Couppier, Jean-Stanislas à Ampère, André-Marie
Lyon,
ce dimanche 20 [janvier 1805] Je viens de recevoir avec un bien grand plaisir, mon cher ami, votre lettre à
laquelle je réponds courrier par courrier. J'avais eu de vos nouvelles par M.
Périsse ; et il paraît que vous vous trouvez bien de votre séjour à
Paris. Vous me disiez dans une précédente lettre de quoi vous parlerai-je
? Vous sentez que tout ce qui vous intéresse me fait le plus grand plaisir à
savoir. Vous ne me parlez point par exemple de vos occupations ; le genre de travail que vous
faites vous plaît-il ? vous laisse-t-il du loisir ? en profitez-vous pour les
mathématiques ? quelle partie enseignez-vous ? etc. etc. Vous me demandiez l'adresse de
Antony Nolhac : il demeure rue du Mail, hôtel des Indes, n° 42. Je suis bien
fâché, mon cher ami, de ne pouvoir rien vous envoyer d'exact sur tout ce que vous
me demandez pour M. Humboldt. Mais vous savez que je n'ai encore qu'ébauché
toutes mes opérations géodésiques. 1°. Je n'ai point de bon
baromètre et je suis occupé à en construire un suivant la méthode
de Deluc de Genève. 2°. Il y a une partie de mes mesures
trigonométriques qui n'ont été prises qu'avec votre graphomètre de
Pigeon de 9 pouces de diamètre qui ne donne les minutes que de 3 en 3, qui n'est pas
parfaitement construit et qui n'a que des pinnules. Comme toutes mes mesures se lient avec
celles-là, il n'y en a point de bien exactes. Je suis bien fâché qu'on ne
puisse pas attendre jusqu'au printemps, époque à laquelle je recommencerai mes
observations pour donner à tout mon travail la même précision qu'à
la partie que j'ai faite cet automne avec mon nouveau graphomètre de Fortin. En
attendant je vous enverrai tout ce que j'ai fait jusqu'à présent en vous
indiquant quel degré de confiance vous devez y avoir. J'ai deux moyens de
calculer jusqu'où peuvent aller les erreurs : 1°. L'examen de toutes les
imperfections de mes instruments sur lesquelles j'ai fait beaucoup de recherches.
2°. La vérification de mes premières mesures prises une seconde fois avec mon
graphomètre de Fortin. Je vous serai extrêmement obligé, mon cher
ami, de vouloir bien m'envoyer les formules pour la réfraction terrestre ainsi que le
calcul des hauteurs des montagnes par le baromètre etc. Et je serai extrêmement
flatté de tenir tout cela de M. Humboldt. Je vous prierai de vouloir bien mettre
à ma portée ce qui serait en intégrales, ne sachant pas ce calcul. Et
puisque M. Humboldt veut bien avoir la complaisance de répondre à mes questions,
pourriez-vous lui demander 1°. quelle est la hauteur moyenne du baromètre au
niveau de la mer à la latitude de Lyon, c'est-à-dire 45° à 46°. 2°. à quel degré du thermomètre (division de Réaumur)
détermine-t-on la longueur de la toise de Paris ? et celle qui sert d'étalon (qui
est je crois celle de Bouguer) est-elle en fer ou en cuivre ? Je fais cette dernière
question parce que j'ai trouvé ici une toise très bien travaillée en fer
qui porte qu'elle a été échantillonnée en 1766 au Châtelet
à 13° du thermomètre de Réaumur ; ce qui me fait présumer que
cette toise du Châtelet est celle de Bouguer, c'est que cette même toise a sur une
de ses faces la longueur du pendule qui bat les secondes à l'équateur. Quant
à celle dont je me suis toujours servi, elle a été échantillée déduite de la
longueur du mètre en cuivre que le gouvernement a envoyé à Lyon, en
supposant le mètre de 3pieds 0pouces 11,3 lignes et
à la température 0° (division de Réaumur). Je préviens aussi
que les thermomètres dont je me sers et que j'ai faits sont suivant la méthode de
Deluc, c'est-à-dire éprouvés à l'eau bouillante lorsque le
baromètre est à 27pouces. [2ème cahier] [au
crayon, d'une autre écriture : lettre scientifique] Ne pouvant vous envoyer mes
observations du baromètre, je vous envoie le résultat des observations faites
à Genève pendant les 8 dernières années par M.M. Pictet et Maurice.
