses beautés ainsi que celles de Virgile, puisque vous avez retenu ces deux poètes rien qu'en les lisant. Vous m'auriez fait beaucoup de plaisir en m'envoyant la traduction que vous venez de faire, mais j'espère que ce plaisir ne sera que renvoyé et que vous me ferez part de ces vers ou d'autres dans une autre lettre.
Je ne suis pas étonné que vous trouviez quelques difficultés dans l'étude de la grammaire grecque, je m'étonne bien au contraire que vous l'ayez apprise en si peu de temps. Je suis charmé qu'elle vous ait donné des idées pour votre langue universelle. Quant à ce que vous me dites des voix actives et passives, je croyais que dans nos langues on pouvait y ajouter la neutre comme dans me penitet. Il est vrai qu'elle ne diffère pas de l'une des deux autres. Quant aux 82 temps dont vous me parlez, ils doivent rendre les conjugaisons bien difficiles et pour les 17 participes, je ne comprends pas comment on peut les former. Vous me parlez de l'harmonie imitative qui se trouve dans la langue latine. Je veux bien croire qu'il y en a plus que dans la nôtre. Mais je crois aussi que ce qui fait que nous nous en apercevons davantage, c'est que, ne comprenant point aussi rapidement le latin que le français, nous faisons plus attention aux sons de cette langue.
Je n'ai point encore pu faire usage des descriptions des constellations que vous m'avez envoyées, mais elles me paraissent si claires, que je suis persuadé que je n'aurai pas la moindre peine à en faire l'application. Vous avez bien eu tort de penser qu'elles pourraient peut-être m'ennuyer. Elles m'ont fait au contraire un très grand plaisir. En effet si j'en ai eu jusqu'à présent à observer les étoiles avec des renseignements aussi obscurs que ceux que me donnent mes auteurs, quelle satisfaction n'aurais-je pas des leçons qui me coûteront si peu d'application et que je tiens de l'amitié ! Les auteurs sont bien froids en comparaison des amis ! Cela me procurera encore un autre plaisir, qui est celui de relire souvent vos lettres, et il me semble alors que je suis plus rapproché de vous. La seule chose qui me fasse de la peine, c'est celle que vous vous donnez pour m'instruire. Je sens combien il est ennuyeux d'écrire tous ces détails, qui ne sont intéressants que pour celui qui les apprend. Ainsi ce ne sera qu'autant que cela ne vous ennuiera pas trop que je vous prierai de vouloir bien continuer ce genre d'instruction. Je désirerais même que vous y ajoutassiez la détermination de la grandeur des étoiles dont vous me parlez, au moins des principales. Je serais bien aise de connaître au moins toutes celles de 1ère et 2ème grandeur ainsi que les nébuleuses, et même parmi celles de 1ère grandeur, je serais bien aise de savoir l'ordre de leur grandeur entre elles. Mais je vous le répète, ce ne sera qu'autant que cela ne vous coûtera presque point de travail car je serais bien fâché que votre amitié pour moi vous fût si à charge. Quant aux étoiles de 1 ère grandeur, j'ai cru voir que la première était Sirius, la seconde Arcturus et la troisième la Chèvre. Mais pour toutes les autres, je serais bien embarrassé pour les déterminer. Par exemple mon auteur donne Aldébaran pour une des plus brillantes et elle me parait si obscure que je la prendrais presque pour une de 2ème grandeur. De même il y a des moments où je serais tenté de prendre Castor et Pollux pour être de 1ère grandeur. Quant aux noms des étoiles, en ont-elles toutes comme Algol, Rigel, Mirak [sic], etc. ou si ce n'est que les principales ? Dans le dernier cas, je serais bien aise de les apprendre. Quant aux dénominations de Ceinture d'Andromède, Pied oriental d'Orion et autres de ce genre qui désignent la place de ces étoiles, sont-ce de véritables noms admis de tous les astronomes, ou si ce ne sont que des termes qui servent à faire connaître leur position ? Voici encore quelques questions que je vous prie de me résoudre. Les nébuleuses sont-elles de la même nature que la Galaxie, ou du moins paraissent-elles de la même manière ? Sont-elles toujours moins apparentes que les étoiles de 6ème grandeur ? Comment peut-on distinguer les étoiles de même grandeur qui sont dans une même constellation : en se servant des lettres grecques, dont vous dites qu'on se sert actuellement ? Antinoüs est-il une véritable constellation ? Mon auteur n'en compte que 21 boréales anciennes, et il n'y place point Antinoüs ? Pourquoi ne compte-t-il pas aussi la Chevelure de Bérénice parmi les 21 constellations boréales ? Y a-t-il d'autres constellations que celles que donne mon auteur, c'est-à-dire 48 de Ptolémée, 12 décrites par Bayer en 1677, 14 invisibles, 14 de Lacaille, 11 de Royer et trois d'Hevelius, qui sont Chaira [Chara] le Chien de chasse ou le Lévrier, le Lynx et Cerbère ? Toutes ces constellations sont-elles marquées sur le même globe, ou s'il y en a plusieurs qui occupent la même place ?
