Ampère, André-Marie à Carron-Ampère, Julie (1ère femme d'Ampère)
(1)
A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, n° 18, rire Mercière, à Lyon.
Lundi [22 mars 1802] Je n'ai pas pu t'écrire hier, ma bonne amie, parce que, profitant de la vacance du
decadi [30 ventôse], M. Clerc et moi avons passé toute la journée à
des expériences de chimie. Je ne fus souper qu'à 10 heures, bien las d'avoir
pilé, broyé, porté du charbon et soufflé le feu pendant 12 ou 13
heures, mais bien content d'avoir réussi à quelques expériences et de
m'être lié de plus en plus avec M. Clerc. C'est ce qui vaut le mieux sans
comparaison de tout ce qui se trouve ici près de moi, sans prétendre au reste
attaquer en rien le mérite des autres. J'ai été ce matin chez Pochon, qui
m'a remis quatre lettres, bien précieuses pour moi. Si tu en vois les auteurs, dis-leur
que je leur répondrai dès que j'aurai un moment. Je dois aussi depuis longtemps
une réponse à Périsse ; dis-lui que je pense souvent à lui et que
je regrette, en voyant mes élèves de Bourg, de n'y point trouver les dispositions
que j'avais rencontrées dans mes premiers élèves ! Je suis bien
inquiet, ma bonne amie, de tout ce que j'apprends par ta lettre. J'espère que ta maman
est remise à présent, mais que tu as dû être triste. Et ta maman
fatiguée, à la fois de son mal, de celui que tu te faisais et de l'état
habituel qui n'est pas trop rassurant ! (2). Je n'ai pas encore pu savoir l'état
où tu te trouves précisément, si cette grosseur est toujours de
même. Je vois, par ta lettre de ce matin, que tu es toujours à un certain
égard dans une fâcheuse position ; mais je voudrais savoir depuis quel temps tu es
dérangée. N'attendais-tu pas la fin de février et je ne crois pas que rien
ait paru. Nous voilà bientôt à celle de mars. Pense un peu, ma petite,
à la nécessité de veiller sur ta santé, pour moi, pour ton petit,
ta maman et tout ce qui t'entoure ! Consulte qui tu voudras, mais ne reste pas comme ça
sans rien faire de ce qui peut être nécessaire ! Il faut bien que tu n'aies rien
fait depuis que je suis ici, puisque tu ne m'as parlé de rien. Ma bonne amie, je ne
voudrais pas t'ennuyer ni te fatiguer ; mais pense quel bonheur ce serait pour nous tous si tu
pouvais rétablir ta santé ! Du mardi [23 mars] – Je me suis
informé du prix de la voiture par Mâcon. On prétend qu'une diligence
nouvelle y conduit pour 40 sols et M. Beauregard m'a dit qu'il était allé de Lyon
à Mâcon par l'ancienne diligence pour 3 livres 10 sols. Il y a ensuite une voiture
très commode de Mâcon ici qui ne coûte que 3 L. et qui fait le trajet en 6
ou 7 heures à ce qu'on dit ; tu vois que cette route est assez facile, mais ton
état t'empêchera peut-être de faire ce petit voyage. Il faudra sur le tout
consulter tes forces et ta santé, et pense un peu au bonheur de ton mari ! Si tu pouvais
passer quelque temps auprès de lui, tu te rentournerais [sic] dès que tu
t'ennuierais ; mais tu aurais consolé mon exil et peuplé Bourg pour moi de jolis
souvenirs. Du mercredi [24 mars] – Sais-tu, ma bonne amie, que j'ai
manqué aller hier à la comédie ? J'aurais voulu voir la salle et juger du
mérite des acteurs pour t'en faire part. Cette troupe joue ici la moitié de
l'année et à Mâcon l'autre moitié ; elle y était pendant le
carnaval [2 mars] et n'est revenue que depuis I0 à 12 jours. Ce qui m'a
été dit, c'est que M. Mermet et Mme Beauregard qui ont vu jouer à Paris
prétendent qu'on joue bien ici. Il m'en aurait coûté 12 S. pour le parterre
; les loges sont à 18 S. et à 30 S. Si tu veux des billets d'entrée, je
t'en porterai à Pâques. Je voudrais bien qu'après avoir tout
combiné, l'état de ta santé et le plaisir que me ferait ton voyage, tu me
sûsses dire si tu le regardes comme facile, parce qu'il faudrait bien alors que tu
m'envoyasses un lit jaune, des chaises et tout ce dont tu prévoirais avoir besoin. Quant
à la permission, M. Riboud, à qui j'en ai parlé, m'a dit que le
préfet me la donnerait par écrit dès que je la lui demanderais. Les
mêmes occupations qui m'ont empêché d'aller hier à la comédie
ne m'ont pas laissé le temps d'écrire à ta maman ; ce sera pour la
première occasion. Je te prie, en attendant, de lui dire de ma part tout ce que tu sais
que je pense propre à suppléer à une lettre. J'attends de ses nouvelles et
des tiennes avec la plus grande impatience. J'espère en recevoir aujourd'hui ou demain ;
car tu sais qu'une petite lettre de ma Julie, entre les deux qu'apporte Pochon, vient chaque
semaine interrompre l'uniforme ennui de ma vie. N'oublie pas, ma charmante amie, de me faire
part de ta décision au sujet du petit voyage ; car, si elle était favorable
à ton mari, nous n'aurions que le temps tout juste de faire les envois et les
préparatifs nécessaires. Pense que nous viendrons tous deux en passant par
Mâcon à meilleur marché que je ne suis, moi tout seul, venu ici !
J'ai fait un arrangement avec la Perrin, par lequel, à compter d'aujourd'hui, elle me
fournira à déjeuner tous les jours pour 2 S. par jour, ce qui fait 3 livres par
mois. Mme Beauregard fournit le vin pour mes déjeuners ; cela a été
réglé dans les 40 livres de pension. Adieu, ma bonne amie, je vais vite porter
cette lettre chez Pochon, car voilà 10 heures. J'embrasse le petit et sa maman, à
qui je recommande de lui parler souvent du papa qui est à Bou et qui lui portera du bon
à Pâques. A. AMPÈRE
(1) Huit pages in-4°, en deux feuilles de dimension inégale ; adresse à la fin. Cheuvreux a
publié, p. 207, les trois lignes du début et, page 208, un autre passage de trois lignes.
(2) Réponse à la lettre du 16-19 mars.
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