La hauteur moyenne du baromètre dans ces 8 années est 26p 10,
97 lignes. Celle du thermomètre : 8°16. Ces M.M. concluent
l'élévation du lieu de l'observation à 203 toises. Le lac est moins
élevé de 15 toises donc son élévation est de 188 t[oises]. Ces
observations sont tirées de la Bibliothèque britannique, dirigée par ces
M.M. Voici l'extrait d'une lettre datée d'Aubenas en Vivarais, [17]
geral [germinal] an 10 [7 mars 1802], du docteur Embry, adressée à M.
Pictet et insérée dans le même journal vol. 19 Sciences et arts,
page 351. "D'après 2732 observations, la hauteur moyenne du barom.e
à Aubenas est de 27p. 2l 13/100." Suivent les hauteurs du
baromètre sur différentes montagnes comparées à celle
observées à Aubenas, correction faite de la dilatation du mercure.
Sur le basalte columnaire qui domine le village de Gourdon : |
25[pouces] 1[lignes] |
Obs. correspondante à Aubenas :
|
27,4 9/16 |
Sur le sommet du Tanargue : |
23,8 12/16 |
Obs. correspondante à Aubenas :
|
27,4 9/16 |
A St-Laurent-des-Bains : |
25,7 8/16 |
Obs. correspondante à Aubenas :
|
27,2 6/16 |
A l'abbaye de Chambons (1er étage) : |
24,8 3/16 |
Obs. correspondante à Aubenas :
|
27,4 |
A la Souche (maison du Curé au salon) : |
26,1 2/16 |
Obs. correspondante à Aubenas :
|
27,0 3/16 |
Le mont Tanargue domine toutes les autres montagnes du Vivarais, excepté le
Mt Mezin qu'on dit excéder le Tanargue par les matières volcaniques.
Il paraît que les granits seuls ne dépassent pas le Tanargue. »
Les rédacteurs du Journal donnent à la suite, dans une note, les
élévations relatives de ces différentes positions suivant la
méthode de Deluc, mais abstraction faite de la correction due à la
température de l'air, cette température n'étant pas donnée.
" Aubenas au-dessus de la mer, en supposant la hauteur moy. au bord de la mer de
28pouces : 115 toises. Basalte de Gourdon, au-dessus d'Aubenas : 308.
Tanargue, idem : 477. Saint Laurent des Bains, idem : 234. Abbaye de Chambons, idem
: 370. La Souche, idem : 132 " Tous ces renseignements sont probablement
inutiles, M. Humboldt connaissant sûrement la Bibliothèque britannique. Le
principal auteur est le professeur Marc-Auguste Pictet, tribun et résidant à
Paris dans ce moment. Voici les seuls renseignements que j'ai pu avoir pour Lyon. M.
Mollet m'a dit qu'un grand nombre d'observations faites sans suite pendant nombre
d'années à 9 toises au-dessus du lit de la Saône lui avaient donné
27p 7 ½ lignes pour hauteur moyenne. Il m'a aussi dit que M. Deluc
pendant son séjour à Lyon avait dit que Lyon (c'est-à-dire 4 toises
au-dessus du lit de la Saône) était élevé de 88toises
au-dessus de la mer. pour moi je n'ai jamais observé que le thermomètre et j'ai
constamment trouvé que la chaleur moyenne des sources abondantes et profondes
était 9°76. Vous savez que la température de ces sources varie très
peu et qu'elle est la même que celle de l'air. Nombre d'observations faites dans les
Alpes et ailleurs prouvent ce fait. Venons aux mesures géométriques.
Pilat au-dessus du lit de la Saône 637toises montagne granitique
à 24000 toises Sud-Sud-Ouest de Lyon : la base était de 300toises
très [unie] mesurée avec soin à la toise. Cette base étant trop
petite, je m'en suis servi pour déterminer par deux triangles la longueur d'une nouvelle
base de 3100toises. Les angles des triangles ont été mesurés
avec un graphomètre à pinnules de 9 pouces de rayon de Pigeon, l'angle de hauteur
sur l'horizon avec un secteur de bois de 30 pouces de rayon à pinnules qui me donnait 2
observations correspondantes en le retournant. Je n'ai pas conservé de notes de cet
angle. Je sais seulement que la distance était 24058t, le barome.
à 27p 8l, le thermome à 16°1/2 et que ne
comptant pas assez sur l'exactitude de ma méthode de calcul des réfractions
terrestres, je me suis contenté de diminuer d'environ 1/7 l'effet de la rondeur de la
Terre, c'est-à-dire que j'ai calculé l'effet de la rondeur de la Terre et de la
réfraction combinés ensemble comme diminuant la hauteur réelle de neuf
pouces et un tiers pour une distance de 1000 et ainsi de suite, en raison du carré des
distances. Donc, dans ce cas, j'ai fait une correction de 74,6 toises, donc
l'élévation apparente a été trouvée avant toute correction
de 562,4 toises. Les élévations suivantes ont été
calculées de la même manière et avec les mêmes instruments, mais les
bases étaient toujours plus du 1/6 de la distance : et la distance n'étant jamais
de plus de 2000toises, la réfraction n'a pas pu aller à 1 pied. Donc
cette erreur est presque nulle.