Je reprends la plume à 10 heures du soir.
Je n'ai pu voir qu'un moment les étoiles à cause de la Lune qui s'est levée de bonne heure, et j'ai tout de suite trouvé toutes les étoiles que vous m'avez décrites qui étaient visibles. Quant à Fomalhaut, je suis charmé d'apprendre que mes conjectures à son sujet se sont trouvées vraies. Par sa position au-dessous du Vaisseau, j'avais d'abord jugé que c'était lui. Mais ce qui m'avait empêché d'y croire ensuite, c'est mon auteur qui dit que le Poisson austral est invisible. On me fait toujours espérer qu'on m'achètera les cartes célestes, mais il paraît encore fort douteux qu'on réussisse dans cette emplette. Je ne suis pas plus heureux pour celle de cette brochure nouvelle dont je vous ai parlé. Je ne perds cependant pas courage, car j'ai chargé quelqu'un qui va à Paris de me l'acheter. Je vois que pour les 23# [livres] il faut y renoncer. Je vous avais écrit dans mon avant-dernière lettre [celle du 31 octobre] que j'avais trouvé l'ascension droite de Mars de 5signes 5degrés pour le 1er 9bre et 5si 25d pour le 1er Xbre. Il faut que je me sois bien trompé dans mon calcul car il y a environ huit jours, en sortant à 4 heures du matin, je cherchai cette planète dans la constellation du Lion, où elle devait être. Mais je ne vis rien qui y ressemblât. Tout ce que je pus apercevoir c'est deux astres assez brillants très près l'un de l'autre qui occupaient à peu près la place que doit occuper l'Epi de la Vierge. Je pense que peut-être il y en avait un des deux qui était Mars. Puisque j'en suis aux planètes, je vous demanderais pourquoi Saturne est si brillant depuis quelque temps ; je n'avais jamais ouï dire qu'il fût si éclatant. Cela ne proviendrait-il point de la position de son anneau ? Il y a aussi une observation [dont] je ne sais pas si vous l'avez faite comme moi sur les étoiles, c'est qu'il y en a qui paraissent beaucoup plus rouges les unes que les autres. Il y en a aussi qui me paraissent moins scintillantes que d'autres. Cela vient-il de leur élévation au-dessus de l'horizon, ou me serais-je trompé dans la manière de les voir ?
Je crois enfin que cette clarté au couchant, dont je vous ai parlé dans une de mes lettres, n'est autre chose que la lumière de la Galaxie. Car ayant aperçu l'autre jour à quatre heures du matin la partie australe de la galaxie qui passait dans ce moment au méridien, je crus y observer une clarté presque aussi forte que celle que j'avais vue au couchant. Cependant je ne tiens point encore cela pour certain.
Vous m'avez bien fait plaisir de m'apprendre l'origine fabuleuse des constellations boréales. Si je ne craignais pas de vous ennuyer, je vous prierais encore de m'apprendre celles de toutes les autres. Et afin que vous ne preniez pas une peine inutile, je vous dirai que je connais déjà l'origine de toutes celles du Zodiaque à l'exception du Cancer et du Scorpion. Quant aux méridionales, je ne connais que Orion et le Navire d'Argo.
Pour en revenir aux planètes, je vous dirai que je suis bien étonné que la méthode de M. de Lalande pour calculer leur clarté se trouve conforme à l'observation. Mais enfin il n'y a que l'expérience qui puisse décider de cela. Je serais bien curieux de voir Herschel [Uranus] mais comme il n'est pas plus apparent qu'une étoile de la 6ème grandeur, il faudrait pour le trouver savoir précisément quelles sont les étoiles qui l'avoisinent et alors, je crois que je l'apercevrais avec une assez bonne petite lunette que j'ai. Mais tout ce que j'en sais, c'est qu'elle a environ 5 signes et quelques degrés d'ascension droite.
Je suis bien fâché que vous ne puissiez point vous promener dans l'hiver sans en rapporter un mal de dents. Le temps doit un peu vous durer dans cette saison. Pour moi je suis réduit à la même nécessité pour une autre raison. Au reste nos courses champêtres ne pourraient nous être d'aucune utilité dans ce temps-ci car l'on ne trouve ni champignons, ni aucune autre plante. Puisque j'en suis aux champignons, je vous dirai que je suis bien étonné que vous ne trouviez point de ceux qui sont blancs dessous et couleur de feu dessus, car ils ne se trouvent point dans les genêts, mais au bord des bois. Ce sont les roux dessus avec des tâches brunes, qui se trouvent dans les genêts. Quant à ceux dont vous me parlez, qui ont un suc couleur de brique et qui ne sont pas blancs dessous, je pense que c'est ceux qu'on appelle oronges, je n'en ai point encore vu. Je n'ai pas bien compris à quelles espèces s'appliquaient les noms que vous m'avez envoyés. J'imagine cependant que c'est le champignon roux avec des taches brunes dessus et blanc dessous qui s'appelle Agaricus Cantharellus et que c'est le gros champignon des bois qui s'appelle Boletus Bovista. Mais je ne comprends pas le sens des mots Cantharellus et Bovista.
Je prends bien part à la malheureuse destinée de vos cerfs-volants. Je ne sais si l'on pourrait remédier à l'inconvénient des queues. L'on pourrait peut-être tenter celles dont parle l'Encyclopédie qui sont plates comme celles des oiseaux. Ce n'est autre chose que des feuilles de papier collées à la suite les unes des autres. Je doute fort de la réussite. Quant à la hauteur où vous les avez élevés, elle aurait pu être plus considérable si vous aviez employé une ficelle bien forte et mince en même temps, parce que c'est toujours le poids de la ficelle qui empêche que le cerf-volant ne puisse en prendre beaucoup. Pour moi, j'ai aussi à déplorer la fin de mon baromètre, qui était un fort bon instrument. Je ne sais quand je pourrai le remplir.
Je ne suis pas étonné que vous ayez de la peine à vous faire à la prononciation de l'u romain en ou. Mais pour moi depuis que j'ai vu un peu d'italien, comme je trouve une grande conformité entre ces deux langues, je suis toujours tenté de prononcer de cette manière, d'autant mieux que c'est encore celle des Allemands que j'ai entendu chanter.
Vous me parlez dans votre dernière lettre de mes prophéties sur le temps. Le terme est [exagéré ?]. Depuis plus d'un mois j'étais étonné de tomber si souvent dans l'erreur. Je consultai là-dessus un homme de la campagne qui a de l'expérience, et il m'apprit qu'on ne pouvait tirer aucun présage certain des étoiles pendant les froids et qu'il ne fallait les consulter que l'été. Depuis ce moment la Pythie s'est tue, de peur de perdre son crédit.
Je crois facilement, comme vous me le dites, que l'influence de la lumière de la Lune sur la végétation doit être bien petite ; mais que son attraction influe bien davantage sur les vents et surtout sur les vents alizés. Dans nos climats où nous n'éprouvons [pas de] vents réguliers, je ne sais si de longues observations ne feraient point apercevoir une influence quelconque. Pour en revenir aux vents alizés, a-t-on découvert une certaine correspondance entre eux et les mouvements de la Lune ? Sont-ils plus forts par exemple dans certaines positions de la Lune par rapport au Soleil ? etc.