(au-dessus du lit de la Saône) |
|
La Milonière (près d'Izeron et à 8000t de Lyon à
l'Ouest), montagne granitique...
|
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366t |
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Clocher de l'Hermitage de Mt Ceindre, montagne calcaire (à
3500t nord de Lyon)... |
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154 |
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Verdun la plus haute du Mont d'Or, calcaire (à 5500t nord
n.ouest de Lyon)... |
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239 |
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Mont Thoux, calcaire (à 4500t N.N.O. de Lyon)... |
|
229 ½ |
Je crois physiquement impossible que je me sois trompé de plus de
3toises pour Mt Ceindre, 6t pour Verdun, 7 pour La
Milonière, 15 pour Pilat et 5 pour Mt Thoux. C'est de cette dernière
mesure que va dépendre la précision de toutes les mesures suivantes, qui ont
été prises avec plus de soin et surtout avec un instrument beaucoup meilleur
[sic]. C'est un graphomètre à cercle entier à lunettes garni d'un bon
niveau à bulle d'air, il donne les minutes et j'évalue toujours avec une loupe
les dixièmes de minutes. J'ai eu le soin pour chaque angle d'avoir 4 observations du
limbe, parce que je tourne à chaque opération l'instrument et qu'il y a deux
verniers. Je m'occupe actuellement à reprendre toutes les mesures
précédentes avec cet instrument. Je regrette infiniment que cela ne soit pas
déjà fait, pour vous en envoyer le résultat ainsi que celui de la hauteur
du baromètre comparé aux observations de Genève. Une vingtaine
d'observations faites simultanément à Genève et à Lyon
m'apprendront plus exactement la hauteur de Lyon au-dessus de la mer, qu'une année
entière d'observations comparées immédiatement à la hauteur moyenne
au bord de la mer. Toutes les observations ci-après ont été faites
sur la montagne de Soubran en Beaujolais, Dept du Rhône, à
24000t Nord O. de Lyon et 4000t Sud O. de Beaujeu, granitique. Le
baromètre et le thermomètre étaient observés à Claveisolles
au pied de la montagne, c'est-à-dire 222toises plus bas. Les distances sont
donc comptées de Soubran et les angles de hauteur ou d'abaissement au-dessus et
au-dessous de l'horizon observés dans cette station, les premiers portent le signe +,
les seconds le signe -. [voir tableau sur fac-similé] Nota : le mercure du
baromètre était à 10° de chaleur. En calculant la réfraction
comme je l'ai fait ci-dessus, j'ai les résultats suivants : Elévation ou
abaissement sur Soubran [en toises]
Mt Thoux |
- 146,8 |
Montagne de Violey |
+ 53,8 |
Pierre-sur-haute |
+ 374 |
Vous comprenez que pour avoir la hauteur au-dessus de la mer d'une montagne telle que
Pierre-sur-haute, par exemple, il faut ajouter ces quatre choses.
Elévation du lit de la Saône sur la mer suivant Deluc |
84t |
Elévation de Mt Thoux sur la Saône |
229 1/2 |
Abaissement de Mt Thoux sous Soubran |
146 1/2 |
Elévation de Pierre-sur-haute sur Soubran |
374 |
Total |
834t. |
Je désirerais bien savoir de quel baromètre portatif se sert M. Humboldt. Pourriez-vous encore avoir la complaisance, mon cher ami, de vous informer où demeure
M. Pictet à Paris. J'aurais bien des questions à lui faire sur ces observations
de Genève. Adieu, mon cher ami, il m'a été impossible de terminer
cette lettre hier. Je vous embrasse de tout mon cœur. Ce lundi 21
janvier.
if ($lang=="fr" AND $val['bookId'] < '834') { print "Lettre publiée dans "; } ?>
if ($lang=="en" AND $val['bookId'] < '834') { print "Publish in :"; } ?>
Source de l'édition électronique de la lettre : original manuscrit Paris, Archives de l'Académie des sciences, fonds Ampère, carton XXIV, chemise 333
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Voir le fac-similé : |
Lien de référence : http://www.ampere.cnrs.fr/amp-corr983.html
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