Quant au nombre d'or, je ne puis me défaire d'un reste d'attachement pour lui, quoique je ne l'ai pas beaucoup suivi. J'ai observé cependant très souvent sa correspondance avec les saisons. Par exemple, l'hiver de 1709 nous a redonné en 1766 une saison presque aussi rigoureuse, de même qu'en 1785. L'abondante récolte de 1776 nous a donné celle de 1795 et celle de 1777 nous en promet une presque aussi bonne pour 1796. Ce sont les seules époques qui m'aient [frappé]. Peut-être y en a-t-il beaucoup d'autres qui démentiraient celles-là.
J'oubliais de vous dire que, l'autre jour, j'eus quelques moments l'espérance de voir une éclipse de Jupiter par la Lune. J'avais jugé qu'elle devait passer au moins très près de Jupiter, mais je la vis passer à ¾ de degrés plus au midi. Quant à Saturne, la Lune en a été éloignée de près de 3 degrés lors de son passage par le méridien. Si je ne me suis pas trompé dans mes calculs, l'on pourra voir dans quelques jours Mercure avant le lever du Soleil. Quoique je ne puisse point le voir de Claveisolles même, je ne désespère pas de le voir un jour de dessus une montagne ; je porterai pour cela ma lunette. Mais nous avons bien autre chose de plus curieux à voir dans le ciel ; c'est une comète. Voici ce que je viens de lire aujourd'hui samedi dans un journal du 1er frimaire [22 novembre] intitulé Postillon des armées :
"Le 23 brumaire [14 novembre], le C. Bouvard, astronome de l'Observatoire, a trouvé une comète près de la constellation d'Hercule. Elle est petite, ronde et sans queue. Il n'a encore pu l'apercevoir qu'une fois".
Je ne comprends point pourquoi l'astronome n'a pas pu apercevoir la comète depuis le 23 brumaire jusqu'au 1er frimaire, car il me semble que dans ce pays-ci nous avons eu de bien belles nuits pendant cet intervalle. Je regrette bien qu'il ne marque pas de quelle grosseur elle paraît et la place qu'elle occupe précisément ; car je crois que la constellation d'Hercule est très étendue. Je n'en connais encore cependant que la tête, ou du moins je crois la connaître. Si vous apprenez quelque chose à ce sujet ou si vous la voyez, je vous prie de m'en faire part : j'y prends un grand intérêt.
Me voici enfin confiné à Claveisolles pour quelque temps et quoique je ne craigne pas le mal de dents, [je] crois que je ne sortirai guère plus que vous de tout l'hiver. Au reste le temps est encore plus rigoureux ici qu'à Poleymieux : nous avons eu un jour 8 degrés de gelée, ce qui dépasse un peu le plus grand froid d'un hiver moyen. Il y a eu aussi 4 pouces de neige dans le milieu de la semaine passée et elle n'a fondu entièrement qu'au commencement de celle-ci. Aujourd'hui il fait plus chaud ; car il pleut mais je souhaiterais bien que le froid revint à condition que nous eussions de belles nuits ; car je me fais un grand plaisir d'examiner les étoiles vos lettres à la main.
Adieu, Monsieur, je finis dans une nouvelle protestation de mon amitié parce que je pense qu'il est inutile de vous la répéter pour que vous en soyez bien persuadé. Je vous prie de présenter mes respects à Made votre mère et à Madlle Morandy. Je n'oublie point qu'elle a eu la bonté de venir quelques jours à la maison avec vous. Ma sœur vous prie aussi de lui faire bien des compliments de sa part quand vous la verrez.

Ce dimanche matin [29 novembre]. J'ai reçu hier au soir votre lettre du 23. J'aurais bien voulu y répondre, mais il faut que la mienne parte ce matin de bonne heure et il ne me reste que le temps de vous dire qu'elle m'a fait le plus grand plaisir.



  Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit
Bibliothèque de l'Institut de France, MS 3349 (3)


Voir le fac-similé :
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr992.html

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